lundi 26 septembre 2022

Keigo Higashino - Le Nouveau

Le Nouveau, Keigo Higashino, 2009, 330 pages

Keigo Higashino est un auteur japonais de polars dont j'ai déjà lu un bon et un très bon roman dans son genre de prédilection : Un café maison et La Maison où je suis mort autrefois. Plus récemment, je l'ai retrouvé en SF avec l'excellent Les Miracles du bazar Namiya. Qui m'a motivé à lire Le Nouveau. J'ai bien fait : c'est certainement ma meilleure lecture de l'auteur.

Le pitch du roman est on ne peut plus simple : une femme est retrouvée morte étranglée dans son appartement. La préfecture de police de Tokyo est chargée de l'enquête, aidée par le commissariat de Nihonbashi, petit quartier commerçant où se déroule l'affaire. C'est dans ce commissariat qu'a été récemment muté Kaga Kyōichirō - le nouveau - un enquêteur au sens de l'observation très développé - ce n'est pas aussi flashy qu'un Sherlock Holmes, mais l'esprit est là.

Dit comme ça, Le Nouveau semble être un polar lambda. Mais le ton et la construction du récit font la différence. Chaque courte partie va ainsi se concentrer sur un groupe de personnages, le plus souvent lié à une des boutiques traditionnelles de Nihonbashi, qui a un lien indirect avec l'affaire. Les pérégrinations de Kaga - un personnage très simple, profondément gentil, avec une vraie présence malgré sa discrétion - vont lui faire résoudre des éléments à priori anecdotiques de l'affaire tout en démêlant d'autres petits mystères liés aux personnes rencontrées. Évidemment, ce sont des petits détails qui finiront par faire la différence et tout viendra se combiner admirablement lors du dénouement.

Le Nouveau ne propose pas un casse-tête très ardu qui entraînera une résolution excitante et mindblowing. C'est un puzzle, une combinaison de puzzles même, dont on ressent la douce satisfaction de voir toutes les pièces s'emboiter parfaitement. Une douce satisfaction qui s'étend au-delà du mystère. L'ambiance du quartier, les personnages, le ton : tout est calme, agréable, doux. Et c'est pourtant bien un polar. Un polar cosy d'excellente facture.

Couverture : Yoshito Hasaka / Traduction : Sophie Refle
D'autres avis : Yuyine, ...

mardi 20 septembre 2022

Terry Pratchett - Au guet !

Au guet !, Terry Pratchett, Tome 8/35 des Annales du Disque-Monde, 1989, 408 pages
« Vous avez raison, monsieur le Secrétaire, dit-il. Comptez sur moi pour lui apprendre que c'est illégal d'arrêter les voleurs. »
Le Guet, c'est la police, un peu au rabais, d'Ankh-Morpork. Mené par le capitaine Vimaire, il voit l'arrivée d'un nouveau membre, Carotte, humain élevé par des nains. Ça ne sera pas de trop pour résoudre le mystère des corps calcinés retrouvés dans les rues de la ville et mettre à bas la société secrète, un peu au rabais elle aussi, qui cherche à invoquer un dragon pour prendre le pouvoir.
« Un Ramkin qui se serait adonné à l'introspection aurait reconnu que la réplique manquait singulièrement d'originalité. Mais elle était commode. Elle joua son rôle. Si les clichés deviennent des clichés, c'est qu'ils sont les marteaux et les tournevis dans la boîte à outils de la communication. »
Au guet ! est le premier tome mettant en scène, comme son nom l'indique, le Guet. Et si tous les livres de ce sous-cycle sont à l'image de celui-ci, il a totalement le potentiel d'être mon préféré. Devant La Mort. Car Au guet ! est incontestablement le meilleur des 8 premiers tomes du Disque-Monde, combinant une intrigue solide qui tient en haleine, des saillies à la Pratchett et des pointes d'humour. Sans oublier de sympathiques personnages.
« S'il y avait une chose qui le déprimait davantage que son propre cynisme, c'était bien de le trouver souvent moins cynique que la vie réelle. »
C'est peut-être le point le plus primordial de ce roman : les personnages. S'ils ne sont pas présentés de manière reluisante au départ, les quatre membres du Guet s'avèrent rapidement être agréables à suivre, ayant un bon fond et une capacité à dépasser leurs imperfections. Individuellement, ils sont tous - tous ! - de bons personnages. Mais ensemble ils forment en plus un groupe qui sent bon la saine camaraderie et qui est franchement plaisant à suivre. Vivement le tome 15 pour les recroiser !
« C'est une métaphore de cette putain d'existence, un dragon. Et comme ça ne suffit pas, c'est en plus un putain de grand bestiau volant qui crache le feu. »
Couverture : Josh Kirby / Traduction : Patrick Couton

mercredi 14 septembre 2022

Michael Christie - Lorsque le dernier arbre

Lorsque le dernier arbre, Michael Christie, 2019, 587 pages

2038. Les arbres sont devenus une rareté et quelques ilots de verdure, comme Greenwood Island, sont devenus des lieux de tourisme huppés. Bien que surdiplômée, Jake y est guide pour rembourser ses dettes. Jusqu'à ce qu'un ancien ami débarque avec un mystérieux livre qui pourrait faire de Jake l'héritière légitime de l'île.

Si le contexte - d'apocalypse ou d'anticipation, au choix - et la date d'ouverture du roman peuvent le laisser penser, Lorsque le dernier arbre n'est pas réellement un roman de science-fiction. Il a des airs de climate fiction et porte une réflexion écologique sur l'importance des arbres certes, mais ce n'est pas à mon sens l'aspect réellement important et intéressant du livre - mais peut-être est-ce dû à ma lecture récente de l'excellent Jours de sable d'Aimée de Jongh, bien plus passionnant et marquant sur le sujet. Ainsi les parties se déroulant en 2038, 2008 et même en 1974, bien que faisant sens, ne m'ont pas particulièrement enthousiasmé. Ça tombe bien, il y en a deux autres et ce sont les plus volumineuses.

Lorsque le dernier arbre est construit comme la lecture des cernes de croissance d'un arbre, s'enfonçant dans le passé pour ensuite en revenir - sur le même principe, mais dans le sens contraire, que Cartographie des nuages de David Mitchell. Une construction qui fait pleinement sens et qui offre un morceau de choix avec les années 1934 et 1908. On y découvre la vie d'Harris et Everett Greenwood, deux frères de coeur et de circonstances, et la saga familiale dont ils sont les initiateurs.

Car c'est bien ça qu'est Lorsque le dernier arbre : une saga familiale. Une histoire profondément humaine où deux êtres, puis leurs descendances, vont tenter d'exister et de trouver leur place, de faire sens. Un récit de vies, de sacrifices, d'erreurs, d'essais, où les préjugés initiaux que Michael Christie place insidieusement dans la tête du lecteur volent en éclats devant des parcours bien plus complexes qu'imaginés. Un roman tout en nuances de gris.

Couverture : / Traduction : Sarah Gurcel
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Le Maki, ...

jeudi 8 septembre 2022

Julia Von Lucadou - Sauter des gratte-ciel

Sauter des gratte-ciel, Julia Von Lucadou, 2021, 276 pages

Dans un futur proche toujours plus technologique, des athlètes-artistes sautent du haut des gratte-ciel, virevoltant dans les airs jusqu'à éviter l'impact in extremis grâce à leurs Flysuit™. Suivie par des millions de followers, Riva Karnovsky est la plus célèbre d'entre eux. Jusqu'au jour où elle ne veut plus sauter, sans raison apparente, restant atonique dans son appartement. Engagée par son entraîneur et ses sponsors, Hitomi Yoshida, une jeune psychologue, doit essayer de comprendre et remotiver l'acrobate.
« - Ça ne te rend pas furieuse qu'on ne puisse rien décider par nous-mêmes ? avait-elle dit.
- Ils essaient seulement de révéler notre potentiel et de l'encourager. Tu peux toujours dire non.
- Tu connais quelqu'un qui a dit non ?
- Mais ils ne t'obligent à rien. (...) Ils nous montrent juste la meilleure version possible de nous-mêmes, avais-je dit.
- Tu crois vraiment ?
»
Des vies réglées et poursuivies par la technologie, une société du paraitre, quelques machins™, des anglicismes marketing et managériaux : Sauter des gratte-ciel a des airs de (très) soft Bonheur™. Mais si le cadre et la thématique générale jouent dans des registres qu'on peut éventuellement rapprocher, l'impact à la lecture est lui diamétralement opposé. Là où le livre de Jean Baret est trash et impactant, celui de Julia Von Lucadou est bien plus doux et contemplatif.

Cette relative tranquillité est favorable à une réflexion elle aussi douce sur l'impact des technologies et le contrôle qu'elles apportent, donnant des vies bien cadrées, calculées, froides. À l'image de ces vies, le roman de Julia Von Lucadou est maîtrisé. Peut-être trop. Sauter des gratte-ciel n'est pas un livre d'intrigue mais bien de réflexion. Je ne peux pas dire que j'ai passé un mauvais moment en le lisant, mais je n'en ai pas non plus passé un excellent.. C'est intéressant, à défaut d'être palpitant ou enthousiasmant.

Couverture : © Depositphotos / Traduction : Stéphanie Lux
D'autres avis : Lhisbei, Chut maman lit !, ...

vendredi 2 septembre 2022

Bulles de feu #43 - Héroïnes

Zoc, Jade Khoo, 2022, 153 planches

Zoc est une jeune adolescente qui peut tirer de l'eau avec ses cheveux. Un don aussi amusant que dérangeant. Un don surtout qu'elle aimerait mettre à profit dans sa vie d'adulte. Une petite annonce va la mettre en relation avec un village inondé. Serait-ce la solution tant attendue ?

Zoc est une BD surprenante sur ses premières pages. D'abord par son dessin au style unique, pas forcément limpide, un peu crénelé, qui donne une impression entre dessin traditionnel et numérique. Puis avec ses très grandes cases, aux douces couleurs changeantes, rappelant la profondeur présente en couverture et dont l'étendue immerge pleinement le lecteur dans la BD. Enfin par ce personnage principal au don hors du commun, pourtant accepté naturellement par tous les autres protagonistes.

La surprise initiale est rapidement remplacée par une autre sensation : le plaisir. Zoc est une BD toute douce qui ne dépareillerait pas avec les films d'animation du Studio Ghibli - ce qui, dans mes doigts, est un grand compliment. Parce que certains plans sont déjà tout à fait cinématographiques. Mais surtout pour son univers où le fantastique fait partie intégrante de la réalité, pour ses personnages hors du commun traités tout à fait normalement et pour son propos sur le fait de trouver sa place. Et pour sa douceur, donc. Une très belle BD.

Quelques planches ici.

Celle qui parle, Alicia Jaraba, 2022, 208 planches

La Malinche est une figure controversée de l'histoire mexicaine. Fille de noble devenue esclave, sa vie bascule quand elle croise la route du conquistador Hernán Cortés et devient son interprète. Car, maîtrisant plusieurs langues autochtones, elle est "celle qui parle" et va grâce à cela aider les Européens à conquérir le Mexique. Devenant ainsi une fondatrice du peuple mexicain autant qu'une traitresse à ce même peuple.
« Sans doute avait-elle une voix mais La Malinche ne nous a jamais raconté son histoire. Celle qui nous est parvenue l'a été à travers les écrits des Espagnols et les images des codex aztèques sur l'histoire de la Conquista. Dans tous les cas, sa voix nous est restée muette. Seuls des hommes, toujours des hommes, nous ont parlé d'elle. Et cela laisse beaucoup de vides dans l'histoire. J'ai voulu remplir ces vides pour construire ma propre Malinche. Elle est jeune, inexpérimentée, souvent dépassée par les évènements. Mais elle est surtout, je l'espère, humaine. »
Ainsi s'exprime l'autrice dans sa postface, et c'est le meilleur résumé possible de ce qu'est Celle qui parle. À partir des quelques grandes lignes connues de l'histoire de La Malinche, Alicia Jaraba imagine les choix d'une jeune femme dans un monde de multiples fois étranger et hostile. Au-delà de l'aspect historique, de l'importance du langage et du traitement des populations (notamment féminines), elle en fait assurément une figure humaine et un beau personnage de fiction. Ça ne mettra pas fin aux controverses, mais ça en fait au moins une bonne BD.

Quelques planches ici.