mercredi 30 juin 2021

Emily St. John Mandel - Station Eleven

Station Eleven, Emily St. John Mandel, 2014, 475 pages

En pleine représentation du Roi Lear, Arthur Leander s'effondre et meurt, malgré l'intervention rapide d'un secouriste, sous les yeux de Kirsten Raymonde, une jeune enfant actrice.
« De tous ceux qui étaient présents ce soir-là, ce fut le barman qui survécut le plus longtemps. Il mourut trois semaines plus tard, sur la route, en quittant la ville. »
Deux périodes se chevauchent dans la narration de Station Eleven : l'avant épidémie, où l'on découvre la vie d'Arthur et de certains autres personnages gravitant autour de lui, et l'après épidémie, où les rares survivants, Kirsten en premier lieu, évoluent dans un monde post-apocalyptique. Les deux trames, en plus d'avoir leurs vies propres, sont évidemment liées, se développant l'une l'autre. À défaut d'être réellement ambitieuse, restant finalement assez simple, cette construction est réussie et est surement l'une des points forts de l'ouvrage.

Bien plus axé sur des tranches de vie que sur une véritable intrigue, Station Eleven est un bon roman, solide, mais qui ne m'aura jamais enthousiasmé plus que ça. Il comporte pourtant pas mal de bons éléments, mais beaucoup semble avoir déjà été vu en mieux ailleurs. Surtout, l'assemblage fonctionne mais manque d'une étincelle, d'un petit quelque chose pour rendre le récit vraiment spécial. Un roman néanmoins plaisant à lire, loin d'être morose malgré la thématique, mais qui ne m'aura pas marqué plus que ça.

Couverture : Michael Kenna / Traduction : Gérard de Chergé
D'autres avis : Lune, Lorhkan, Gromovar, Yuyine, Yogo, Acr0, ...

jeudi 24 juin 2021

Charles Yu - Chinatown, Intérieur

Chinatown, Intérieur, Charles Yu, 2020, 270 pages

Willis Wu est un acteur américain d'origine taïwanaise. Vivant à Chinatown, il enchaine les petits rôles d' "Asiat' de service". Avec un rêve à l'esprit, depuis qu'il est petit : devenir Mister Kung-Fu, la tête d'affiche asiatique d'un film d'arts martiaux, symbole ultime de réussite.

Chinatown, Intérieur est un excellent roman, tant sur le fond que sur la forme. Une forme présente dès le titre, une didascalie qui n'est qu'un infime exemple du style employé à l'intérieur, tout en mise en forme de scénario. Un choix surprenant mais finalement très malin, qui brouille les cartes entre la vie filmée de Willis et sa vie hors-caméra, les deux se mélangeant et résonnant allègrement.

Autant scénario de film que scénario de vie, Chinatown, Intérieur pointe le système hollywoodien mais surtout et plus globalement le racisme anti-asiatique des États-Unis où le focus d'opposition n'est qu'entre Noir et Blanc. Charles Yu sait évidemment de quoi il parle, lui-même américain d'origine taïwanaise. Il propose un intelligent décorticage, sans apitoiement, des raisons de ce racisme, n'épargnant pas les asio-américains eux-mêmes pour leur intégration subconsciente de cet état de fait. Et ce avec un roman agréable à lire et créatif. Indéniablement un roman majeur sur le sujet.
« (...) et c'est comme si vous veniez juste d'arriver, et pourtant c'est comme si vous n'étiez jamais vraiment arrivés. Vous êtes censés être là, dans un nouveau pays, plein d'opportunités, mais sans savoir comment, vous vous retrouvez piégés dans une version de pacotille de votre ancien pays. »
Couverture : Elena Vieillard / Traduction : Aurélie Thiria-Meulemans
D'autres avis : Gromovar, Marc, ...

vendredi 18 juin 2021

Eoin Colfer - Le Dernier Dragon sur Terre

Le Dernier Dragon sur Terre, Eoin Colfer, 2020, 399 pages

Vern est un dragon, le dernier vivant sur Terre. Pour échapper aux humains, il se terre au fond du bayou, au large de La Nouvelle-Orléans, regardant des séries et buvant des litres de vodka pour passer le temps et ne pas se faire repérer. Une vie solitaire, trop solitaire, désèspérement solitaire. Jusqu'à ce que le hasard lui fasse rencontrer Squib, un jeune garçon débrouillard qui va considérablement modifier sa routine de vie.

Le Dernier Dragon sur Terre est un sympathique roman, enlevé et efficace comme sait si bien en faire Eoin Colfer. Si la première partie pose de sympathiques personnages - sauf le méchant, vraiment méchant - et de solides bases et problématiques qui font sens, la seconde moitié offre un récit bien plus actif et musclé, ce qui n'est pas tout à fait surprenant quand on connait l'auteur. C'est franchement agréable et prenant à lire.

Loin d'un roman classique de fantasy, il propose un ton et un cadre moderne, avec ses références de pop culture et ses grossièretés saupoudrées en quantité raisonnable. Nullement enfantin malgré une certaine simplicité, le roman est aussi parsemé de quelques scènes qui pourraient faire une belle liste de content warning. Le tout donne une sorte de Peter et Elliott le dragon version adulte et réactualisée - mais ne dites rien à Vern, il me cramerait s'il savait que j'ai écrit ça - tout à fait plaisant.

Couverture : MUTI - Folio Art / Traduction : Jean-François Ménard
D'autres avis : Vert, ...

samedi 12 juin 2021

Laurine Roux - Une immense sensation de calme

Une immense sensation de calme, Laurine Roux, 2018, 119 pages

Une jeune femme rencontre et tombe éperdument amoureux d'un mystérieux homme des bois, livreur de poissons séchés à des personnes isolées dans la montagne. C'est le début d'une nouvelle vie dans un monde troublé et déliquescent.

Comme ce piètre résumé ne le montre pas, Une immense sensation de calme est un court roman très réussi, tout en ambiance, entre post-apo et nature writing. Comme ce résumé le montre, l'histoire de base est déroutante, peu engageante, et il faudra un certain temps, jusqu'à peut-être comme moi l'histoire plus consistante et linéaire de la vie de Grisha, pour réellement accrocher au récit.

Pourtant, la réussite de la construction est déjà en cours. Car si le départ est quasiment frénétique, plein de pulsions et d'une vivacité débordante, mettant à rude épreuve les capacités du lecteur à assimiler l'univers et les personnages, l'apaisement l'emporte peu à peu. Sans nous en rendre compte, le livre a créé une petite bulle paisible, en accord parfait avec le cheminement de la narratrice, jusqu'à procurer une immense sensation de calme. Chapeau.

Couverture : Fog, hearth, © SirisVisual
D'autres avis : Yuyine, ...

dimanche 6 juin 2021

David Mitchell - L'Âme des horloges

L'Âme des horloges, David Mitchell, 2014, 780 pages

Après une dispute avec sa mère, Holly Sykes, 15 ans, décide de fuguer. Pensant se réfugier chez son petit-ami, elle découvre que celui-ci la trompe et prend alors la route.

Voilà pour le résumé plus que succinct de l'histoire. Ou plutôt le résumé du début de la première partie de l'histoire, pour ce roman où chacune des grandes parties suit le point de vue d'un personnage différent, à première vue indépendant du reste mais qui s'avèrera finalement toujours lié à Holly Sykes, qui sert de fil rouge au livre.

Le résumé est aussi succinct car l'un des plus grands plaisirs de cette lecture est de découvrir peu à peu le mystère existant via la partie fantastique du récit et ses implications littéralement hors du commun. Les quatre premières parties peuvent à ce titre presque être considérées comme de la mise en place. Ce sont pourtant les plus passionnantes, des fragments de vie admirablement narrés, simples et tortueux à la fois.

L'excellence de ce qui représente les 4/6èmes du roman laisse ensuite place à une partie consacrée à la résolution de l'aspect imaginaire du récit, active et solide mais un chouïa en dessous. Comme un comble, c'est presque trop de pur imaginaire. À tellement bien présenter ses personnages et à faire de L'Âme des horloges un roman traitant des causes et conséquences ordinaires d'un évènement extraordinaire, David Mitchell en arrive à un point où l'intrigue principale devient presque secondaire et offre moins d'effervescence de lecture. C'est aussi un peu le cas de la dernière partie du livre, qui ravira celleux qui n'aiment pas les fins ouvertes. Une partie qui change de registre, plus politique et écologique, plus dure dans son ton, qui tranche de manière déroutante avec le reste.

Malgré ces petits bémols, de l'ordre du détail, L'Âme des horloges est un très bon roman tout à fait enthousiasmant, à la construction admirable. Une entrée dans l'oeuvre de David Mitchell pour ma part, mais qui ne sera à coup sûr pas ma dernière lecture de l'auteur.

Couverture : Cédric Scandella / Traduction : Manuel Berri
D'autres avis : Vert, Lune, Gromovar, TmbM, Lorhkan, Yogo, Acr0, Cédric, ...