vendredi 23 décembre 2022

Terry Pratchett - Les Zinzins d'Olive-Oued

Les Zinzins d'Olive-Oued, Terry Pratchett, Tome 10/35 des Annales du Disque-Monde, 1990, 412 pages

Direction Ankh-Morpork pour cette nouvelle escapade sur le Disque-Monde. Pour le début de l'histoire en tout cas, le temps que quelques alchimistes inventent les images animées et les clics. Ensuite, direction Olive-Oued, nouvelle oasis pour les réalisateurs et acteurices en devenir. Rien de vraiment dangereux en somme. Et pourtant, les failles dans la Réalité sont au plus haut.

Enchaînant les tomes par ordre de parution, je ne cherche pas à savoir de quoi va parler le prochain volume. J'ai donc mis un certain temps avant de comprendre le jeu de mots caché derrière "Olive-Oued" et, par conséquent, le thème du livre : le cinéma ! Les Zinzins d'Olive-Oued est un tome 'indépendant' qui retrace les débuts et l'expansion de l'industrie cinématographique. C'est plein d'humour et d'exagération, évidemment, en plus d'un grand nombre de références à des films et personnages cultes, mais c'est surtout un livre très malin et lucide dans la critique qu'il fait de cet univers.

Les Zinzins d'Olive-Oued n'est cela dit pas le meilleur des livres du Disque-Monde. Il est bon sans jamais être réellement brillant. Une preuve en est peut-être l'absence de citations dans ce billet, dû au fait que le roman repose bien plus sur une situation générale qui se file sans cesse que sur des saillies percutantes et mémorables. Il est aussi un peu long dans son dernier quart, quand la résolution devient prévisible et qu'il ne s'agit plus que d'un enchaînement d'actions pour y arriver. Mais ce n'est pas bien grave, le tournage était tout de même agréable. Même si ça manque d'éléphants.

Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

samedi 17 décembre 2022

Hiro Arikawa - Au prochain arrêt

Au prochain arrêt, Hiro Arikawa, 2008, 184 pages
« Le héros de ce roman est la ligne Hankyū Imazu, l’une des moins connues du réseau Hankyū. »
La ligne Hankyū Imazu est une ligne de train dans la périphérie d'Osaka, reliant les stations de Takarazuka et de Nishinomoya-Kitaguchi - elle se prolonge en fait, comme son l'indique, jusqu'à Imazu, deux stations plus loin, mais cela nécessite un changement de rame. Et comme sur toutes les lignes du monde, des petites histoires se font et se défont le temps d'un court trajet et des rencontres aléatoires que seuls les transports en commun peuvent créer. Ce sont quelques-unes de ces histoires que nous raconte Hiro Arikawa, au fil d'un aller et d'un retour.

Dans mon parcours de lecteur j'ai rapidement perdu le goût pour les cartes qu'on trouve parfois en début d'ouvrage, le plus souvent dans les livres de fantasy. Plutôt que d'aller vérifier sans cesse la position de tel lieu, je préfère pouvoir imaginer librement un monde ne correspondant certes pas à la réalité inventée par l'auteur mais me permettant une visualisation plus efficace et une appréciation plus instinctive. Au prochain arrêt n'est absolument pas un livre de fantasy. Pourtant, c'est un peu l'exception à ma "règle" : j'y ai totalement retrouvé ce plaisir d'aller régulièrement regarder où se situe l'action.

Ainsi j'ai parcouru la ligne Hankyū Imazu au rythme de la plume d'Hiro Arikawa et de mes escapades sur Google Maps - saviez-vous qu'il existe une crêperie bretonne à proximité d'Obayashi ? De station en station, au gré des montées et des descentes, j'ai fait connaissance avec quelques voyageurs. J'ai eu un rapide aperçu de leurs vies, leurs passés se sont quelque peu dévoilés et leurs futurs se sont entrouverts devant moi, jusqu'à ce que nos chemins se séparent à nouveau. Comme un heureux hasard - mais qui n'en est pas réellement un pour quiconque à ses habitudes dans un transport en commun - je les ai recroisés lors d'un voyage retour, quelques mois plus tard. Et cette fois les séparations furent définitives, ne laissant derrière elles que le doux souvenir de ces éphémères rencontres.

Au prochain arrêt est un roman si bien écrit que les héros de l'histoire sont autant - comme l'annonce l'introduction du livre citée plus haut - la ligne de train elle-même que ses personnages, sans déséquilibre, la valse de ces voyageurs étant habilement menée au gré des différents arrêts. Cela donne une collection de tranches de vie simples et douces, qui laisse du baume au coeur mais qui dans le même temps interroge discrètement quelques questions de société. Une réussite complète, une très agréable lecture. Que Le Chat du Cheshire soit amplement remerciée pour cette découverte.

Couverture : ? / Traduction : Sophie Refle
D'autres avis : Le Chat du Cheshire, ...

dimanche 11 décembre 2022

P. Djèli Clark - Les Tambours du dieu noir

Les Tambours du dieu noir, P. Djèli Clark, 2016-2018, 137 pages

En cette fin du XIXème siècle, La Nouvelle-Orléans est un territoire neutre où toutes les rencontres et transactions sont possibles. LaVrille est une jeune fille débrouillarde y survivant comme elle peut. Une oreille involontairement indiscrète va la mettre sur la route d'une arme des plus terribles. Heureusement, elle pourra compter sur Oya, la divinité yoruba qui fait partie d'elle, et sur Ann-Marie, capitaine d'un dirigeable pirate.

L'intrigue entière de Les Tambours du dieu noir tient en quelques lignes. La petite centaine de pages de la novella passe pourtant à la vitesse grand V et se lit avec enthousiasme tant son univers est passionnant. Le récit est bon et agréable à suivre, mais c'est vraiment le cadre qui sort du lot, avec cette Nouvelle-Orléans uchronique aux accents steampunk. Un îlot de paix au milieu de la guerre aux airs de gigantesque métissage. L'immersion est rendu encore plus forte grâce à l'écriture de P. Djèli Clark - et la certainement excellente et impressionnante traduction de Mathilde Montier - rendant les paroles d'Ann-Marie dans un style parlé caribéen (?), proche de ce qu'on a déjà pu découvrir dans Ring Shout.

À la suite de cette très bonne novella se trouve une nouvelle, L'Étrange Affaire du djinn du Caire. Direction cette fois Le Caire en 1912, dans une Égypte où l'espace entre les mondes s'est ouvert pour laisser passer quelques figures mythologiques. Fatma y est une agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles et va enquêter sur la mort mystérieuse d'un djinn.

Cette nouvelle partage quelques points communs avec la novella la précédant - une uchronie, des divinités, une ampleur d'intrigue potentiellement dévastatrice, ... - tout en étant fondamentalement différente. Outre l'univers, intrigant même s'il m'attire moins que La Nouvelle-Orléans, c'est cette fois une véritable enquête que nous livre l'auteur. Et en une trentaine de pages, ça tient étonnamment bien la route et donne un bon récit, achevant de faire de ce livre une très bonne porte d'entrée pour découvrir P. Djèli Clark.

Couverture : Benjamin Carré / Traduction : Mathilde Montier
D'autres avis : Sabcz, OmbreBones, Yuyine, L'ours inculte, Célinedanaë, lutin82, Boudicca, Chut maman lit !, Le nocher des livres, Elwyn, Marc, Apophis, ...

lundi 5 décembre 2022

Bulles de feu #45 - La Bibliomule de Cordoue

La Bibliomule de Cordoue, Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau, 2021, 251 planches

Califat de Cordoue, fin du Xème siècle. Sous les règnes d'Abd Al-Rahman III et d'Al-Hakam II, le califat a vécu une période de prospérité et de relative paix où le développement de la vie culturelle fut une des priorités, notamment par l'établissement d'universités et de bibliothèques. Mais à la prise de pouvoir d'Almanzor, leur successeur, tout change et l'une des premières décisions du nouveau calife est de brûler la majorité des livres. Tarid, bibliothécaire, accompagné de Lubna, une esclave instruite, et de Marwan, un ancien apprenti devenu voleur, décide alors d'en sauver le maximum en fuyant avec une mule chargée plus que de raison.

Assez étonnamment, je n'ai pas eu de vrai grand coup de coeur pour La Bibliomule de Cordoue. C'est ce que je peux dire de plus négatif sur cette BD. Car malgré cela, La Bibliomule de Cordoue est indéniablement un excellent ouvrage qui réussit tout ce qu'il entreprend et qui mérite incontestablement d'être lu. Car c'est un livre aussi intelligent dans son fond que dans sa forme.

Le fond, c'est une ode aux savoirs et à la nécessité de les conserver et de les protéger. En miroir, c'est la dénonciation des fanatismes en tout genre qui cherchent à les éradiquer pour mieux s'imposer. Cela vaut pour le règne d'Almanzor présenté ici, mais cela prend place à toutes les époques, la nôtre en tête, ce qui est judicieusement explicité en fin d'ouvrage.

Pourtant, l'ambiance n'est pas du tout pesante. La Bibliomule de Cordoue une BD tout à fait plaisante, voire joyeuse. Ce grâce à l'habile alternance entre les péripéties rocambolesques et les running gags à base de bibliomule - qui déteste les mathématiques - d'un côté et les passages plus sérieux sur le passé des personnages et la situation socio-politique de l'autre. C'est intelligemment construit et le rythme est absolument impeccable, sans lassitude ou manque sur aucun des aspects. Ce mélange de sérieux et d'amusement est d'ailleurs parfaitement synthétisé par le style graphique de Léonard Chemineau, avec un trait à la fois net et précis tout en gardant une bonne part de fun.

Il n'y a guère de surprise à ce que tout soit millimétré et maitrisé avec Wilfrid Lupano au scénario. Je n'ai pourtant pas manqué d'être impressionné par la créativité dont les deux hommes font preuve ici. Ils utilisent à fond le média bande-dessinée et ce qu'il permet. Cela se situe autant dans la liberté dans les enchaînements de cases ou les petites trouvailles à l'intérieur de celles-ci que dans l'utilisation des planches sans bulle qui permettent des transitions et des respirations qui en disent pourtant au moins autant que les autres planches. C'est éminemment respectable et agréable, et ça participe du fait que La Bibliomule de Cordoue est une excellente BD.

Quelques planches ici.
D'autres avis : Tigger Lilly, Yuyine, ...

vendredi 25 novembre 2022

Christian Léourier - Diseur de mots

Diseur de mots, Christian Léourier, 2019, Tome 1/2 de La Lyre et le Glaive, 371 pages

En suivant son dé à 8 faces, Kelt parcourt le monde à la recherche de la mythique Urskogar, la mère des forêts. En chemin, il prédit l'effondrement d'un pont et se retrouve arrêter en tant que coupable. Car Kelt est un diseur de mots : de sa bouche ne peut sortir que la Vérité. Quitte à ce que le monde autour de lui s'y adapte ?
« Le temps fait moins injure à une cité qu'à ceux qui l'habitent. Néanmoins, qu'on la croie éternelle ne l'empêche pas de s'écrouler. »
Les premières pages de Diseur de mots enchainent les tropes de la fantasy. Un prologue abscons aux airs de prophétie, un monde typé féodal, des noms de personnages et de lieux exotiques, quelques termes inventés, ... Nul doute qu'il s'agit d'un livre de fantasy. C'est peut-être le seul défaut de ce roman : la peur d'être devant quelque chose de lambda et de peu engageant lors des premières minutes de lecture. Heureusement, il ne faut pas beaucoup plus de temps pour passer outre et se plonger pleinement dans l'univers et ses personnages. Car si les grandes lignes restent classiques, il y a un détail qui change tout : elles sont tracées par Christian Léourier.

Si la plume de l'auteur m'a d'abord semblé un peu moins marquée que dans ses nouvelles, elle monte en puissance au fil des pages, en même temps que le récit se fait toujours plus humain et touchant. Car l'attachement aux personnages - en tout cas pour Kelt, Varka et Hòggni - est un facteur essentiel du plaisir de lecture. Mais il n'y a pas que ça au sein de ce livre. C'est justement son autre force : il y a à la fois un cheminement d'individus, des péripéties à taille humaine, tout autant que des batailles d'ampleur et des jeux de pouvoir plus politiques. Sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre, le dosage de Christian Léourier étant admirable.

Diseur de mots est un très bon roman, une vraie réussite qui est indéniablement un tome 1 tout en offrant un agréable sentiment de complétude et de satiété, tout ça en moins de 400 pages. Et si le test ultime de la qualité d'un premier tome est de savoir si l'on a envie de lire la suite, il le passe haut la main : j'en ai très envie.

Couverture : Jean-Baptiste Hostache
D'autres avis : Yuyine, Zina, Lorhkan, Célinedanaë, Dionysos, Marc, lutin82, ...

vendredi 18 novembre 2022

Michel Demuth - La Course de l'oiseau Boum-Boum

La Course de l'oiseau Boum-Boum, Michel Demuth, 1967, 47 pages (epub)

La colonisation de la planète Miage se déroulerait parfaitement bien si ce n'était pour ce mystérieux oiseau Boum-Boum, ressemblant à une autruche, qui habite à proximité et a parfois des accès de violences envers les humains. Kellus Berg, ornithologue, est envoyé en mission sur Miage pour résoudre ce problème de manière pacifique.

La Course de l'oiseau Boum-Boum est une histoire de premier contact et de compréhension de l'autre, en l'occurrence la faune locale. L'idée est bonne, il y a un certain mystère dont on a envie d'avoir la résolution, mais la finalité est déconcertante et un peu décevante - même si je n'exclus pas de n'en avoir pas saisi toute l'ampleur. Ce n'est pas un mauvais texte, mais il n'a rien de vraiment marquant ou particulier. Si ce n'est peut-être son écriture très vive, qui se lit comme un sprint... mais qui étonnamment tire malgré tout un peu en longueur. Un texte très simple, trop simple, qui ne surprend réellement que par son occasionnelle utilisation DES MAJUSCULES.

Nouvelle offerte en téléchargement gratuit par Le Bélial' pour fêter la réédition de Les Galaxiales de Michel Demuth.

Couverture : Philippe Druillet

samedi 12 novembre 2022

Terry Pratchett - Faust / Eric

Faust Eric, Terry Pratchett, Tome 9/35 des Annales du Disque-Monde, 1990, 163 pages

Comme son titre l'indique, Faust Eric est librement inspiré de la légende de Faust. Sauf qu'ici, c'est Éric, 13 ans, qui tente d'invoquer un démon pour qu'il exauce ses voeux... et se retrouve à la place avec Rincevent. C'est donc le quatrième volume mettant en scène le mage, après La Huitième Couleur, Le Huitième Sortilège et Sourcellerie. Et c'est dans la lignée des précédents : lisible sans être réellement marquant.

Faust Eric est un ouvrage assez foutraque. Sans réelle intrigue, c'est un enchainement de péripéties abracadabrantes - ou disquemondesque -, un peu aléatoires, où Terry Pratchett s'amuse des Enfers et de quelques "figures mythiques". Il y a évidemment quelques fulgurances, une apparition de La Mort et une amusante version d'Ulysse, mais je crois que ça ne restera pas longtemps dans ma mémoire.
« Il comprenait aujourd'hui ce qui rendait l'ennui aussi fascinant. C'était de savoir que des évènements plus graves, des évènements dangereusement excitants, se produisaient tout à côté et qu'on y échappait. Pour que l'ennui soit agréable, il lui faut une référence à quoi le comparer. »
Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

mercredi 2 novembre 2022

Ahmed Saadawi - Frankenstein à Bagdad

Frankenstein à Bagdad, Ahmed Saadawi, 2013, 371 pages

Bagdad, 2005. Dans le quartier de Batawin, comme dans toute la ville, les attentats à la voiture piégée rythment les journées des habitants. Au milieu de ce ballet d'explosions et de forces de l'ordre, Hadi le chiffonnier récupère des fragments de corps laissés à l'abandon et les recoud ensemble. Jusqu'au jour où sa création, le Sans-Nom, prend vie et part en quête de vengeance.

Tout le contenu de Frankenstein à Bagdad est dans son titre. C'est une plongée dans une ville où le danger fait partie du quotidien et où les habitants font avec, presque comme si de rien n'était. Cet exotisme, aussi terrible soit-il et surtout décrit par un auteur local, fait la particularité et l'intérêt du roman. Heureusement d'ailleurs qu'il est là, car l'intrigue en elle-même est mince et peu palpitante. Ça se lit, mais ça ne brille jamais vraiment.

Là où les regrets pointent réellement, c'est qu'au-delà de la description d'une Irak ensanglantée, Frankenstein à Bagdad possède une autre force absolument sous-exploitée : le Sans-Nom, Trucmuche, le Frankenstein irakien. Lui qui devrait être une figure centrale est quasiment une arrière-pensée, apparaissant sporadiquement. C'est d'autant plus dommage qu'il est très clairement le personnage le plus intéressant et que le chapitre lui donnant intégralement la parole est sans conteste le meilleur du roman. Tout était là pour un livre marquant, et pourtant Frankenstein à Bagdad est seulement un roman 'ok'. Dommage.

Couverture : ? / Traduction : France Meyer
D'autres avis : Gromovar, ...

jeudi 27 octobre 2022

Becky Chambers - Un Psaume pour les recyclés sauvages

Un Psaume pour les recyclés sauvages, Becky Chambers, Tome 1/? d'Histoires de moine et de robot, 2021, 133 pages

Pour fuir la routine et une crise existentielle, Dex décide de prendre la route et de devenir moine du thé, allant de village en village pour offrir une présence réconfortante à quiconque en éprouve le besoin. Mais s'il excelle dans cette tâche, il n'est toujours pas comblé lui-même. C'est alors qu'il rencontre Omphale Tachetée Splendide, un robot, le premier aperçu depuis des siècles.

J'ai failli regretter le peu de temps consacré à la période "moine du thé" de Dex, tant cela donnait envie. Cette contrariété s'est vite envolée puisque le livre monte en puissance au fil des pages et démarre en fait réellement dans sa deuxième moitié, avec la rencontre entre ce moine et ce robot. À partir de là, ce n'est rien de moins qu'excellent.

Un Psaume pour les recyclés sauvages est un ouvrage de Becky Chambers. C'est le meilleur résumé qu'on puisse en faire pour quiconque connait déjà l'autrice. À son habitude, Becky Chambers propose un ouvrage lumineux, inclusif, positif et soucieux de l'autre. La dédicace qui ouvre l'ouvrage n'est clairement pas mensongère :
« Pour vous qui avez besoin de souffler. »
Mais Un Psaume pour les recyclés sauvages n'est pas juste un livre doux et gentil. Il offre certes une bulle, un cocon, mais sans se couper du monde pour autant. Tout l'objectif est justement là : comment vivre dans ce monde ? Pourquoi vivre dans ce monde ? C'est à un questionnement aussi fondamental que se prête Becky Chambers ici. Et c'est admirable. Est-ce que c'est gentillet ? Un peu, surement. Est-ce que c'est important, que ça donne à réfléchir et que ça apporte quelque chose au lecteurice ? Sans aucun doute. Et le plus fort dans tout ça ? Malgré un récit consacré à la vacuité de l'existence, ce n'est jamais pesant. C'est là toute la grandeur de Becky Chambers, qui ferait à coup sûr une excellente moine du thé.

Couverture : Feifei Ruan / Traduction : Marie Surgers
D'autres avis : Sabine, FeydRautha, Yuyine, OmbreBones, Le nocher des livres, Lullaby, Elessar, ...

vendredi 21 octobre 2022

N.K. Jemisin - Genèse de la Cité

Genèse de la Cité, N.K. Jemisin, Tome 1/3 de Mégapoles, 2020, 504 pages

Ils sont cinq. Cinq comme le nombre d'arrondissements de New-York. Cinq à se sentir tout d'un coup différent, liés entre eux et à la Ville. Cinq qui devront s'unir pour redonner toutes ses forces à New-York et vaincre l'Ennemi et ses tentacules blancs.

Avec ce pitch, vous avez à la fois le point de départ, le déroulé et la conclusion de Genèse de la Cité. Car aucune surprise ne se trouve à l'intérieur de ces pages, tout se dirige vers où l'on suppose que cela va se diriger, en quasi ligne droite. Cela dit, la prévisibilité n'est pas forcément un aspect rédhibitoire si le chemin est intéressant. Le problème, c'est que les péripéties ne sont guère plus emballantes, tout se résolvant par "l'instinct" des personnages, des "je ne sais pas pourquoi je fais ci ou dis ça, mais je sens que". Vous connaissiez le deus ex machina, bienvenue dans le deus ex civitas.

Tout n'est pas fondamentalement mauvais dans ce livre. L'idée de départ - de l'urban fantasy au sens littéral ! - est maline et a un bon potentiel. On sent aussi que N.K. Jemisin s'est fait plaisir à dépeindre New-York et à proposer une galerie de personnages inclusive, pour mieux taper avec de gros sabots sur celleux que ça dérange. Et si je tairais mon appréciation des scènes d'action, ça se lit globalement plutôt facilement et les interactions entre les représentants des arrondissements proposent des passages sympathiques.

Ça n'est toutefois pas suffisant - et ce même en mettant de côté mon avis sur l'utilisation, encore et toujours, d'un certain auteur de Providence - pour faire de Genèse de la Cité un roman satisfaisant. La bonne nouvelle toutefois, c'est que même s'il est le premier tome d'une trilogie, il se tient parfaitement en tant que one-shot. Je peux sereinement en rester là.

Couverture : AkuMimpi / Traduction : Michelle Charrier
D'autres avis : Gromovar, Lune, Célinedanaë, Le nocher des livres, Boudicca, Anudar, ...

vendredi 14 octobre 2022

Joëlle Wintrebert - Pollen

Pollen, Joëlle Wintrebert, 2002, 317 pages

Sur Pollen, des descendantes de la Terre ont fondé une société matriarcale où la violence est proscrite, les quelques guerriers assurant la protection de la planète étant stationnés sur un satellite naturel. L'autre particularité de Pollen, c'est la reproduction, exclusivement in vitro et créant des sorories composées de deux femmes et un homme. Un système qui tend vers l'utopie. Mais toute utopie a ses zones d'ombre et ses esprits rebelles. En l'occurrence, la triade de Sandre, Salem et Sahrâ, dont le premier nommé commet, dès la première page, l'un des interdits absolus de Pollen : un meurtre.

Pollen a, sur de nombreux points, des airs d'Ursula Le Guin. D'abord pour sa plongée un peu ardue dans un tout nouveau monde, aux conventions bien différentes des nôtres et qui se dévoileront peu à peu, apportant cette satisfaction de la découverte et de la compréhension de l'altérité. Une différence qui s'étend dans l'écriture de Joëlle Wintrebert, où la règle de primauté s'accorde au féminin. Une discrète touche qui fait pleinement sens.

La société de Pollen est donc un matriarcat et cela fait une bonne base pour classer le roman dans les textes féministes. Pourtant, les enjeux de l'ouvrage sont plus vagues et modérés. C'est là que l'on retrouve certainement le plus grand point commun avec Ursula Le Guin : Joëlle Wintrebert propose un texte tout en nuances, sans manichéisme ou idéalisation, qui pose un regard lucide sur les relations humaines et qui s'avère un formidable hymne à l'égalité. Et tout ça avec un récit dynamique. Un très bon roman en somme.

Couverture : Olivier Fontvieille

samedi 8 octobre 2022

Bulles de feu #44 - Falsifications

A Fake Story, Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx, 2020, 87 planches

Le 30 octobre 1938, Orson Welles et le Mercury Theatre diffusent sur la radio CBS leur célèbre adaptation du roman La Guerre des mondes de H.G. Wells, faisant croire à une invasion martienne et créant un prétendu vent de panique dans tous les États-Unis. L'ampleur du désastre s'avère surestimée, mais pas la réputation qu'y gagne Orson Welles. Cela dit, à Princeton, à proximité du lieu de la prétendue invasion, un drame a bien eu lieu la nuit du canular : un homme, effrayé, se serait suicidé après avoir tué sa femme et tenté de tuer son fils. Inquiète des conséquences légales, CBS envoie Douglas Burroughs, un ancien journaliste de la station, mener l'enquête.

Comme l'indique la couverture, A Fake Story est l'adaptation du roman que Douglas Burroughs a tiré des évènements. C'est un polar assez classique mais bien mené, où les petites révélations se dévoilent de manière fluide jusqu'à la résolution finale qui donnent à voir d'un jour nouveau les premières planches.

Mais l'affaire en elle-même n'est pas réellement le point le plus important de cette BD. Derrière l'enquête se dessine un climat social et historique, où la place des femmes et des noirs n'est évidemment pas enviable. Plus encore se pose la question de la vérité et des preuves qu'on peut en avoir. Le canular de Welles en est le plus flagrant exemple, mais le questionnement se développe surtout au travers des enquêtes journalistiques de Douglas et Aretha. Plus de 80 ans après, les problématiques demeurent identiques.

Une fois la dernière planche terminée, j'ai eu le sentiment que A Fake Story était un bon ouvrage, efficace, mais qu'il restait un peu lambda. Son objectif de prouver la nécessité de toujours recouper les sources et les informations - même s'il est pleinement conscient que cela ne suffit malheureusement pas toujours - est louable et nécessaire mais manque un peu d'ampleur. Sauf qu'il y a un twist. En quelque sorte, puisqu'on peut lire la BD sans jamais s'en rendre compte. Et c'est pourtant là que le travail des auteurs est le plus génial. Je ne peux rien en dire, évidemment, mais il donne une nouvelle dimension au récit et pose surtout une question : avez-vous bien compris la leçon ?

Quelques planches ici.
D'autres avis : Gromovar, Lune, ...

Kosmos, Pat Perna et Fabien Bedouel, 2021, 210 planches

Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong met le pied sur la lune et y plante le drapeau américain. Nul humain n'en a fait autant avant lui. Supposément. Car alors, comment expliquer ce drapeau soviétique qui y flotte déjà, à proximité d'un module lunaire ?

Kosmos est donc une uchronie où l'URSS aurait aluni en premier. Mais si ce point de départ est indéniablement uchronique, le terme est à utiliser avec des pincettes. Kosmos ne va pas vraiment traiter des conséquences de ce changement dans l'Histoire mais plutôt détailler la mission ayant permis aux soviétiques d'être les premiers sur la lune, en survolant au passage une partie de l'histoire de la conquête spatiale russe. Et puis, de toute façon, il n'y a pas réellement une autre Histoire à imaginer, puisque Kosmos narre en fait la véritable Histoire, derrière les secrets des grandes puissances, cachée depuis des décennies.

Plus qu'une uchronie, Kosmos est une BD sur le complotisme, sur les fake news et sur la manipulation des images. Le ton est donné dès l'épigraphe qui cite l'artiste espagnol, adepte du jeu avec la réalité, Joan Fontcuberta :
« La pédagogie du soupçon est toujours nécessaire. Aujourd’hui, les images ne sont plus un moyen de représentation mais sont notre mémoire, notre imaginaire, notre inconscient. Celui qui veut contrôler les esprits doit contrôler les images. »
Kosmos tend à montrer les mécanismes à l'oeuvre dans le complotisme et la manipulation, où le faux s'entrelace au vrai jusqu'à les mettre tous les deux dans une même position de doute. Au-delà de le montrer, Pat Perna en produit un exemple concret avec cette contre-histoire de la conquête lunaire qui ment à la marge pour instiller le doute et créer une certaine crédibilité. Malgré tout, je dois avouer avoir été quelque peu dubitatif une fois ma lecture achevée. L'objectif de la BD et l'effet qu'elle produit ne sont pas clairement évidents, tant elle utilise des mécanismes plus qu'elle ne les déconstruit ou, surtout, n'en propose des solutions. Mais si je suis toujours un peu dubitatif, force est de constater que c'est une BD qui m'a fait faire des recherches et m'a fait m'interroger plus que l'immense majorité de mes autres lectures, ce qui ne peut pas être une mauvaise chose.

S'il y a un questionnement sur le but et la réussite intellectuelle de l'ouvrage, il ne doit pas faire oublier que Kosmos est aussi, surtout, une oeuvre très réussie au niveau du récit et des graphismes. Découpée en très grandes cases, elle offre un rythme rapide qui fait vivre de manière haletante les secondes cruciales de la mission spatiale qui se déroulent dans des timings presque identiques à celles de la lecture. Le dessin est lui quasi-exclusivement en noir et blanc avec une majorité de grands aplats noirs. Cela crée à la fois une certaine patine mais donne surtout une véritable immensité à ce vide interstellaire, avec en prime quelques planches vraiment frappantes. Certainement une raison déjà bien suffisante pour tenter la lecture.

Quelques planches ici.
D'autres avis : Yuyine, ...

dimanche 2 octobre 2022

Claire North - Le Serpent

Le Serpent, Claire North, Tome 1/3 de La Maison des jeux, 2015, 154 pages
« "Ne suffit-il pas de jouer pour le plaisir ?" demande-t-elle.
À ces mots, le visage de l'homme exprime de la terreur. "Miseriez-vous votre
bonheur ? Joueriez-vous votre amour-propre ? Au nom du ciel, ne jouez pas pour le plaisir, pas encore ; pas alors qu'il existe tant d'enjeux moins importants en lesquels investir !" »
Venise, 1610. Engluée dans un mariage avec un homme en pleine déchéance, Thene va par son entremise faire la découverte de la Maison des jeux, lieu où il perd toute sa fortune. Mais la Maison des jeux n'est pas qu'un simple établissement d'argent. Pour les joueurs les plus doués, il existe une arrière-salle privée où les enjeux sont tout autre. Et il s'avère que Thene est très douée. Au point de parvenir à ses fins dans l'élection du prochain inquisiteur au tribunal suprême de la ville ?

J'aime lire sur les luttes de pouvoir, les manigances et les complots. J'aime les jeux, de table et de toute sorte. Les deux sont des guerres de l'esprit, censément moins sanglantes que des guerres physiques, en tout cas pleine d'excitation et de jubilation devant les astuces et les retournements de situation imaginés. Le Serpent est le paroxysme de tout cela, mettant en scène le plus grand plateau de jeu possible, notre monde, et y développant tout un tas de plateaux de jeux plus réduits. Mon excitation pour cet univers n'est pas loin, elle aussi, d'être à son paroxysme.

Le Serpent est un ouvrage excitant, où le jeu est mené tambour battant tout en donnant de l'importance et du temps à chaque coup. Outre son admirable gestion de la pendule, Claire North fait aussi preuve d'un grand talent - au-delà de son héroïne vive, voire badass - pour brosser des personnages secondaires en quelques mots et leur donner une consistance, une âme. Elle s'aide en cela d'apostrophes narratives à la première, voire à la deuxième, personne du pluriel. Ce qui augmente encore plus la taille et les enjeux du plateau, en plus d'assurer l'implication personnelle du lecteurice.

Le Serpent est une excellente novella, assurément l'une des toutes meilleures UHL, dont je ne peux rendre l'ensemble des qualités sans élaborer sur chacune de ses 154 pages. Peut-être ai-je pu douter en voyant l'annonce d'une trilogie de novellas au lieu des habituels one-shot de la collection. Mon sentiment immédiat ne peut pas être plus opposé. Car Claire North a donc écrit deux autres textes dans cet univers, Le Voleur et Le Maître. Rien ne peut me faire plus plaisir, et c'est peu dire, tant cette première novella est une victoire flamboyante.
« - C'est du hasard, ce n'est pas un jeu.
- Tout est hasard. La nature est hasard. La vie est hasard. La folie des hommes est de chercher des règles là où il n'y en a pas, d'inventer des contraintes là où aucune n'existe. Tout ce qui compte, c'est le choix. Alors choisis. Choisis. »
Couverture : Aurélien Police / Traduction : Michel Pagel
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Célinedanaë, Le nocher des livres, OmbreBones, Dionysos, Boudicca, Marc, Mondes de poche, Kwalys, Le Maki, Yuyine, ...

lundi 26 septembre 2022

Keigo Higashino - Le Nouveau

Le Nouveau, Keigo Higashino, 2009, 330 pages

Keigo Higashino est un auteur japonais de polars dont j'ai déjà lu un bon et un très bon roman dans son genre de prédilection : Un café maison et La Maison où je suis mort autrefois. Plus récemment, je l'ai retrouvé en SF avec l'excellent Les Miracles du bazar Namiya. Qui m'a motivé à lire Le Nouveau. J'ai bien fait : c'est certainement ma meilleure lecture de l'auteur.

Le pitch du roman est on ne peut plus simple : une femme est retrouvée morte étranglée dans son appartement. La préfecture de police de Tokyo est chargée de l'enquête, aidée par le commissariat de Nihonbashi, petit quartier commerçant où se déroule l'affaire. C'est dans ce commissariat qu'a été récemment muté Kaga Kyōichirō - le nouveau - un enquêteur au sens de l'observation très développé - ce n'est pas aussi flashy qu'un Sherlock Holmes, mais l'esprit est là.

Dit comme ça, Le Nouveau semble être un polar lambda. Mais le ton et la construction du récit font la différence. Chaque courte partie va ainsi se concentrer sur un groupe de personnages, le plus souvent lié à une des boutiques traditionnelles de Nihonbashi, qui a un lien indirect avec l'affaire. Les pérégrinations de Kaga - un personnage très simple, profondément gentil, avec une vraie présence malgré sa discrétion - vont lui faire résoudre des éléments à priori anecdotiques de l'affaire tout en démêlant d'autres petits mystères liés aux personnes rencontrées. Évidemment, ce sont des petits détails qui finiront par faire la différence et tout viendra se combiner admirablement lors du dénouement.

Le Nouveau ne propose pas un casse-tête très ardu qui entraînera une résolution excitante et mindblowing. C'est un puzzle, une combinaison de puzzles même, dont on ressent la douce satisfaction de voir toutes les pièces s'emboiter parfaitement. Une douce satisfaction qui s'étend au-delà du mystère. L'ambiance du quartier, les personnages, le ton : tout est calme, agréable, doux. Et c'est pourtant bien un polar. Un polar cosy d'excellente facture.

Couverture : Yoshito Hasaka / Traduction : Sophie Refle
D'autres avis : Yuyine, ...

mardi 20 septembre 2022

Terry Pratchett - Au guet !

Au guet !, Terry Pratchett, Tome 8/35 des Annales du Disque-Monde, 1989, 408 pages
« Vous avez raison, monsieur le Secrétaire, dit-il. Comptez sur moi pour lui apprendre que c'est illégal d'arrêter les voleurs. »
Le Guet, c'est la police, un peu au rabais, d'Ankh-Morpork. Mené par le capitaine Vimaire, il voit l'arrivée d'un nouveau membre, Carotte, humain élevé par des nains. Ça ne sera pas de trop pour résoudre le mystère des corps calcinés retrouvés dans les rues de la ville et mettre à bas la société secrète, un peu au rabais elle aussi, qui cherche à invoquer un dragon pour prendre le pouvoir.
« Un Ramkin qui se serait adonné à l'introspection aurait reconnu que la réplique manquait singulièrement d'originalité. Mais elle était commode. Elle joua son rôle. Si les clichés deviennent des clichés, c'est qu'ils sont les marteaux et les tournevis dans la boîte à outils de la communication. »
Au guet ! est le premier tome mettant en scène, comme son nom l'indique, le Guet. Et si tous les livres de ce sous-cycle sont à l'image de celui-ci, il a totalement le potentiel d'être mon préféré. Devant La Mort. Car Au guet ! est incontestablement le meilleur des 8 premiers tomes du Disque-Monde, combinant une intrigue solide qui tient en haleine, des saillies à la Pratchett et des pointes d'humour. Sans oublier de sympathiques personnages.
« S'il y avait une chose qui le déprimait davantage que son propre cynisme, c'était bien de le trouver souvent moins cynique que la vie réelle. »
C'est peut-être le point le plus primordial de ce roman : les personnages. S'ils ne sont pas présentés de manière reluisante au départ, les quatre membres du Guet s'avèrent rapidement être agréables à suivre, ayant un bon fond et une capacité à dépasser leurs imperfections. Individuellement, ils sont tous - tous ! - de bons personnages. Mais ensemble ils forment en plus un groupe qui sent bon la saine camaraderie et qui est franchement plaisant à suivre. Vivement le tome 15 pour les recroiser !
« C'est une métaphore de cette putain d'existence, un dragon. Et comme ça ne suffit pas, c'est en plus un putain de grand bestiau volant qui crache le feu. »
Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

mercredi 14 septembre 2022

Michael Christie - Lorsque le dernier arbre

Lorsque le dernier arbre, Michael Christie, 2019, 587 pages

2038. Les arbres sont devenus une rareté et quelques ilots de verdure, comme Greenwood Island, sont devenus des lieux de tourisme huppés. Bien que surdiplômée, Jake y est guide pour rembourser ses dettes. Jusqu'à ce qu'un ancien ami débarque avec un mystérieux livre qui pourrait faire de Jake l'héritière légitime de l'île.

Si le contexte - d'apocalypse ou d'anticipation, au choix - et la date d'ouverture du roman peuvent le laisser penser, Lorsque le dernier arbre n'est pas réellement un roman de science-fiction. Il a des airs de climate fiction et porte une réflexion écologique sur l'importance des arbres certes, mais ce n'est pas à mon sens l'aspect réellement important et intéressant du livre - mais peut-être est-ce dû à ma lecture récente de l'excellent Jours de sable d'Aimée de Jongh, bien plus passionnant et marquant sur le sujet. Ainsi les parties se déroulant en 2038, 2008 et même en 1974, bien que faisant sens, ne m'ont pas particulièrement enthousiasmé. Ça tombe bien, il y en a deux autres et ce sont les plus volumineuses.

Lorsque le dernier arbre est construit comme la lecture des cernes de croissance d'un arbre, s'enfonçant dans le passé pour ensuite en revenir - sur le même principe, mais dans le sens contraire, que Cartographie des nuages de David Mitchell. Une construction qui fait pleinement sens et qui offre un morceau de choix avec les années 1934 et 1908. On y découvre la vie d'Harris et Everett Greenwood, deux frères de coeur et de circonstances, et la saga familiale dont ils sont les initiateurs.

Car c'est bien ça qu'est Lorsque le dernier arbre : une saga familiale. Une histoire profondément humaine où deux êtres, puis leurs descendances, vont tenter d'exister et de trouver leur place, de faire sens. Un récit de vies, de sacrifices, d'erreurs, d'essais, où les préjugés initiaux que Michael Christie place insidieusement dans la tête du lecteur volent en éclats devant des parcours bien plus complexes qu'imaginés. Un roman tout en nuances de gris.

Couverture : / Traduction : Sarah Gurcel
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Le Maki, ...

jeudi 8 septembre 2022

Julia Von Lucadou - Sauter des gratte-ciel

Sauter des gratte-ciel, Julia Von Lucadou, 2021, 276 pages

Dans un futur proche toujours plus technologique, des athlètes-artistes sautent du haut des gratte-ciel, virevoltant dans les airs jusqu'à éviter l'impact in extremis grâce à leurs Flysuit™. Suivie par des millions de followers, Riva Karnovsky est la plus célèbre d'entre eux. Jusqu'au jour où elle ne veut plus sauter, sans raison apparente, restant atonique dans son appartement. Engagée par son entraîneur et ses sponsors, Hitomi Yoshida, une jeune psychologue, doit essayer de comprendre et remotiver l'acrobate.
« - Ça ne te rend pas furieuse qu'on ne puisse rien décider par nous-mêmes ? avait-elle dit.
- Ils essaient seulement de révéler notre potentiel et de l'encourager. Tu peux toujours dire non.
- Tu connais quelqu'un qui a dit non ?
- Mais ils ne t'obligent à rien. (...) Ils nous montrent juste la meilleure version possible de nous-mêmes, avais-je dit.
- Tu crois vraiment ?
»
Des vies réglées et poursuivies par la technologie, une société du paraitre, quelques machins™, des anglicismes marketing et managériaux : Sauter des gratte-ciel a des airs de (très) soft Bonheur™. Mais si le cadre et la thématique générale jouent dans des registres qu'on peut éventuellement rapprocher, l'impact à la lecture est lui diamétralement opposé. Là où le livre de Jean Baret est trash et impactant, celui de Julia Von Lucadou est bien plus doux et contemplatif.

Cette relative tranquillité est favorable à une réflexion elle aussi douce sur l'impact des technologies et le contrôle qu'elles apportent, donnant des vies bien cadrées, calculées, froides. À l'image de ces vies, le roman de Julia Von Lucadou est maîtrisé. Peut-être trop. Sauter des gratte-ciel n'est pas un livre d'intrigue mais bien de réflexion. Je ne peux pas dire que j'ai passé un mauvais moment en le lisant, mais je n'en ai pas non plus passé un excellent.. C'est intéressant, à défaut d'être palpitant ou enthousiasmant.

Couverture : © Depositphotos / Traduction : Stéphanie Lux
D'autres avis : Lhisbei, Chut maman lit !, ...

vendredi 2 septembre 2022

Bulles de feu #43 - Héroïnes

Zoc, Jade Khoo, 2022, 153 planches

Zoc est une jeune adolescente qui peut tirer de l'eau avec ses cheveux. Un don aussi amusant que dérangeant. Un don surtout qu'elle aimerait mettre à profit dans sa vie d'adulte. Une petite annonce va la mettre en relation avec un village inondé. Serait-ce la solution tant attendue ?

Zoc est une BD surprenante sur ses premières pages. D'abord par son dessin au style unique, pas forcément limpide, un peu crénelé, qui donne une impression entre dessin traditionnel et numérique. Puis avec ses très grandes cases, aux douces couleurs changeantes, rappelant la profondeur présente en couverture et dont l'étendue immerge pleinement le lecteur dans la BD. Enfin par ce personnage principal au don hors du commun, pourtant accepté naturellement par tous les autres protagonistes.

La surprise initiale est rapidement remplacée par une autre sensation : le plaisir. Zoc est une BD toute douce qui ne dépareillerait pas avec les films d'animation du Studio Ghibli - ce qui, dans mes doigts, est un grand compliment. Parce que certains plans sont déjà tout à fait cinématographiques. Mais surtout pour son univers où le fantastique fait partie intégrante de la réalité, pour ses personnages hors du commun traités tout à fait normalement et pour son propos sur le fait de trouver sa place. Et pour sa douceur, donc. Une très belle BD.

Quelques planches ici.

Celle qui parle, Alicia Jaraba, 2022, 208 planches

La Malinche est une figure controversée de l'histoire mexicaine. Fille de noble devenue esclave, sa vie bascule quand elle croise la route du conquistador Hernán Cortés et devient son interprète. Car, maîtrisant plusieurs langues autochtones, elle est "celle qui parle" et va grâce à cela aider les Européens à conquérir le Mexique. Devenant ainsi une fondatrice du peuple mexicain autant qu'une traitresse à ce même peuple.
« Sans doute avait-elle une voix mais La Malinche ne nous a jamais raconté son histoire. Celle qui nous est parvenue l'a été à travers les écrits des Espagnols et les images des codex aztèques sur l'histoire de la Conquista. Dans tous les cas, sa voix nous est restée muette. Seuls des hommes, toujours des hommes, nous ont parlé d'elle. Et cela laisse beaucoup de vides dans l'histoire. J'ai voulu remplir ces vides pour construire ma propre Malinche. Elle est jeune, inexpérimentée, souvent dépassée par les évènements. Mais elle est surtout, je l'espère, humaine. »
Ainsi s'exprime l'autrice dans sa postface, et c'est le meilleur résumé possible de ce qu'est Celle qui parle. À partir des quelques grandes lignes connues de l'histoire de La Malinche, Alicia Jaraba imagine les choix d'une jeune femme dans un monde de multiples fois étranger et hostile. Au-delà de l'aspect historique, de l'importance du langage et du traitement des populations (notamment féminines), elle en fait assurément une figure humaine et un beau personnage de fiction. Ça ne mettra pas fin aux controverses, mais ça en fait au moins une bonne BD.

Quelques planches ici.

samedi 27 août 2022

Martha Wells - Télémétrie fugitive

Télémétrie fugitive, Martha Wells, Tome 6/? de Journal d'un AssaSynth, 2021, 139 pages

On avait laissé AssaSynth à un tournant majeur de sa vie lors du final de Effet de réseau, la première histoire de la SecUnit indépendante au format roman. Avec Télémétrie fugitive, retour au format novella... et retour en arrière dans le temps. En effet, Télémétrie fugitive se situe entre les tomes 4 - Stratégie de sortie - et 5 - Effet de réseau, donc.

Et c'est une novella dans le plus pur style de la série. Ça met en scène une petite enquête à laquelle prend part AssaSynth, simple et efficace. Ce n'est pas là le plus important. Le plus plaisant, c'est de retrouver AssaSynth, sa gouaille, sa psychologie en constante évolution - et relativement apaisée à ce moment de la série, ce qui est d'autant plus agréable à lire - et ses interactions avec les autres personnages, bots compris. Simplement du pur plaisir.

Couverture : Ben Walsh / Traduction : Mathilde Montier
D'autres avis : Lullaby, Zina, Lianne, ...

Premier voyage interstellaire dans le cadre du Summer Star Wars : Obi-Wan Kenobi

dimanche 21 août 2022

Mariana Enriquez - Notre part de nuit

Notre part de nuit, Mariana Enriquez, 2019, 760 pages

Argentine, 1981. Malade, en proie notamment à de terribles migraines, Juan doit pourtant prendre la route avec son jeune fils, Gaspar, pour un long voyage vers le Nord. Mais Juan n'est pas n'importe quel père. C'est un médium qui est capable d'invoquer l'Obscurité, une terrible puissance démoniaque, et qui fait partie malgré lui de l'Ordre, une secte cherchant à contrôler l'Obscurité.

L'histoire de Notre part de nuit est à la fois bien plus importante que ce résumé tout en n'étant guère plus grande. C'est tout le paradoxe de ce roman : son volume est énorme, son intrigue est mince, et pourtant ça se lit tout seul et ça ne donne jamais l'impression de tirer à la ligne. C'est une plongée dans l'esprit et le coeur de quelques personnages, une dissection quasi-littérale qui nous fait vivre leurs joies et, surtout, leurs peines et leurs terreurs. Et le mot est faible.

Notre part de nuit propose des passages terribles, horrifico-gores. Si une présence indicible imprègne l'ambiance à tout moment ou presque, les scènes choquantes restent relativement rares - mais pas moins marquantes. J'ai toujours du mal avec l'horreur, ne comprenant pas le plaisir ou l'intérêt qu'il y a à lire de telles choses. J'y cherche une finalité qu'il n'y a peut-être pas. Il y en a tout de même deux ici à mon sens. L'une est de servir l'intrigue en soi et permet d'aborder l'emprise familialo-sectaire. L'autre se trouve dans la comparaison entre ces extrémités et celles de la dictature argentine (entre autres).

Car si son propos principal est de traiter de personnages, en filigrane Notre part de nuit conte aussi une époque, et même des époques, des années 60 aux années 90, en Argentine principalement avec un détour par le Londres des années 70. Si ça a été pour moi l'occasion de me perdre un peu dans le péronisme, il ne m'aurait pas déplu que cet arrière-plan historique et social soit encore plus présent.

Étant donné tous les freins qui auraient pu entacher ma lecture, Notre part de nuit est une franche réussite. Si la construction du récit, admirable et intelligente, y est pour beaucoup, il y a certainement aussi un peu de magie chamanique dans les mots de Mariana Enriquez, qui parvient à créer une fascination pour ce microcosme n'ayant pourtant rien d'attrayant. Il se passe quelque chose de puissant entre ces lignes, de vivant, de vrai. Et ne vous fiez pas à ses presque 800 pages : c'est encore plus grand à l'intérieur !

Couverture : Alexandre Cabanel / Traduction : Anne Plantagenet
D'autres avis : Tigger Lilly, Gromovar, itenarasa, Lune, ...

lundi 15 août 2022

Feux Divers #13 - Les autrices incontounables en SFFF

Logo réalisé par Anne-Laure de Chut Maman lit !

Il y a deux ans, Vert faisait tabler toute la blogosphère, la twittosphère et d'autres mots en -sphère, sur les livres incontournables récents en imaginaire, pour changer des listes datées qu'on retrouve encore régulièrement dans les médias grand public. Me concernant ça se passait ici, et ça a toujours belle allure.

Cette année, Vert remet ça, avec cette fois pour objectif de mettre en avant des autrices. Pour les détails, c'est par ici : Autrices incontournables en SFFF. Ça se résume ainsi :
« Le principe est simple : présenter soit dix ouvrages écrits par des autrices et appartenant aux littératures de l’imaginaire (SF, fantasy, fantastique) soit dix autrices de littératures de l’imaginaire qui sont pour vous incontournables, quelle qu’en soit la raison. »
Ça sera forcément incomplet, frustrant et soumis à modification dès ma prochaine lecture, mais ça ne peut jamais faire de mal de mettre en avant d'excellentes autrices. Mini-contrainte personnelle : je ne cite que des autrices dont j'ai lu au moins deux textes - désolé Octavia, désolé Becky, désolé tant d'autres. Oh, et puis comme je n'ai pas envie de choisir entre mes très bonnes lectures ou celles qui sont désormais un peu floues dans mon esprit, je n'en ai finalement gardé que 8, la crème de la crème, l'incontournable de l'incontournable. Avec à chaque fois un titre à particulièrement mettre en avant.

Par ordre alphabétique :


 Nina Allan
La Course

Une autrice à part, dont chaque livre est unique tout en n'ayant de cesse de questionner la notion de réalité.

Si je conseillerais à n'importe qui de commencer par l'excellent La Fracture, la baffe initiale que j'ai prise en lisant La Course ne sera pour moi jamais supplantée.


Hiromu Arakawa
FullMetal Alchemist

Parce que les BDs et les mangas d'imaginaire font partie des littératures de l'imaginaire. Mais nul besoin de prétexte : Hiromu Arakawa est une raison en soi pour être citée ici, tant la présence de son nom sur une oeuvre justifie de plonger dedans les yeux fermés.

Silver Spoon est très bon, Arslan Senki est, pour le peu que j'en ai lu, aussi de qualité, mais son chef-d'oeuvre reste FullMetal Alchemist. S'il ne devait rester qu'un seul shonen, ces mangas axés action véhiculant de bonnes valeurs, ça serait surement celui-ci.


Kij Johnson
Un Pont sur la brume

Parce que Un Pont sur la brume, la plus belle novella de l'excellente collection UHL (qui multiplie pourtant les excellentes publications).

Mais ce n'est pas son seul texte marquant. Si ses nouvelles sont souvent étonnantes, Retour à n'dau a prouvé que Kij Johnson fait preuve d'une maitrise rare dans la simplicité et la subtilité.



Ursula Le Guin
Tehanu

L'une des idées de Vert avec ce tag est de faire en sorte qu'Ursula Le Guin ne soit pas l'autrice qui occulte toutes les autres. Et donc... je vais quand même la citer. Parce qu'Ursula Le Guin, quand même.

J'aime beaucoup sa SF avec l'Ekumen, mais plus le temps passe et plus mon oeuvre préférée se trouve du côté de sa fantasy avec Terremer, un cycle qui multiple les grands textes. Particulièrement avec son chef-d'oeuvre, un ouvrage sublime : Tehanu.


Laurine Roux
Une immense sensation de calme

Ma plus récente découverte, mais pas des moindres. Je ne suis pas capable de décortiquer et d'analyser en profondeur la manière d'écrire des auteurices. Mais je peux dire que l'écriture de Laurine Roux est exceptionnelle et justifie à elle-seule la lecture de ses textes. Et je dis ça alors même que je préfère quand il se passe quelque chose dans les récits que je lis.

Le Sanctuaire est un très bon texte, porté par l'écriture de Laurine Roux donc, mais Une immense sensation de calme, au titre parfait, est encore un cran au-dessus.



Priya Sharma
Des Bêtes fabuleuses

Deux textes, une novella et une nouvelle, et deux très grandes réussites. Il n'y a guère d'ouvrages que j'attends plus que le futur recueil de l'autrice publié par Le Bélial'.

Difficile de faire un choix entre ses deux récits. Ormeshadow est un texte poignant, quand Des Bêtes fabuleuses frappe encore plus fort. Je mets tout de même la couverture du premier cité, pare que c'est la plus belle de tous les UHL.



Rivers Solomon
L'Incivilité des fantômes

Rivers Solomon n'est pas à proprement parler une autrice puisqu'iel est non-binaire, mais ça me semble pleinement dans l'esprit du tag. Et s'il y a pas mal de douceur chez les autrices citées plus haut, Rivers Solomon permet un joli contrepoint car ses ouvrages frappent fort.

Les Abysses est un très bon roman, atypique comme Rivers Solomon sait les faire, mais L'Incivilité des Fantômes est vraiment une très grande claque.


Jo Walton

Mes vrais enfants

Fantasy domestique, polar uchronique, fantastique, fantasy victorienne à dragons,... Jo Walton écrit des ouvrages de tous types. Et elle le fait toujours bien.

Une véritable valeur sûre qui peut tout de même se résumer facilement en un ouvrage, un chef-d'oeuvre : Mes vrais enfants.

lundi 8 août 2022

Guillaume Chamanadjian - Trois lucioles

Trois Lucioles, Guillaume Chamanadjian, Tome 3/6 de la Tour de Garde, Tome 2/3 de Capitale du Sud, 2022, 394 pages

Après Le Sang de la Cité, Trois lucioles poursuit les aventures de Nox, l'épicier-un-peu-plus-qu'épicier, dans la ville de Gemina. Situé dans la continuité presque immédiate du premier volume, le récit démarre sur un rythme déjà bien engagé, sans que ça ne soit non plus sur les chapeaux de roues. À posteriori, on peut même dire que c'est relativement calme. Relativement, tant tout ne va aller que crescendo jusqu'à la dernière page.

Trois lucioles ne souffre pas du syndrome du deuxième tome, parfois synonyme de tome de transition dans une trilogie. Il sert bien sûr à avancer les pions et à préparer le feu d'artifice final. Mais il est surtout pleinement satisfaisant en soi, apportant autant de développements dans les relations et personnalités des personnages que de petites révélations sur le mystère qui rôde derrière cette ville de Gemina. Sans compter quelques actions d'éclat. Le tout faisant sens, ne donnant jamais l'impression de décisions imbéciles ou d'aveuglement pour faciliter le récit.

S'il faut vraiment trouver un léger bémol, je ne suis pas fan des petites prémonitions sur la suite du récit, même si c'est heureusement moins présent que dans Citadins de demain - premier tome de la trilogie parallèle de Claire Duvivier. Un bémol que compense allègrement la présence d'un résumé du tome 1 en début d'ouvrage. Et surtout par le fait que Trois lucioles est un très bon roman, très plaisant. Une nouvelle réussite pour Guillaume Chamanadjian, qui ne donne qu'une hâte : lire le troisième et dernier tome !

Couverture : Elena Vieillard
D'autres avis : Tigger Lilly, Le Nocher des livres, Célinedanaë, ...