jeudi 23 avril 2015

Ron Carlson - Cinq ciels

Cinq ciels, Ron Carlson, 2007, 258 pages.

Idaho, de nos jours. Au milieu de nulle part, deux hommes sont engagés par un troisième pour mettre sur pied une grande construction. Tous trois meurtris par la vie, ces quelques mois d'isolement leur permettront de fraterniser et de commencer à se reconstruire.

Au regard de son pitch, Cinq ciels pourrait apparaître comme un roman banal, voire ennuyant. Il n'en est rien. C'est un livre qui ne fait pas de grandes vagues, mais parvient à s'insinuer efficacement dans la vie de son lecteur. Car il est impossible de ne pas être touché par le destin de ses trois hommes, de ne pas éprouver une forte empathie envers eux et de ne pas les considérer comme des amis.

Tout cela est possible grâce à l'excellente et intelligente écriture de Ron Carlson, notamment dans sa parfaite maîtrise du non-dit. Il n'énonce jamais les évidences, faisant confiance au lecteur pour deviner les trous qui sont aussi clairs que les espaces inter-cases d'une BD. Cela offre une ambiance sobre, pleine de pudeur et de décence pour les personnages.

Cinq ciels est un roman au calme, qui repose à la fois sur ses paysages majestueux et sur ses personnages, leur psychologie, leur reconstruction, leur évolution, leur lutte contre le désespoir et l'abattement. Un roman d'une réalité palpable. Un roman entre dureté et espoir. Un roman subtil et émouvant.

vendredi 17 avril 2015

Connie Willis - Black-Out

Black-Out, Connie Willis, Blitz tome 1/2, 2010, 672 pages.

En 2060, les historiens utilisent le voyage dans le temps pour étudier et vérifier précisément l'Histoire. Bien que les moments cruciaux, les noeuds de l'Histoire, soient inatteignables, chacun rêve de les étudier et de s'en approcher, malgré la dangerosité de ces périodes. L'une des plus dangereuses est évidemment la seconde guerre mondiale, et précisément le Blitz contre Londres en 1940.

Je n'ai pas terminé Black-Out, mais je tiens quand même à en donner mon avis, ou plutôt les raisons de mon arrêt. La principale, c'est que je m'ennuyais. Comme dans nombre de ses livres, Connie Willis utilise le même procédé et univers, c'est à dire le voyage temporel d'historiens anglais, qui vivent tous des aventures en visitant différentes époques majeures de notre Histoire. Ayant déjà lu Sans parler du chien, je n'ai pas nullement été surpris ou animé d'un sentiment de découverte.

Beaucoup considèrent Black-Out comme un page-turner et je peux voir pourquoi. L'écriture est simple, fluide, avec de nombreux changements de point de vue. Mais elle m'est apparue trop mécanique, trop inflexible, trop propre. Encore une fois, l'écriture ne m'a jamais offert un sentiment de potentielle surprise : l'enchaînement logique est tel qu'il en devient trop froid.

Ainsi, au bout de 300 pages, je me suis arrêté. Parce que je ne prenais aucun plaisir à ma lecture. Parce que le récit n'avançait pas, que les intrigues en étaient toujours à se mettre en place sans qu'un véritable but ne se dessine à l'horizon, que les personnages ne me tiraient aucune empathie. Et une "plongée" en plein Blitz ne suffit pas à tenir en éveil mon intérêt. Si vous avez envie de découvrir Connie Willis, je ne peux que vous conseiller de commencer par un plus petit volume.

Deuxième décalage temporel pour le challenge Retour vers le Futur

vendredi 10 avril 2015

George R.R. Martin - L'Oeuf de dragon

L'Oeuf de dragon, George R.R. Martin, 2010, 175 pages.

En l'an 212, ser Dunk, chevalier errant, et son écuyer l'Oeuf, soit Aegon (V) Targaryen, quatrième fils de Maekar, sont en route pour le Nord, vers Winterfell, pour vendre leurs épées dans la lutte contre les Fer-nés. En chemin, ils apprennent la tenue d'un tournoi à Murs-Blancs pour célébrer le mariage d'Ambrose Beurpuits avec une Frey. Une occasion inespérée de manger à leur faim et de pouvoir gagner de l'argent.

Troisième aventure de Dunk et l'Oeuf après Le Chevalier errant et L'Épée lige, L'Oeuf de dragon peut parfaitement se comprendre sans avoir lu au préalable ses deux prédécesseurs dans la chronologie. J'en suis la preuve. Et plus que de simplement la comprendre, on pourra parfaitement apprécier cette longue nouvelle/courte novella.

L'histoire se déroulant 90 ans avant les événements narrés dans Le Trône de fer, c'est une tout autre géopolitique, celle des Targaryen, que George R.R. Martin nous propose de découvrir. Il est plaisant de se balader en un terrain en partie connu et en même temps parfaitement différent. Surtout, il est surprenant, et plutôt intéressant, de vivre un récit dans Westeros qui ne fasse pas 1000 pages.

Sans considération pécuniaire - ce livre est parfaitement trop cher pour la durée de sa lecture - L'Oeuf de dragon est un bon moment à passer à la fois pour son récit intéressant suivant deux sympathiques personnages que pour étendre la mythologie du Trône de fer. Et puis, à un mariage Frey, vous savez bien qu'il se passe toujours des choses...

dimanche 5 avril 2015

Ken Liu - L'Erreur d'un seul bit

L'Erreur d'un seul bit, Ken Liu, 2009, 28 pages (pdf).

La nouvelle gratuite du mois d'avril offerte par Le Bélial' est L'Erreur d'un seul bit, une nouvelle de Ken Liu, à télécharger ici pour fêter la sortie du recueil tant attendu de Ken Liu, La Ménagerie de Papier.

Je ne sais absolument pas quoi penser de cette courte nouvelle narrant - expliquant ? - la vie de Tyler, confronté à l'amour et à la foi, dans un texte mêlant, notamment, science et religion. Le problème étant que je ne sais pas vraiment ce qu'elle cherche à dire. Elle me plonge dans la confusion.

Confusion donc, et un poil de déprime, parce que ce texte est loin d'être joyeux. Ce qui ne l'empêche pas d'avoir des qualités : la forme décousue et le style sont maîtrisés et augurent du meilleur pour d'autres textes de l'auteur.

Peut-être devrais-je la relire à un autre moment ? C'est court et ça se lit bien, donc l'idée n'est pas inenvisageable. En attentant, vous pouvez à votre tour l'essayer. Moi, de mon côté, je ne sais pas.

mercredi 1 avril 2015

Jean-Laurent Del Socorro - Royaume de vent et de colères

Royaume de vent et de colères, Jean-Laurent Del Socorro, 2015, 270 pages.

Le royaume, c'est le royaume de France. En 1596, en pleine guerre de religion, le roi Henri IV est sur le point d'achever la reconquête totale de son pays, commencée après la mort d'Henri III en 1589, face à la Ligue catholique. Il ne reste qu'un grand bastion à résister : Marseille.

Le vent, c'est le mistral qui souffle à Marseille, tout aussi réel que symbolique. La révolte gronde sous le pouvoir du consul Charles de Casaulx et les événements sont proches d'un changement radical.

Les colères, ce sont particulièrement celles de Gabriel, Axelle, Victoire et Armand (mais comment oublier Silas et Gabin ?), les quatre narrateurs de cette histoire dans l'Histoire. Quatre univers, quatre personnalités bien différentes et bien marquées. Quatre personnages dont les destins se croisent à la Roue de la Fortune, une auberge marseillaise, en ce 16 février 1596 qui changera à jamais le cours de leurs vies.

Royaume de vent et de colères est un roman vif et enlevé. Les points de vue, tous à la première personne (ce qui en rebutera peut-être certains, mais on s'y habitue aisément et cela fait plutôt sens avec l'ensemble), s'enchaînent rapidement dans de - très - courts chapitres. Les mots résonnent, se répondent, s'interpellent. On sent de la théâtralité dans l'art des dialogues et du rebond, tout comme dans la structure générale du roman (en 3 actes : exposition, péripéties explicatives, résolution), sans parler du personnage de Silas.

Outre le théâtre, difficile de ne pas penser aussi à une partie d'échecs, auxquels quelques personnages font même explicitement référence. Et encore, je n'ai pas la connaissance nécessaire pour reconnaître les références faites au tarot. Mais la force la plus marquante de cette "fantasy historique", c'est bien l'Histoire. L'Histoire de la république de Marseille, des guerres de religion et du début de règne d'Henri IV. Avec la douce sensation d'apprendre en se divertissant. Le tout à peine modifié pour les besoins de l'intrigue, des intrigues.

En terme d'importance et d'influence, Royaume de vent et de colères est bien plus un roman historique qu'un roman de fantasy. La fantasy est bien là, mais seulement à la marge, autant excuse pour développer un personnage qu'élément essentiel de l'intrigue. Car l'essentiel, ce sont les personnages et leurs destins, leurs révoltes et leurs parcours, leurs survies et leurs développements. Des personnages colorés, vivants, marquants.

Si les grandes sagas de fantasy sont comme de longues guerres, Royaume de vent et de colères est lui une escarmouche qui prouve qu'il n'y a pas forcément besoin de trois fois 600 pages pour décrire un vrai univers et enchanter le lecteur. Pour un court roman, Royaume de vent et de colères foisonne d'idées et Jean-Laurent Del Socorro parvient à être autant inspiré sur la forme que sur le fond. Un excellent premier roman, une très belle plume à suivre, une réussite évidente.