samedi 27 novembre 2021

Andrew Sean Greer - Les Vies parallèles de Greta Wells

Les Vies parallèles de Greta Wells, Andrew Sean Greer, 2013, 306 pages

New-York, 1985. Greta Wells doit coup sur coup surmonter le décès de son frère Félix et le départ de son petit ami Nathan. En dépression, elle finit par suivre un traitement par électrochocs. Sauf que le lendemain, elle se réveille dans le corps d'une autre Greta Wells, entouré d'un autre Félix et d'un autre Nathan... en 1918. La même chose se reproduit le surlendemain, cette fois en 1941. Trois vies parallèles pour se reconstruire, pour les reconstruire.

Le terme de "vies parallèles" résume parfaitement le fonctionnement de ce livre. Ce n'est ni une uchronie ni un véritable voyage dans le temps, mais bien plusieurs vies différentes, de personnages proches, tels qu'ils auraient pu être s'ils avaient vécu à d'autres époques. Avec une justification via les électrochocs, qui servent, intelligemment, autant d'élément perturbateur que de péripéties et d'élément de résolution.

Les Vies parallèles de Greta Wells se condense sur une période de temps assez courte, quelques mois, et sur un petit nombre de personnages, créant une petite bulle agréable à vivre, portée par une héroïne volontaire. Un personnage principal, ainsi que sa tante Ruth, qui acceptent d'ailleurs la situation étonnamment bien et de manière quasi-naturelle. Je ne sais pas si c'est des plus crédibles, mais c'est reposant.

Malheureusement, tout n'est pas parfait, avec en premier lieu une narration assez fade, en retrait, ce qui entraîne un certain manque d'émotions. Alors que les situations ne sont guère joyeuses, je me suis surpris à ne jamais trouver ça particulièrement dramatique, suivant les déboires des personnages sans leur être réellement attachés émotionnellement. Ce qui n'est pas aidé par le fait que toute l'intrigue - toutes les intrigues - tourne autour d'histoires de couples et d'amour, avec seulement de fines variations. Malgré la volonté de l'auteur de prendre de temps en temps un peu de hauteur, le roman reste au stade des petites préoccupations personnelles. Cela dit, et à défaut d'être véritablement marquant, il reste tout de même l'agréable ballet de ces vies qui se chevauchent et se recoupent.

Couverture : Cyril Magnier / Traduction : Hélène Papot
D'autres avis : Lune, Lhisbei, ...

dimanche 21 novembre 2021

Hadrien Klent - Et qu'advienne le chaos

Et qu'advienne le chaos, Hadrien Klent, 2010, 248 pages

Michael Korta est un scientifique à tendance sociopathe, vivant sa vie sans se soucier des autres. De là à dire qu'il préfèrerait la vivre seul, il n'y a qu'un pas. Secrètement, ses recherches en biométrie, lui le spécialiste des iris, vont dans ce sens. Sa théorie repose sur une répartition des êtres humains dans des calques superposés. Et s'il était alors possible de s'isoler de la masse ?

Et qu'advienne le chaos part d'une idée science-fictive assez folle et très visuelle. Si la crédibilité et la technicité ne sont certainement pas les deux principaux mots d'ordre, cela fait une base d'intrigue solide et intrigante. Ce qui correspond parfaitement au style de ce roman enlevé : les "chapitres" sont très courts, les changements de points de vue s'enchaînent toutes les deux pages, ça fuse dans un style simple et direct, pour une lecture facile et agréable.

Le roman n'évite pas quelques écueils. Outre des personnages aussi improbables que clichés, voire quelques rares remarques un peu limite, la fin est quelque peu ambivalente, tout autant en apothéose qu'en non-apothéose. Mais les bonnes idées restent majoritaires dans ce court roman, que ce soit l'hommage au Timon d'Athènes de Shakespeare ou quelques effets d'écriture, et font de Et qu'advienne le chaos une lecture agréable.

Couverture : Lola Duval
D'autres avis : Erwann Perchoc, ...

dimanche 14 novembre 2021

Walter Tevis - Le Jeu de la dame

Le Jeu de la dame, Walter Tevis, 1983, 433 pages

Après la mort de sa mère, Beth Harmon, 8 ans, est placée dans un orphelinat. C'est là qu'elle découvrira les échecs grâce au gardien de l'établissement, un jeu pour lequel elle fait preuve d'un véritable don. Mais ce don sera-t-il suffisant pour accéder au plus haut niveau mondial ?

Impossible de ne pas commencer en évoquant l'excellente série Netflix ayant adapté ce livre, tant elle fait partie de mon expérience de lecture. Oui, j'ai visualisé les personnages tels que représentés dans la série. Mais ce n'est nullement un problème, tant l'adaptation est d'une fidélité stupéfiante, reprenant précisément le déroulé du livre.

Ayant la série encore bien en tête, la lecture a-t-elle été moins enthousiasmante ? Absolument pas. C'est une lecture emballante et prenante malgré la connaissance préalable de l'histoire. Une preuve supplémentaire du talent d'écriture de Walter Tevis - l'auteur, faut-il le rappeler, du chef d'oeuvre L'Oiseau moqueur.

Un talent qui se retrouve dans la description des parties d'échecs, que le commun des mortels ne peut évidemment pas réellement saisir mais qui se lisent comme de la poésie, sans avoir besoin d'en comprendre précisément les implications pour apprécier le ballet des pièces et la tension sous-jacente. Ajoutez à cela des petites touches de féminisme intelligentes et une lucidité sur le monde d'hommes blancs dans lequel évolue l'héroïne, et vous obtenez Le Jeu de la dame, un très grand livre.

Couverture : Riki Blanco / Traduction : Jacques Mailhos

lundi 8 novembre 2021

Bulles de feu #37 - Honneurs mérités

Peau d'homme, Hubert et Zanzim, 2020, 152 planches

Italie, époque Renaissance. Bianca a 18 ans et va dans quelques jours se marier avec Giovanni, un jeune et riche marchand. S'il y a pire parti pour un mariage arrangé, Bianca aurait quand même voulu d'abord le connaître. Par chance, sa tante a la solution : un trésor de famille, une "peau d'homme", qui permet à celle qui la porte de passer pour un homme aux yeux de tous. Une expérience qui va changer la vie, et le regard, de Bianca.

Si les premières pages n'ont rien de particulièrement renversantes, Peau d'homme trouve rapidement son chemin et son rythme de manière convaincante et efficace. Même en étant acquis a priori aux idées développées, Hubert et Zanzim parviennent à proposer une oeuvre agréable à lire tant par son fond que par sa forme, pleine de bonnes idées et d'une mise en scène maline. Car si Peau d'homme est un récit évidemment féministe et égalitaire, c'est aussi un récit d'émancipation et de liberté de manière plus globale.

Multiplement primée et encensée, Peau d'homme est une très bonne BD à la hauteur de sa réputation. Sans fausse note, aérée tout en étant consistante, bien maitrisée et très intelligente, il serait dommage de passer à côté.

Quelques planches ici.
D'autres avis : Yuyine, OmbreBones, Célinedanaé, ...

Les Indes Fourbes, Alain Ayroles et Juan Guarnido, 2019, 145 planches

Après ses aventures en Espagne, Don Pablos de Ségovie arrive en Amérique. Avec toujours un même but : s'élever de sa misérable condition, à n'importe quel prix. Enfin, à n'importe quel prix... tant que les pièces ne proviennent pas d'un travail honnête.

Quoi ? Vous ne connaissez pas Don Pablos ? Vous n'avez pas lu ses péripéties espagnoles ? Elles sont pourtant contées dans El Buscón, un roman de Francisco de Quevedo paru en... 1626. Heureusement, même si Les Indes Fourbes en constitue la suite jamais écrite par l'auteur, il n'est absolument pas nécessaire d'avoir lu El Buscón pour lire et apprécier cette BD.

Comme son prédécesseur, Les Indes Fourbes est un pur récit picaresque, narrant les extravagantes péripéties d'un anti-héros aux multiples défauts, mais néanmoins sympathique. Ce n'est pas pour autant un simple enchaînement de saynètes qui pourrait lasser : en plus d'un regard piquant sur la colonisation sud-américaine et les rapports de force sociétaux, une solide trame se dégage rapidement, avec une véritable envie pour le lecteur de savoir ce qui va bien pouvoir se passer dans la page suivante. Et même si la chute finale s'évente rapidement, l'envie ne retombe pas, car ce n'est pas là l'important.

Les Indes Fourbes est indéniablement à la hauteur de sa réputation et mérite tous ses éloges. Alain Ayroles prouve une nouvelle fois sa science du récit et de la narration, avec notamment un rythme enlevé malgré une rédaction qui passe finalement peu par les bulles mais sans jamais perdre en fluidité pour autant. Et que dire du travail de Juan Guarnido - ah, Blacksad ! - aux dessins et à la couleur. Chaque case est un délice. Tout est beau, tout est richement détaillé, tout est admirable. Une très grande BD, dans tous les sens du terme.

Quelques planches ici.
D'autres avis : Gromovar, Alias, ...

mardi 2 novembre 2021

Emmanuel Chastellière - Célestopol 1922

Célestopol 1922, Emmanuel Chastellière, 2021, 414 pages

Retour dans la cité lunaire de Célestopol, cette ville mi-russe mi-indépendante développée autour du sélénium et dirigée par le mystérieux Duc Nikolaï. Une cité déjà arpentée précédemment dans le recueil Célestopol et que l'on retrouve de nouveau ici avec 13 nouvelles se déroulant en 1922.

Et c'est une nouvelle fois une belle réussite. L'atmosphère si particulière de cet univers, sorte de grand mélange de science-fiction, d'uchronie, de steampunk et de fantastique, fonctionne parfaitement et crée quelque chose d'assez unique. Un cadre où l'on déambule avec plaisir, découvrant toujours plus la cité et ses habitants. Chaque texte apporte sa pierre à l'édifice, chacun étant une histoire intéressante à suivre en soi, des petits drames à taille humaine à l'arrière desquels se trace la grande histoire de Célestopol.

Au-delà de son cadre, unissant parfaitement l'ensemble, la grande force de ce recueil est sa multiplicité. Chaque récit est sensiblement différent de son prédécesseur, que cela soit par son type de personnages, son lieu et/ou son genre d'histoire. Comme tout recueil, et peut-être encore plus ici où le renouvellement est de mise, chacun appréciera plus ou moins chaque texte. Personnellement, seuls deux-trois m'ont paru un chouïa en dessous, et même ceux-là furent de bonnes lectures. C'est dire le niveau de l'écrasante majorité. Est-ce que cela m'a donné envie de relire Célestopol pour en avoir encore plus ? Absolument.

Imaginez une bulle de savon. C'est beau à observer, c'est court, unique et tout à fait appréciable. Imaginez-en toute une flopée s'envoler et l’émerveillement est démultiplié. Par chance, les deux formes sont complémentaires et apportent chacune leur satisfaction. Célestopol 1922 est comme ces bulles de savon. Sauf qu'à défaut de bulles, Emmanuel Chastellière nous offre des nouvelles. Et c'est tout aussi agréable.

Couverture : Marc Simonetti
D'autres avis : Lhisbei, Gromovar, Lune, Le chien critique, Célinedanaë, Lorhkan, Yuyine, Sometimes a book, Mariejuliet, Le nocher des livres, Boudicca, Marc, Zina, ...