vendredi 29 mars 2019

Bulles de feu #12 - Histoires de guerres

Le Chant du Cygne, Série terminée en 2 tomes, Xavier Dorison, Emmanuel Herzet et Cédric Babouche, 2014-2016, 57 et 65 planches.

1917. Suite à la dévastatrice bataille du Chemin des Dames, une pétition circule entre soldats français pour faire arrêter cette boucherie. Une pétition qui tombe entre les mains du lieutenant Katz et de ses hommes, qui devront se rendre au plus vite à Paris pour la remettre au Parlement et faire écarter le général Nivelle.

Sous couvert d'une imaginaire (?) pétition, les auteurs nous proposent une sorte de "buddy-road-movie" où une bande de soldats doit parvenir à Paris, non sans, évidemment, devoir éviter un lot d'embuches. Ne vous fiez pas complètement à ma qualification : Le Chant du Cygne n'est pas une amusante balade dans la campagne. Au contraire. Et pourtant, le ton est finement dosé : c'est dur, c'est dramatique, mais ça reste dans le même temps très agréable à lire. Une contradiction en grande partie rendue possible par un dessin (à découvrir ici) qui parvient à dédramatiser l'ambiance.

Un intelligent et émouvant diptyque qui permet d'évoquer habilement les mutineries de 1917. À lire.

Carton jaune !, Didier Daeninckx et Asaf Hanuka, 1999, 52 planches.

Carton jaune ! est inspiré de l'histoire du boxeur Young Perez. Sauf qu'ici l'histoire est celle de Jacques Benzara, un jeune footballeur repéré à Tunis qui va devenir une star à Paris. Mais nous sommes à la fin des années 1930 et son avenir risque de s'ombrager...

Carton jaune ! est une BD assez anodine. Ça se lit mais, malgré un sujet grave, ça ne marque pas et cela manque quelque peu d'émotion et d'implication. Mais le problème principal n'est même pas là. Pourquoi Jacques Benzara et non Young Perez ? Pourquoi avoir inventé un personnage imaginaire, inspiré de, alors que l'histoire de Young Perez aurait, elle, eu d'emblée le parfum de l'Histoire et aurait certainement été plus marquante ? Une occasion ratée - un comble pour un attaquant de pointe.

(notez que d'autres, heureusement, ont depuis corrigé le tir et publié des BD sur Young Perez)

lundi 25 mars 2019

Catherine Dufour - Le Goût de l'immortalité

Le Goût de l'immortalité, Catherine Dufour, 2005, 318 pages.
« C'est courageux. J'ai donc décidé de l'être à mon tour et de vous faire une série d'aveux. C'est le nom qu'on donne aux explications quand elles sont pénibles. »
Et la narratrice de se lancer dans une longue lettre - ce roman - retraçant une série d'évènements ayant bouleversé sa vie - et ce n'est pas peu dire. L'occasion d'apprendre à mieux la connaitre, certes, mais surtout de découvrir un futur hors du commun où les rapports de force ont évolué à l'extrême.

Je n'ai pas envie d'en dire beaucoup plus concernant l'histoire et l'univers. D'une parce que c'est loin d'être facile à résumer et que j'en serais bien incapable. De deux pour ne rien divulgâcher, le plaisir étant ici clairement à la découverte.

Le Goût de l'immortalité est un roman qui tient presque du fix-up dans sa construction tant s'enchaînent de longues parties centrées sur des personnages différents - à l'exception de la dernière, bien évidemment. Ce n'est nullement gênant tant le "plaisir" est de découvrir ce monde et ses changements.

Notez les guillemets à "plaisir". Car Le Goût de l'immortalité n'est pas un livre misant sur le bonheur et la félicité. C'est un livre cru où l'écriture de Catherine Dufour envoie des baffes et parle aux tripes, tout en restant assez facilement lisible - à une exception près, trigger warning, d'une scène de viol. Passez outre : c'est un roman différent à tous les niveaux et c'est une raison suffisante de le lire.
« Ils ont assez de culture et de loisirs pour pouvoir se livrer au jeu angoissant de l'anticipation. Je n'arrive pas à leur trouver d'excuses. »
D'autre avis : Le chien critique, Vert, AcrO, Lhisbei, Herbefol, Gromovar, ...

mardi 19 mars 2019

Paolo Bacigalupi - Ferrailleurs des mers

Ferrailleurs des mers, Paolo Bacigalupi, 2010, 394 pages.
« - Ce n'est pas parce qu'un marché existe qu'il faut le servir. (...)
- T'essaies de me dire que tes dealers de rouille ont la conscience propre ? Que raffiner du pétrole est plus sale que d'acheter notre sang et notre rouille pour vous fournir en matières premières ? »
Aux États-Unis, dans un futur proche, dans un monde changé par le dérèglement climatique. Nailer fait partie d'un groupe de légers : comprendre un groupe de ferrailleurs qui vit en récupérant du cuivre, au péril de leurs vies, sur les câblages électriques des navires échoués. Il ne rêve que d'une chose : un "Lucky Strike", une grosse découverte - du pétrole par exemple - pour lui permettre de devenir riche et changer de vie. Le Dieu Ferrailleur sera-t-il de son côté ?

Évidemment il va se passer quelque chose d'inhabituel, sinon le roman n'aurait pas de raison d'exister. Et ça aurait été bien dommage, tant il est de qualité. Pourquoi ? En grande partie pour son rythme à la limite de la perfection. Pour un roman aussi "simple" dans le déroulé - le vrai aspect "Young Adult" de l'ouvrage - tout s'enchaine très bien, ni trop rapidement ni trop lentement, et surtout, encore plus rare, sans scène inutile ou ennuyante.

L'autre force de Ferrailleurs des mers, c'est son contexte, tout autant futur que présent, et les thématiques abordées intelligemment. Car pas de didactisme au programme : les idées passent naturellement, en toile de fond de l'oeuvre, sans être forcés. C'est une bonne chose : au-delà des messages, Ferrailleurs des mers n'oublie pas d'être avant tout un bon livre dans son déroulé, et ce pour tous les publics. Il n'en est que d'autant plus recommandable.
« - Ça fait foutrement beaucoup d'argent, dit-il. Et, si tu penses que t'as une moralité, c'est parce que t'as pas besoin d'argent. »
D'autre avis : Lune, Xapur, Kissifrott, Vert, Lhisbei, ...

mercredi 13 mars 2019

Colum McCann - Treize façons de voir

Treize façons de voir, Colum McCann, 2015, 302 pages.

Treize façons de voir, dont le nom et le texte font référence au poème Thirteen Ways of Looking at a Blackbird de Wallace Stevens, est le nom de la novella qui ouvre et est la pièce principale de ce recueil éponyme. Un recueil qui comporte donc cette novella mais aussi 4 nouvelles. Toutes suivent des personnages ordinaires dans des moments de vie cruciaux, comme sait si bien le faire Colum McCann. C'est d'ailleurs le véritable point fort de ce recueil : retrouver la plume de Colum McCann et cette écriture simple, fluide et agréable, qui sait pourtant donner corps aux lieux et aux personnages en peu de termes et toucher du mot le "vrai". 

Ce n'est pas ce que j'ai lu de meilleur de l'auteur, ou tout du moins ce qui m'a semblé le plus marquant - ne serait-ce qu'en comparaison de nouvelles, Ailleurs, en ce pays m'avait paru plus fort. Ça reste bien, mais il m'a globalement manqué un petit quelque chose que je n'arrive pas à définir précisément. On en gardera tout de même avec plaisir l'amusante et intelligente, quoique potentiellement frustrante, "Quelle heure est-il, maintenant, là où vous êtes ?" au si joli titre.

vendredi 8 mars 2019

Laurent Genefort - T'ien-Keou

T'ien-Keou, Laurent Genefort, 2019, 25 pages.
« Tout avait commencé par une fleur. Pas une fleur ordinaire, oh non. Celle-là était vraie. »
Ou-I-Pai est un bandeau bleu - il n'appartient pas encore à un clan - au service du peintre Teng Baishi. Un jour, ce dernier lui demande d'aller voler une fleur. Une vraie fleur, chose extrêmement rare. Car cette société aux accents chinois n'est pas sur Terre : elle est dans l'espace.

Extrait du recueil Colonies de Laurent Genefort, T'ien-Keou est une nouvelle téléchargeable gratuitement sur le site du Bélial'. Sans surprise vis-à-vis de l'objet du recueil, on y découvrira une colonie, spatiale en l'occurrence. On y retrouvera surtout l'art du worldbuilding de Laurent Genefort. Fort heureusement, l'histoire n'est pas en reste et est prenante tout en étant au service de l'exploration de cette société. Intéressant sur tous les plans, de quoi donner envie de lire le recueil dans son ensemble.
« Selon une autre légende, le patriarche aurait demandé à Teng d’effacer la cascade qu’il avait peinte sur un mur de sa chambre, parce que le bruit de l’eau l’empêchait de dormir. »
D'autre avis : Apophis, ...

dimanche 3 mars 2019

Ursula K. Le Guin - Lavinia

Lavinia, Ursula K. Le Guin, 2008, 311 pages.

Dans la dernière partie de l'Énéide, Énée arrive en Italie, dans le Latium, à proximité de la future Rome, pour fonder un nouveau royaume. Il y prendra pour femme Lavinia, un personnage très peu décrit et utilisé par Virgile. C'est pourtant cette femme qu'Ursula Le Guin met en scène ici, narrant la fin de l'Énéide (et au-delà) à travers les yeux de Lavinia.

Lavinia est un livre particulier, bien différent d'autres oeuvres plus connues de l'autrice, puisqu'il est quasi-réaliste et repose sur une base réelle. L'histoire y est très simple, voire trop simple, l'ennui n'étant pas loin de pointer son nez - ou tout du moins une sensation de "c'est tout ?". Ce n'est pas le meilleur livre d'Ursula Le Guin, ça parait un peu bancal présenté comme cela, et pourtant ça fonctionne quand même.

Ça fonctionne pour deux raisons. La première, c'est l'écriture d'Ursula Le Guin, toujours aussi majestueuse et précise, tout en simplicité mais jamais simpliste. La seconde, c'est qu'on ressent la passion de l'autrice pour l'oeuvre de Virgile et sa volonté de présenter, au-delà d'un portrait de femme et avec quelques libertés, une époque et une culture révolues.

Lavinia n'est pas un livre qui met des baffes au lecteur. Il a quelques défauts, comme de n'être ni surprenant ni vraiment dynamique. Et pourtant, c'est un livre qui fonctionne, dont on ressort satisfait et qui se bonifie à la réflexion. C'est un voyage idéalisé dans un lointain passé. C'est une pause printanière sous un arbre, un livre à la main. C'est dépaysant, ça invite notre esprit au voyage, et c'est déjà beaucoup.

D'autre avis : Vert, Lutin82, Célindanaé, ...