mercredi 27 juillet 2022

Bulles de feu #42 - Jours de sable

Jours de sable, Aimée de Jongh, 2021, 257 planches

États-Unis, 1937. John Clark, jeune photographe, est engagé par la Farm Security Administration pour aller prendre des clichés de la situation en Oklahoma, dans la Dust Bowl, cette région en proie à une terrible sécheresse et à des tempêtes de poussière, poussant de nombreux habitants à déserter les lieux.
« Une image en dit plus qu'un millier de mots... pas vrai ? »
C'est le point de départ de Jours de sable. Pour convaincre du bien fondé de ses réformes, la FSA va utiliser la photographie, dans une proportion inédite et dans une démarche qui marquera la discipline. Certains de ces clichés sont reproduits à l'intérieur de l'ouvrage, Aimée de Jongh construisant même chaque début de chapitre à partir de ceux-ci, dans des fondus très réussis.

L'art et l'impact de la photographie sont le premier aspect de Jours de sable, mais c'est loin d'être le seul. Le deuxième aspect le plus évident est l'aspect historique. Comme indiqué dès la première page, Jours de sable est une fiction historique : les personnages sont imaginaires mais le cadre est lui tout à fait véridique. C'est un petit cours d'Histoire que nous offre Aimée de Jongh, de manière simple et efficace. Oui, ces tempêtes ont bien existé, conduisant des millions de personnes à la misère voire à l'exode. C'est le troisième aspect de cette BD, un aspect social. D'ailleurs, ces tempêtes pourraient bien revenir, puisqu'elles ne sont pas arrivées par hasard. C'est un quatrième aspect, l'aspect écologique.

Je ne développe pas plus ces aspects, puisque vous allez lire Jours de sable et qu'Aimée de Jongh le fait bien mieux que moi. D'ailleurs, au-delà des informations glanées au sein de la BD en elle-même, cette triple thématique (historique/sociale/écologique) est développée succinctement en fin d'ouvrage, apportant de manière digeste un éclairage et un développement bienvenus.

Un cinquième aspect ne doit pas être oublié : l'aspect humain. Dans "fiction historique", Aimée de Jongh n'oublie nullement la partie fiction, en l'occurrence le séjour de John Clark en terres hostiles. Un travail qui deviendra rapidement bien plus qu'un simple job et sera une vraie expérience de vie grâce aux rencontres qu'il fera. Pourtant rapidement brossés, Aimée de Jongh parvient à dépeindre une vraie galerie de personnages touchants qui rendent la lecture poignante.

C'est donc une réussite sur le fond, sur l'intrigue et sur les personnages. Que reste-t-il ? La forme. Et la forme en BD, c'est principalement le dessin et les couleurs. Ça tombe bien, les deux sont somptueux. Le trait est globalement doux, et pourtant il rend pleinement la force et la dureté de l'environnement et son impact. Le point d'orgue étant le rendu des tempêtes de poussière, magistrales. Le sable s’infiltre partout sous nos yeux, et l'obscurité galopante des cataclysmes est terrifiante. C'est si bien fait que ça en croquerait presque sous la dent.

Dois-je préciser que Jours de sable est une excellente BD ? Fourmillante d'aspects, elle les réussit tous, tout en conservant à chaque instant un équilibre parfait. "Une image en dit plus qu'un millier de mots" dit la citation. Si Aimée de Jongh questionnera la justesse de cette idée, une autre semble elle incontestable : cette BD en dit plus qu'un millier d'images, voire plus qu'un millier d'ouvrages, au minimum.

Quelques planches ici.

jeudi 21 juillet 2022

Nina Allan - Le Créateur de poupées

Le Créateur de poupées, Nina Allan, 2019, 405 pages

Andrew est un nain - lire : une personne de petite taille - qui vit de sa passion : la création de poupées. À la suite d'une annonce dans une revue, il entretient une relation épistolaire avec Bramber, une femme passionnée elle aussi par les poupées. Jusqu'au jour où il décide de prendre la route pour la rencontrer, elle qui semble vivre enfermée dans une sorte d'asile au fin fond de l'Angleterre.

Le Créateur de poupées est un ouvrage étonnant, ce qui n'est guère surprenant puisqu'il s'agit d'un roman de Nina Allan. J'ai à vrai dire du mal à définir ce qu'est ce livre. Je sais en tout cas certaines choses qu'il n'est pas : il n'est pas particulièrement compliqué ou tortueux ; il n'est quasiment pas associé aux genres de l'imaginaire ; il n'est pas mauvais. Je peux même dire qu'il est bon, bien que je sois loin d'avoir ressenti le plaisir de La Course ou de La Fracture. Mais c'est aussi bien mieux que ma lecture ratée de Complications. Le Créateur de poupées est un peu le barreau manquant, le juste milieu de l'échelle de Nina Allan, le niveau 'bon', la 'normalité'.

"Normalité" est d'ailleurs un mot qui fait doublement sens au regard des enjeux du livre. Avec Le Créateur de poupées, Nina Allan met en scène des minorités, des personnes différentes de la norme, des gens souvent pointés du doigt. Mais elle ne le fait pas dans le but de mettre en avant ces différences. Elles sont mises en lumière, inévitablement, mais ce n'est qu'une conséquence indirecte du récit. L'idée initiale est bien d'offrir un roman où ce sont des personnages absolument normaux, qui vivent leurs vies comme tout un chacun, sans avoir à remettre leurs "particularités" constamment en avant. La nuance est évidemment mince puisque ces "particularités" influent forcément sur leurs vies, mais Nina Allan parvient à garder son équilibre sur ce fil ténu et à proposer un récit 'normal'.

Si la thématique de la "normalité" est centrale, Le Créateur de poupées reste un roman de Nina Allan et est donc loin d'être lambda dans sa construction. L'autrice s'amuse à tout entremêler, laissant aux lecteurices le plaisir de noter les échos qui se développent. Il y a bien sûr le voyage d'Andrew, ainsi que sa correspondance qui donne à voir son passé et celui de Bramber, mais aussi quelques nouvelles intradiégétiques intimement liées à l'intrigue générale. Et dans tout ça, il y a surement encore bien plus que ce que j'y ai vu. Si malgré cela il m'a manqué un peu de flamme et de passion pour m'enthousiasmer pleinement, Le Créateur de poupées est tout de même un bon roman. Normal, c'est un roman de Nina Allan.

Poupée de couverture : Laurence Ruet / Traduction : Bernard Sigaud
D'autres avis : Tigger Lilly, ...

jeudi 14 juillet 2022

David Mitchell - Slade House

Slade House, David Mitchell, 2015, 270 pages

Il n'y a guère de meilleur résumé/pitch de Slade House que de dire que c'est une histoire de maison hantée. Cette étrange habitation, présente là où elle ne semble pas pouvoir être, n'est accessible que par une petite porte dans une ruelle biscornue, Slade Alley. Et encore, pas tout le temps, seulement tous les neuf ans. C'est avec Nathan Bishop et sa mère, venus à la rencontre de Lady Grayer, que nous la découvrons. Et ce ne sera pas la dernière fois.

Je n'aime pas les romans horrifiques. Je ne suis pas très adepte des romans fantastiques. Je n'étais donc clairement pas la cible pour ce roman fantastico-horrifique. Pourtant, je l'ai totalement apprécié. Pourquoi ? Déjà car l'aspect "horreur" est très léger. C'est une maison hantée, ce qui n'est clairement pas l'aspect le plus gore du genre, et cela tend presque vers le thriller. Et puis il y a une autre raison : David Mitchell. J'ai aimé tout ce que j'ai lu de l'auteur, à des niveaux oscillant entre le "très bon" et le "chef d'oeuvre". Et Slade House, s'il n'est pas l'ouvrage le plus époustouflant de l'auteur, poursuit ce sans-faute de textes très bien construits et aussi bons dans l'édification des personnages que de l'intrigue. Si le récit est ici quasiment cousu de fil blanc, il n'en demeure pas moins prenant de la première à la dernière ligne. Il faut un sacré auteur pour réussir cela.

Un dernier aspect a peut-être joué sur mon sentiment positif, c'est le lien étroit que Slade House entretient avec L'Âme des horloges. Tous les romans de David Mitchell se référencent subtilement les uns les autres - au point que c'est toujours un plaisir après en avoir terminé un d'aller voir la liste des clins d'oeils sur la page Wikipédia. Mais le lien est ici bien plus imposant. Je ne crois pas que cela enlève à Slade House son statut de livre indépendant, mais j'aurais tendance à conseiller de d'abord découvrir L'Âme des horloges pour profiter au maximum de la découverte. Quant à moi, cela m'a furieusement donné envie de le relire. Ce qui n'est pas une mauvaise idée : on ne lit jamais assez de David Mitchell.

Couverture : Cédric Scandella / Traduction : Manuel Berri
D'autres avis : Vert, Sabine, Cédric, TmbM, Acr0, ...

vendredi 8 juillet 2022

Terry Pratchett - Pyramides

Pyramides, Terry Pratchett, Tome 7/35 des Annales du Disque-Monde, 1989, 364 pages

Lorsque le Pharaon Teppicymon XXVII meurt, c'est à son fils, Teppic, de prendre la relève. Sauf que ce dernier, tout juste diplômé de la Guilde des Assassins d'Ankh-Morpork, n'est pas tout à fait dans le même esprit que ses concitoyens. Et puis, est-ce vraiment une bonne idée de construire une nouvelle pyramide encore plus grande que les précédentes ?

Si la majorité des ouvrages du Disque-Monde sont indépendants, Pyramides l'est d'autant plus car il n'appartient à aucun sous-cycle interne de l'univers. Il est simplement l'occasion pour Terry Pratchett de jouer avec l'Égypte antique. Et de proposer un chameau mathématicien.

Pyramides n'est clairement pas l'ouvrage le plus marquant de la série. Il se lit bien, sans déplaisir mais sans énorme plaisir non plus. Il comporte quelques bonnes trouvailles, évidemment, mais n'est globalement guère éclatant et n'a que peu de réelles fulgurances ou moments très drôles. Un tome correct, 'normal', mais sans plus.

Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

samedi 2 juillet 2022

Mariana Enriquez - Ce que nous avons perdu dans le feu

Ce que nous avons perdu dans le feu, Mariana Enriquez, 2016, 238 pages

Ce que nous avons perdu dans le feu est un recueil de 12 nouvelles entre fantastique et horreur, où des vies déjà peu reluisantes vont basculer encore plus - et pas sur une pente positive dans la majorité des cas. C'est un recueil qui se rapproche à mon sens d'Ainsi naissent les fantômes de Lisa Tuttle. Mon avis est à l'avenant : c'est surement très bien, mais ce n'est pas pour moi, donc je ne peux pas pleinement l'apprécier.

Au-delà du côté horrifique, l'autre aspect qui me bloque un peu dans ce genre de textes, c'est l'omniprésence des non-dits, des choses laissées en suspens, soumises à interprétation. Peut-être que, justement, je surinterprète en cherchant plus que ce qu'il y a, mais j'ai ce sentiment qu'il y a un petit quelque chose que je n'arrive pas à saisir au vol. Et c'est légèrement frustrant.

Malgré cela, Ce que nous avons perdu dans le feu est un bon recueil. Au-delà d'un certain 'exotisme', tous les textes étant ancrés en Argentine, les mots de Mariana Enriquez ont ce petit quelque chose capable de rapidement vous faire plonger dans son univers. Il se dégage quelque chose de l'écriture de l'autrice, une ambiance et même une certaine puissance par moment. Notamment, car le livre est bien construit, dans les deux nouvelles qui ouvrent et concluent le recueil. Au point que même si tout ça n'est pas ma came, cela m'a conforté dans mon envie de lire Notre part de nuit.

Couverture : Micah Lidberg / Traduction : Anne Plantagenet
D'autres avis : ...