vendredi 23 décembre 2022

Terry Pratchett - Les Zinzins d'Olive-Oued

Les Zinzins d'Olive-Oued, Terry Pratchett, Tome 10/35 des Annales du Disque-Monde, 1990, 412 pages

Direction Ankh-Morpork pour cette nouvelle escapade sur le Disque-Monde. Pour le début de l'histoire en tout cas, le temps que quelques alchimistes inventent les images animées et les clics. Ensuite, direction Olive-Oued, nouvelle oasis pour les réalisateurs et acteurices en devenir. Rien de vraiment dangereux en somme. Et pourtant, les failles dans la Réalité sont au plus haut.

Enchaînant les tomes par ordre de parution, je ne cherche pas à savoir de quoi va parler le prochain volume. J'ai donc mis un certain temps avant de comprendre le jeu de mots caché derrière "Olive-Oued" et, par conséquent, le thème du livre : le cinéma ! Les Zinzins d'Olive-Oued est un tome 'indépendant' qui retrace les débuts et l'expansion de l'industrie cinématographique. C'est plein d'humour et d'exagération, évidemment, en plus d'un grand nombre de références à des films et personnages cultes, mais c'est surtout un livre très malin et lucide dans la critique qu'il fait de cet univers.

Les Zinzins d'Olive-Oued n'est cela dit pas le meilleur des livres du Disque-Monde. Il est bon sans jamais être réellement brillant. Une preuve en est peut-être l'absence de citations dans ce billet, dû au fait que le roman repose bien plus sur une situation générale qui se file sans cesse que sur des saillies percutantes et mémorables. Il est aussi un peu long dans son dernier quart, quand la résolution devient prévisible et qu'il ne s'agit plus que d'un enchaînement d'actions pour y arriver. Mais ce n'est pas bien grave, le tournage était tout de même agréable. Même si ça manque d'éléphants.

Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

samedi 17 décembre 2022

Hiro Arikawa - Au prochain arrêt

Au prochain arrêt, Hiro Arikawa, 2008, 184 pages
« Le héros de ce roman est la ligne Hankyū Imazu, l’une des moins connues du réseau Hankyū. »
La ligne Hankyū Imazu est une ligne de train dans la périphérie d'Osaka, reliant les stations de Takarazuka et de Nishinomoya-Kitaguchi - elle se prolonge en fait, comme son l'indique, jusqu'à Imazu, deux stations plus loin, mais cela nécessite un changement de rame. Et comme sur toutes les lignes du monde, des petites histoires se font et se défont le temps d'un court trajet et des rencontres aléatoires que seuls les transports en commun peuvent créer. Ce sont quelques-unes de ces histoires que nous raconte Hiro Arikawa, au fil d'un aller et d'un retour.

Dans mon parcours de lecteur j'ai rapidement perdu le goût pour les cartes qu'on trouve parfois en début d'ouvrage, le plus souvent dans les livres de fantasy. Plutôt que d'aller vérifier sans cesse la position de tel lieu, je préfère pouvoir imaginer librement un monde ne correspondant certes pas à la réalité inventée par l'auteur mais me permettant une visualisation plus efficace et une appréciation plus instinctive. Au prochain arrêt n'est absolument pas un livre de fantasy. Pourtant, c'est un peu l'exception à ma "règle" : j'y ai totalement retrouvé ce plaisir d'aller régulièrement regarder où se situe l'action.

Ainsi j'ai parcouru la ligne Hankyū Imazu au rythme de la plume d'Hiro Arikawa et de mes escapades sur Google Maps - saviez-vous qu'il existe une crêperie bretonne à proximité d'Obayashi ? De station en station, au gré des montées et des descentes, j'ai fait connaissance avec quelques voyageurs. J'ai eu un rapide aperçu de leurs vies, leurs passés se sont quelque peu dévoilés et leurs futurs se sont entrouverts devant moi, jusqu'à ce que nos chemins se séparent à nouveau. Comme un heureux hasard - mais qui n'en est pas réellement un pour quiconque à ses habitudes dans un transport en commun - je les ai recroisés lors d'un voyage retour, quelques mois plus tard. Et cette fois les séparations furent définitives, ne laissant derrière elles que le doux souvenir de ces éphémères rencontres.

Au prochain arrêt est un roman si bien écrit que les héros de l'histoire sont autant - comme l'annonce l'introduction du livre citée plus haut - la ligne de train elle-même que ses personnages, sans déséquilibre, la valse de ces voyageurs étant habilement menée au gré des différents arrêts. Cela donne une collection de tranches de vie simples et douces, qui laisse du baume au coeur mais qui dans le même temps interroge discrètement quelques questions de société. Une réussite complète, une très agréable lecture. Que Le Chat du Cheshire soit amplement remerciée pour cette découverte.

Couverture : ? / Traduction : Sophie Refle
D'autres avis : Le Chat du Cheshire, ...

dimanche 11 décembre 2022

P. Djèli Clark - Les Tambours du dieu noir

Les Tambours du dieu noir, P. Djèli Clark, 2016-2018, 137 pages

En cette fin du XIXème siècle, La Nouvelle-Orléans est un territoire neutre où toutes les rencontres et transactions sont possibles. LaVrille est une jeune fille débrouillarde y survivant comme elle peut. Une oreille involontairement indiscrète va la mettre sur la route d'une arme des plus terribles. Heureusement, elle pourra compter sur Oya, la divinité yoruba qui fait partie d'elle, et sur Ann-Marie, capitaine d'un dirigeable pirate.

L'intrigue entière de Les Tambours du dieu noir tient en quelques lignes. La petite centaine de pages de la novella passe pourtant à la vitesse grand V et se lit avec enthousiasme tant son univers est passionnant. Le récit est bon et agréable à suivre, mais c'est vraiment le cadre qui sort du lot, avec cette Nouvelle-Orléans uchronique aux accents steampunk. Un îlot de paix au milieu de la guerre aux airs de gigantesque métissage. L'immersion est rendu encore plus forte grâce à l'écriture de P. Djèli Clark - et la certainement excellente et impressionnante traduction de Mathilde Montier - rendant les paroles d'Ann-Marie dans un style parlé caribéen (?), proche de ce qu'on a déjà pu découvrir dans Ring Shout.

À la suite de cette très bonne novella se trouve une nouvelle, L'Étrange Affaire du djinn du Caire. Direction cette fois Le Caire en 1912, dans une Égypte où l'espace entre les mondes s'est ouvert pour laisser passer quelques figures mythologiques. Fatma y est une agente du ministère de l’Alchimie, des Enchantements et des Entités surnaturelles et va enquêter sur la mort mystérieuse d'un djinn.

Cette nouvelle partage quelques points communs avec la novella la précédant - une uchronie, des divinités, une ampleur d'intrigue potentiellement dévastatrice, ... - tout en étant fondamentalement différente. Outre l'univers, intrigant même s'il m'attire moins que La Nouvelle-Orléans, c'est cette fois une véritable enquête que nous livre l'auteur. Et en une trentaine de pages, ça tient étonnamment bien la route et donne un bon récit, achevant de faire de ce livre une très bonne porte d'entrée pour découvrir P. Djèli Clark.

Couverture : Benjamin Carré / Traduction : Mathilde Montier
D'autres avis : Sabcz, OmbreBones, Yuyine, L'ours inculte, Célinedanaë, lutin82, Boudicca, Chut maman lit !, Le nocher des livres, Elwyn, Marc, Apophis, ...

lundi 5 décembre 2022

Bulles de feu #45 - La Bibliomule de Cordoue

La Bibliomule de Cordoue, Wilfrid Lupano et Léonard Chemineau, 2021, 251 planches

Califat de Cordoue, fin du Xème siècle. Sous les règnes d'Abd Al-Rahman III et d'Al-Hakam II, le califat a vécu une période de prospérité et de relative paix où le développement de la vie culturelle fut une des priorités, notamment par l'établissement d'universités et de bibliothèques. Mais à la prise de pouvoir d'Almanzor, leur successeur, tout change et l'une des premières décisions du nouveau calife est de brûler la majorité des livres. Tarid, bibliothécaire, accompagné de Lubna, une esclave instruite, et de Marwan, un ancien apprenti devenu voleur, décide alors d'en sauver le maximum en fuyant avec une mule chargée plus que de raison.

Assez étonnamment, je n'ai pas eu de vrai grand coup de coeur pour La Bibliomule de Cordoue. C'est ce que je peux dire de plus négatif sur cette BD. Car malgré cela, La Bibliomule de Cordoue est indéniablement un excellent ouvrage qui réussit tout ce qu'il entreprend et qui mérite incontestablement d'être lu. Car c'est un livre aussi intelligent dans son fond que dans sa forme.

Le fond, c'est une ode aux savoirs et à la nécessité de les conserver et de les protéger. En miroir, c'est la dénonciation des fanatismes en tout genre qui cherchent à les éradiquer pour mieux s'imposer. Cela vaut pour le règne d'Almanzor présenté ici, mais cela prend place à toutes les époques, la nôtre en tête, ce qui est judicieusement explicité en fin d'ouvrage.

Pourtant, l'ambiance n'est pas du tout pesante. La Bibliomule de Cordoue une BD tout à fait plaisante, voire joyeuse. Ce grâce à l'habile alternance entre les péripéties rocambolesques et les running gags à base de bibliomule - qui déteste les mathématiques - d'un côté et les passages plus sérieux sur le passé des personnages et la situation socio-politique de l'autre. C'est intelligemment construit et le rythme est absolument impeccable, sans lassitude ou manque sur aucun des aspects. Ce mélange de sérieux et d'amusement est d'ailleurs parfaitement synthétisé par le style graphique de Léonard Chemineau, avec un trait à la fois net et précis tout en gardant une bonne part de fun.

Il n'y a guère de surprise à ce que tout soit millimétré et maitrisé avec Wilfrid Lupano au scénario. Je n'ai pourtant pas manqué d'être impressionné par la créativité dont les deux hommes font preuve ici. Ils utilisent à fond le média bande-dessinée et ce qu'il permet. Cela se situe autant dans la liberté dans les enchaînements de cases ou les petites trouvailles à l'intérieur de celles-ci que dans l'utilisation des planches sans bulle qui permettent des transitions et des respirations qui en disent pourtant au moins autant que les autres planches. C'est éminemment respectable et agréable, et ça participe du fait que La Bibliomule de Cordoue est une excellente BD.

Quelques planches ici.
D'autres avis : Tigger Lilly, Yuyine, ...