lundi 25 avril 2022

Tommy Orange - Ici n'est plus ici

Ici n'est plus ici, Tommy Orange, 2018, 331 pages

Ici n'est plus ici est un livre qui met en scène douze personnages, dont les vies vont plus ou moins se croiser, liés par un évènement : le grand pow-wow d'Oakland. "Met en scène" n'est d'ailleurs peut-être pas le terme adéquat, puisque tout l'enjeu ici est de sortir ces personnages autochtones des clichés spectaculaires que l'on peut avoir à l'esprit. S'ils sont issus des Premières Nations, ils sont aussi pleinement citadins et vivent le plus normalement possible, en tentant néanmoins de conserver leur culture et leurs racines.

L'ambition de Tommy Orange est d'ailleurs explicite à travers la mise en abyme du personnage de Dene Oxendene, qui récolte les témoignages de vies de ces autochtones, le plus simplement et purement possible, sans finalité évidente si ce n'est de rendre la véritable vie - généralement guère reluisante - de ces personnes, d'en garder une trace et une existence.

Narrant les difficultés présentes de l'identité autochtone, Ici n'est plus ici est pourtant un ouvrage étonnamment doux en regard des drames qui se jouent. C'est une des multiples raisons qui m'ont évoqué Colson Whitehead - et particulièrement, sur la forme, Ballades pour John Henry - lui aussi talentueux pour présenter sans pathos les troubles d'une partie non-blanche et le plus souvent invisibilisée de la population américaine.

Si Tommy Orange n'a peut-être pas toute la puissance et la fulgurance d'un Colson Whitehead, il propose tout de même un très bon roman - dont je ne rends que trop peu les qualités - témoignage important d'un peuple qui vivait déjà ici avant qu'il ne soit plus ici.

Couverture : d'après le design de Tyler Comrie © Olio - E+ - Getty images / Traduction : Stéphane Roques

mardi 19 avril 2022

Christian Chavassieux - Je suis le rêve des autres

Je suis le rêve des autres, Christian Chavassieux, 2022, 168 pages

Malou a 7 ans et il a fait un rêve. Un rêve qui pousse les anciens de son village à le considérer comme un potentiel réliant, un être qui peut communiquer avec les esprits. Mais pour en être sûr, il doit faire un long voyage pour rencontrer un conseil de sages. Il sera accompagné par Foladj, un vieil homme ayant l'expérience du voyage.
« Ainsi commença le voyage du petit Malou et du vieux Foladj. Aventure qui ne bouleversa d'autres destins que les leurs, n'entraîna aucune guerre ou révolution, ne fut même pas exemple de sagesse ou de piété, pas plus que source d'embarras ou d'indignation. Aventure qui ne concerna que ces deux-là, fut pour eux d'un prix élevé, leur apporta une grâce qu'on ne trouve dans la plupart des âmes qu'en miettes et en souillures. »
Tout est résumé dans cette conclusion du premier 'chapitre'. Je suis le rêve des autres est un ouvrage très simple, une balade initiatique que l'on vit avec l'émerveillement du petit Malou et l'expérience du vieux Foladj. C'est un véritable voyage qui a la qualité d'aller en se bonifiant sans cesse. Les premiers kilomètres m'ont pourtant presque refroidi : j'ai trouvé ça assez naïf, voire trop bienveillant - ce que je ne savais pas pouvoir penser. Malou est trop extraordinaire et parfait et Foladj est lui trop mielleux. Heureusement, la route est longue.

Car à force de pérégrinations, et surtout grâce à l'apparition de quelques éléments perturbateurs, toujours légers mais apportant une nécessaire aspérité, l'alchimie se met à opérer. La montée en puissance est totale jusqu'à une excellente fin douce-amère, loin de la mièvrerie initiale, pleine d'espoir et de positif. Trouver sa voie, choisir sa voie, changer sa voie, c'est là l'un des thèmes principaux de ce très bon Je suis le rêve des autres. Christian Chavassieux a pour sûr depuis maintenant plusieurs ouvrages trouvé la sienne : nous partager émotions et réflexions à travers son agréable plume.
« C'est ce qu'on appelle un paradoxe : il faut commencer à connaître les choses pour mesurer à quel point les ignorer était mal. »
Couverture : Kévin Deneufchatel
D'autres avis : Yuyine, ...

mercredi 13 avril 2022

Émile Zola - Le Docteur Pascal

Le Docteur Pascal, Émile Zola, Tome 20/20 des Rougon-Macquart, 1893, 363 pages

Pascal Rougon vit à Plassans avec Clotilde, sa nièce, et Martine, sa bonne à tout faire. Ne faisant plus que de rares visites de routine - et d'expérience - auprès de quelques patients, le Docteur Pascal se concentre essentiellement sur ses recherches en matière d'hérédité. Pour lesquelles il a un matériel de travail de choix : sa propre famille, les Rougon-Macquart.

Toute ressemblance avec une personne ayant réellement existé ne serait pas fortuite. Le Docteur Pascal est un roman terriblement méta puisque le héros éponyme est indéniablement un avatar d'Émile Zola lui-même. Tous deux travaillent sur l'hérédité, tous deux étudient les Rougon-Macquart, tous deux valorisent la science sur les croyances, ... et tous deux retrouvent la vitalité de leur jeunesse dans les bras d'une jeune femme - avec Jeanne Rozerot pour Zola, tandis que pour Pascal c'est, léger divulgâchage, avec sa nièce...

Ce jeu des similarités est peut-être le seul point d'intérêt du roman. Car Le Docteur Pascal n'est pas vraiment un bon roman. Au-delà de la relation consanguine qui jette un froid, l'intrigue est mince et peu palpitante, les considérations intellectuelles sont peu intéressantes et même l'aspect historique et sourcé de l'hérédité est fortement daté. Tout n'est pas à jeter, mais bien peu de choses sont à garder - Ramond, un peu Félicité et la scène de l'armoire ? Même la personnification de Zola dans Pascal a ses limites : le livre ne cesse de vanter les mérites de la maitresse de l'auteur... qui ne trouve rien de mieux que de dédier le roman à sa femme. Il n'y a finalement qu'une seule morale à en tirer : l'amour peut définitivement rendre aveugle.

Couverture : Microscope vers 1895, Paris, musée du CNAM
Lecture commune avec la Zolerie, Tigger Lilly et Alys.