L'Oiseau d'Amérique, Walter Tevis, 1980, 387 pages
« Spofforth avait été conçu pour vivre éternellement et ne rien oublier. Et les hommes à l'origine de ce projet ne s'étaient même pas interrogés sur le drame qu'une telle existence pouvait représenter. »
Robot de classe 9, les plus sophistiqués jamais créés par l'homme, Robert Spofforth est le dernier de son espèce sur une Terre déclinante. Et il veut mourir, bien que cela lui soit impossible. Doyen de l'université de New York, il reçoit un appel d'un homme, Paul Bentley, prétendant savoir lire. Une anomalie.
L'Oiseau d'Amérique pourrait être présenté comme une dystopie. Une dystopie aux accents quasi-post-apo tant ces États-Unis sont en déclin. Une dystopie douce car son système dirigeant apparait en roue libre, présent plus par habitude que par conviction.
Mais présenter L'Oiseau d'Amérique ainsi serait une erreur. Car l'essentiel de son propos n'est absolument pas là. Car cela pourrait faire hésiter certaines personnes à le lire, moi le premier, et elles passeraient à côté d'un excellent roman.
Avec L'Oiseau d'Amérique, Walter Tevis aborde de très nombreux sujets - un foisonnement parfaitement maîtrisé qui ne donne jamais une impression de "liste de courses" - liés notamment à l'évolution possible de la société. Mais le point central du roman, ce sont les livres. Les livres et leurs mots, ceux qui ouvrent à l'imagination, ceux qui ouvrent à la liberté, ceux qui ouvrent à la vie. C'est une implacable déclaration d'amour à la lecture qui ne peut laisser indifférent.
Pour faire passer ce message, Walter Tevis passe notamment par l'évolution de son protagoniste principal, Paul Bentley. Une évolution qui ne manquera pas de rappeler, toutes proportions gardées, l'évolution et l'éveil de Charlie dans Des fleurs pour Algernon.
De l'autre côté se trouve Spofforth, le robot aux pensées suicidaires, qui ne manquera pas lui de faire penser à Marvin, l'androïde dépressif du Guide du voyageur galactique, sans le côté tragicomique. Un personnage touchant et marquant. Si Bentley est central dans le déroulé de l'intrigue et des idées, Spofforth reste la pièce maîtresse du livre, lui qui brille d'un éclat puissant à chacune de ses apparitions, lui le robot plus humain que les humains.
L'Oiseau d'Amérique est un grand, un très grand livre. Un livre à la hauteur, si ce n'est plus, de tous ses glorieux aînés qu'on nomme "classiques". Un livre complet, un livre qui allie parfaitement idées et histoire, un livre qui sait évoluer sans jamais oublier de retomber sur ses pattes. Un livre touchant, émouvant, sans être triste. Un livre qui donne envie de lire.
« L'océan est sans doute immensément vaste ; pour moi, il signifie liberté et espoir. Il ouvre un compartiment mystérieux dans mon esprit, comme le font parfois certains passages des livres que je lis et je me sens alors plus vivant que je ne l'aurais cru possible, et surtout plus humain. »
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