dimanche 31 janvier 2021

Katherine Arden - L'Ours et le Rossignol

L'Ours et le Rossignol, Katherine Arden, Tome 1/3 de la Trilogie d'une nuit d'hiver, 2017, 351 pages

Vassia est une jeune fille vivant avec sa famille dans les contrées froides du Nord de la Rus'. À une époque où le christianisme supplante peu à peu les vieilles traditions, elle a hérité de sa mère la faculté de voir les anciennes divinités qui peuplent le village et la forêt avoisinante. C'est cette capacité qui la placera au coeur d'une lutte entre deux de ces mythiques entités.

L'Ours et le Rossignol est un sympathique ouvrage qui vaut principalement pour son héroïne, une jeune fille/femme énergique et volontaire, ainsi que pour son cadre, la campagne russe et son folklore, particulièrement des esprits de la maison et de la nature. Une ambiance de conte pour un livre qui se lit d'ailleurs un peu comme un conte.

L'ouvrage se divise en trois parties. La première est une mise en place agréable, qui laisse du temps et de la place à son héroïne pour grandir quand la dernière est une conclusion active qui termine de manière satisfaisante l'intrigue et fait de ce livre un one-shot tout à fait acceptable. Malheureusement, entre les deux se déroule la plus longue partie du récit qui est d'un niveau moindre : une inéluctable suite de péripéties qui traine à accomplir quelque chose de surprenant, s'avérant surtout lassante, d'autant plus que la situation vécue par Vassia n'est guère agréable à suivre.

Un bémol qui empêche L'Ours et le Rossignol d'être une excellente lecture, mais ne l'empêche pas d'être tout de même un bon livre. Et si la fin est satisfaisante, elle donne aussi envie d'en lire plus, en espérant réaliser pleinement les promesses de plus grande qualité que les premières et dernières dizaines de pages laissent entrevoir. Ça tombe bien, il existe deux autres tomes.

Couverture : Aurélien Police / Traduction : Jacques Collin
D'autres avis : Vert, Lune, Gromovar, Cédric, Célindanaé, lutin82, Boudicca, Lorhkan, Elhyandra, Anudar, Lhisbei, Yuyine, Alys, ...

mardi 26 janvier 2021

Bulles de feu #30 - Kris et Galic racontent des Histoires

Nuit noire sur Brest, Bertrand Galic, Kris et Damien Cuvillier, 2016, 64 planches

Le 29 août 1937, un sous-marin espagnol fait surface aux abords de Brest, en quête de réparations. En pleine guerre civile espagnole, le bâtiment est alors l'objet d'une lutte entre républicains et franquistes pour en récupérer le contrôle. Mais le conflit n'est pas qu'espagnol : les militants locaux de tous bords sont aussi de sortie pour aider discrètement leurs alliés respectifs.

Adaptant le livre Nuit franquiste sur Brest de Patrick Gourlay - qui signe ici un dossier additionnel très complet - Nuit noire sur Brest conte l'histoire vraie - et certainement méconnue pour nombre de lecteurices - de ce sous-marin qui amena la guerre civile espagnole en terre brestoise. Habitués de ce genre de sujets, les auteurs offrent une BD aussi prenante pour son intrigue que pour sa dimension historique. Le tout servi par un dessin qui, s'il pêche parfois un peu dans la caractérisation des personnages, rend très bien le caractère sombre et brumeux de l'affaire.

Quelques planches ici.

Violette Morris, à abattre par tous moyens, Bertrand Galic, Kris, Marie-Jo Bonnet et Javi Rey, Tome 1 et 2/4, 2018/2019, 62/54 planches

Connaissez-vous Violette Morris ? C'est pourtant l'une des plus grandes sportives françaises de l'Histoire, à une époque où il était encore bien moins évident qu'aujourd'hui d'en être une, avant-gardiste résolue à briser les barrières de son temps, mais qui finira abattue par la résistance le 26 avril 1944.

« Bien que le personnage de Violette Morris ait réellement existé, ce livre est une fiction, enquête imaginaire à la recherche de la vérité de ce personnage. »
Difficile en fait de réellement connaître Violette Morris, dont les implications en tant que collabo (et les circonstances de la mort) restent troubles. Cette série s’appuie sur les travaux de Marie-Jo Bonnet qui remet notamment en cause la thèse longtemps admise de son rôle en tant qu'espionne et tortionnaire. Si la question de sa mort sert de point de départ à l'intrigue, le sujet sera plus longuement abordé dans les tomes restants à paraitre.

Pour l'heure c'est surtout le volet sportif de la vie de Violette Morris qui est mis à l'honneur et c'est fort intéressant à suivre. Il est surtout fascinant de découvrir la liberté et la volonté de cette femme, dont la vie est de celles qu'on croirait inventées par un scénariste peu rigoureux sur la plausibilité de son histoire. Vivement la suite.

Quelques planches ici.

vendredi 22 janvier 2021

Colson Whitehead - Apex

Apex, Colson Whitehead, 2006, 202 pages

Un célèbre consultant en nomenclature, ayant notamment nommé le fameux Apex, arrive dans la petite ville de Winthrop. Pour sa première mission après une petite "infortune" qui le voit désormais boiter, il doit être l'arbitre d'un conflit municipal et décider si la ville doit changer de nom pour un toponyme plus moderne.

Apex est un court roman vif, fait de phrases courtes et de rebonds continus entre deux fils narratifs : dans le présent, le nouveau nom de Winthrop ; dans le passé, l' "infortune" du personnage principal qui se dévoile peu à peu. Les enjeux peuvent sembler minces mais ils sont suffisants pour tenir en haleine le lecteur, avec en arrière-plan la radiographie d'une bourgade américaine lambda - thème classique de l'auteur - et la présentation d'un homme sensiblement désabusé.

Si Apex n'est certainement pas le roman le plus percutant de l'auteur, il reste toutefois une lecture tout à fait sympathique dont l'ambition peut-être moindre n'empêche pas le livre d'avoir un petit fond intéressant sur le marketing, la mémoire et la condition noire. Le tout porté, évidemment, par la plume expressive de Colson Whitehead. Ce qui n'est que justice pour un roman dont le fil directeur est la recherche du bon nom, du bon mot. Il est certain que Colson Whitehead sait les trouver.

Couverture : photo © Adri Berger / Traduction : Serge Chauvin

dimanche 17 janvier 2021

Octavia E. Butler - La Parabole du semeur

La Parabole du semeur, Octavia E. Butler, Tome 1/2 des Paraboles, 1993, 388 pages

États-Unis, 2024. Le chaos se propage : l'eau vient à manquer, les exactions se multiplient, la loi du plus fort prend peu à peu place dans sa version la plus triviale. Dans une petit quartier ceint d'un mur de protection vit la famille Olamina. Fille du pasteur de cette petite communauté, Lauren, jeune adolescente éveillée et lucide sur le destin du monde, souffrant d'hyperempathie - elle partagent physiquement les plaisirs et douleurs des gens qui l'entourent -, rêve de partir pour le Nord et d'y mettre en application ses idéaux.

La Parabole du semeur est un récit apocalyptique dur et violent. Il n'est pas beau de voir ce qu'est devenu le monde et les extrémités auquel il pousse. Ce qu'il est devenu ou ce qu'il devient même, car l'ouvrage d'Octavia E. Butler est peut-être encore plus d'actualité aujourd'hui qu'au moment de sa sortie, désespérément réel.

Fort heureusement, dans toute cette noirceur, La Parabole du semeur est aussi un roman plein d'espoir et de notes positives. L'autrice y parle de résistance, de multiculturalisme, d’acceptation, de mixité, de respect, ... Le tout symbolisé par une "religion", une idée fédératrice portée par l'héroïne, dont les extraits parsèment l'oeuvre et qui touche juste.

Je n'aime généralement pas les romans apocalyptiques/post-apocalyptiques et la religion est très loin d'être un sujet qui m'attire. J'ai adoré La Parabole du semeur. C'est excellent de bout en bout, un road-trip apocalyptique qui présente tout autant la violence et la misère dans lequel notre monde s'enfonce qu'une voie pour s'en sortir. C'est dur, c'est lucide et c'est beau. Un foutu espoir plein de difficultés et de peines, mais surtout un foutu espoir, toujours.

Couverture : Rampazzo / Traduction : Philippe Rouard
D'autres avis : Shaya, ...

mardi 12 janvier 2021

Ariel Holzl - Le Complot des corbeaux

Le Complot des corbeaux, Ariel Holzl, Tome 1/3 des Soeurs Carmines, 2017, 263 pages

À Grisaille, une ville sordide où les mauvais coups sont bien plus fréquents que les bons, Merry, Tristabelle et Dolorine sont trois soeurs qui tentent de survivre et sortir de la misère. Jeune monte-en-l'air, Merry pense tenir un bon vol dans les hauts quartiers de la ville, mais se retrouve finalement au centre d'une affaire mêlant les huit grandes familles de Grisaille.

Le Complot des corbeaux est un livre fort plaisant. Bien plus que ce que son cadre pourrait laisser penser, une ville sinistre et brumeuse où il ne fait guère bon vivre et où se côtoient des types de personnages classiques - assassins, vampires, nécromants, ... - revisités avec style par Ariel Holzl dans une sorte de fantasy urbaine victorienne sombre. C'est à la fois peu gentillet et tout à fait fun, dans un mélange fort bien réussi.

Les vingt premières pages, un peu plates et lambdas, peuvent laisser planer le doute. Mais celui-ci s'évapore bien vite dès l'apparition de Dolorine et de sa fraicheur. Les personnages prennent alors bien plus de personnalités, deviennent attachants, et les enjeux se développent rapidement. Le Complot des corbeaux se dévore ensuite tout seul, très plaisamment, comme une friandise fort agréable - un peu, mais dans un genre tout à fait différent, comme le Journal d'un AssaSynth de Martha Wells. À consommer sans modération.

Couverture : Melchior Ascaride
D'autres avis : Sabine, Sometimes a book, Elhyandra, Célindanaé, Chut Maman lit !, Zina, Yuyine, Marc, ...

jeudi 7 janvier 2021

John Crowley - Kra

Kra, John Crowley, 2017, 505 pages

Une corneille blessée se pose dans le jardin d'un homme. Celui-ci la recueille, la soigne, et découvre qu'il peut communiquer avec elle. Il va ainsi apprendre l'histoire - les histoires - de Dar Duchesne, la corneille immortelle.

Kra est un livre formidable. D'abord parce qu'on y suit pendant 500 pages les aventures d'une corneille et que ces tranches de vies sont passionnantes à suivre. Le changement de point de vue, inordinaire, associé à la plume poétique de John Crowley font déjà de Kra un très bon roman en soi. À cela s'ajoute, en filigrane, un grand panorama de l'humanité et de son Histoire où l'auteur dissèque intelligemment les coutumes les plus basiques de notre espèce.

Le sujet le plus essentiel de Kra est certainement la mort. Cela peut effrayer, et pourtant le livre n'est jamais déprimant, pesant ou même sombre. Intelligemment, John Crowley traite ce thème de manière sobre, par petites touches, variant subtilement sur des thématiques liées et faisant évoluant le propos au fil des parties. Présent sans être omniprésent, il accompagne la lecture tout en laissant amplement de la place au récit en lui-même. Ce n'en est que d'autant plus efficace.

Kra peut sembler un livre très particulier et ambitieux. Il est atypique, c'est vrai, mais dans le bon sens, celui de l'originalité, et sans tomber dans le bizarre, restant toujours facile à lire grâce à la plume belle et fluide de John Crowley. De loin, Kra est un peu comme une immense et imposante montagne qui parait inaccessible. Il faut pourtant se lancer. L'ascension s'avère en fait fort agréable, sans une trace d'effort, et le sommet est atteint sans même s'en rendre compte. Et comme souvent avec les merveilles de la nature, il est bien difficile d'en rendre toute la force de manière satisfaisante avec quelques mots. Mais de là-haut, je peux vous l'assurer, la satisfaction est au rendez-vous et la vue est magnifique.

Couverture : Sonia Chaghatzbanian / Illustrations intérieures : Melody Newcomb / Traduction : Patrick Couton
D'autres avis : Yuyine, Vanille, Célindanaé, ...

samedi 2 janvier 2021

Lucius Shepard - Sous des cieux étrangers

Sous des cieux étrangers, Lucius Shepard, 1992-2007, 457 pages

Sous des cieux étrangers est un recueil de 5 longues nouvelles, entre science-fiction et fantastique, de Lucius Shepard. L'auteur y démontre une nouvelle fois sa capacité à créer et décrire des microcosmes, des communautés en nombre restreint, et à y immerger complètement le lecteur, la magie de sa plume opérant à chaque fois. Il propose, comme à son habitude, des textes relativement sombres, voire violents, mais d'une violence lucide, celle de la réalité et de la vie ordinaire, exacerbée peut-être pour les besoins des récits mais aisément et indéniablement transposable.

Mais cette violence n'est nullement gratuite, et surtout pas vaine. Si cet aspect peut rebuter à priori, il est en fait le moteur d'une recherche de beauté et d'espoir. Car si l'humanité a ses déviances et ses mauvais penchants, l'humain lui peut toujours choisir et essayer de faire bien, de faire mieux. L'espoir est toujours présent dans ces cinq textes, à travers notamment des personnages qui s'accrochent et qui luttent. Mais ce n'est jamais un espoir simple, évident - à l'exception peut-être d'un aspect de Des étoiles entrevues dans la pierre, d'une gentillesse rare. C'est un espoir qui tâche, un espoir réaliste, et il en est encore plus puissant.

Sous des cieux étrangers est un excellent recueil de textes à la fois unis dans une certaine ambiance et thématique shepardiennes mais variés dans chaque intrigue et cadre. Du thriller entre futur et passé de Radieuse étoile verte au weird de Limbo en passant par le vaudou de Dead Money (où l'on retrouve avec plaisir l'univers du roman Les yeux électriques - dont Dead Money dévoile d'ailleurs la trame), chaque texte fonctionne et offre une belle contribution à l'ensemble. Avec comme point d'orgue Bernacle Bill le Spatial, un sublime texte, sans concession mais d'une beauté et d'une force rares, qui mérite certainement à lui seul la lecture du recueil.

Couverture : Pascal Casolari / Traduction : Jean-Daniel Brèque, Pierre K. Rey et Olivier Girard