dimanche 29 décembre 2019

Ursula Le Guin - Le Vent d'ailleurs

Le Vent d'ailleurs, Ursula La Guin, Tome 6/6 du Cycle de Terremer, 2001, 225 pages

Ainsi s'achève la saga de Terremer. Sans tristesse, avec seulement la pleine satisfaction d'un cycle qui aura conté ce qu'il avait à conter, qui aura apposé une empreinte durable dans la fantasy et qui aura, surtout, impérialement bouclé la boucle. Car si chaque histoire narrée jusque-là par Ursula le Guin était plus ou moins indépendante, ou tout du moins voguait librement, Le Vent d'ailleurs vient en apporter une conclusion générale, réussissant l'exploit de mêler tous les éléments vus précédemment pour en écrire un final en apothéose. Le tout, comme d'habitude, dans le style doux et humain de l'autrice, où les feux d'artifice ne sont pas dans les airs mais bien dans les regards.

Si parfois quelques passages peuvent sembler ardus, presque flous, comme c'était déjà quelque peu le cas dans le final de L'Ultime Rivage, peu importe. Le tout est lui à la hauteur, toujours plus proche des sommets. Un grand cycle, digne de sa réputation mais qui mériterait une reconnaissance populaire plus importante. Un cycle qui aura su me séduire au fil du temps jusqu'à s'imposer comme l'un des plus beaux que j'ai pu lire. Une ode à la simplicité et à l'humain. Merci Madame Le Guin.

Les tomes précédents : Terremer, Les Contes de Terremer, Tehanu
D'autres avis : Vert, ...

mercredi 25 décembre 2019

Paolo Bacigalupi - Water Knife

Water Knife, Paolo Bacigalupi, 2015, 486 pages

États-Unis, dans un futur où l'eau est la denrée la plus précieuse, où les pénuries sont nombreuses et où les États s'affrontent à coup de tribunaux et de milices pour le contrôle des fleuves. Angel est un "water knife" pour le compte de la Direction de l'Eau du Sud Nevada. Il envoyé en mission à Phoenix, une ville qui se meurt. Il y croisera Lucie, une journaliste intrépide ne pouvant s'empêcher de mettre son nez dans de dangereuses affaires, et Maria, jeune femme en proie à la misère espérant trouver une porte de sortie pour quitter l'Arizona.

Water Knife est certainement un bon thriller dans son genre, calibré par des chapitres courts et des changements de points de vue réguliers, avec un rythme tout en pression et essoufflement, à défaut d'un énorme suspense. Dans son genre disais-je ? Oui, car plus qu'un thriller, Water Knife est quasiment un blockbuster d'action où le réalisateur l'auteur n'a pas lésiné sur les doses d'hémoglobines, de tortures et de sexe. Que le lecteur soit prévenu.

Mais la vraie question, outre l'intérêt de ces scènes, est de savoir si Water Knife est plus qu'un thriller bourrin. Beaucoup diront - ont dit - qu'il s'agit d'un excellent livre. Je suis plus mitigé. Le cadre est indéniablement réfléchi et basé sur des projections possibles de notre monde. Mais le cadre reste un cadre, et à mon sens il sonne moins fort que dans d'autres ouvrages de l'auteur. Il se résume malheureusement en un simple "le dérèglement climatique va bouleverser, en plus que mal, notre univers". Le lecteur pourra y extrapoler ce qu'il souhaite, Paolo Bacigalupi lui ne dit rien de plus. C'est frappant, certes, mais ça ne prêchera que des convaincus et ça n'apporte rien de plus.

À l'exception peut-être d'une autre idée : tout ça ne sert à rien, c'est la loi du plus fort, il n'y a aucun espoir. Et c'est peut-être là mon problème avec ce roman, moi qui ne suis adepte ni de dystopie ni de post-apo : Water Knife est un livre désespérant et il m'a désespéré.

D'autres avis : Lhisbei, Yogo, Cédric, Lorhkan, Xapur, Lune, Gromovar, Le chien critique, ...

samedi 21 décembre 2019

N.K. Jemisin - Les Cieux pétrifiés

Les Cieux pétrifiés, N.K. Jemisin, Tome 3/3 des Livres de la Terre Fracturée, 2017, 434 pages

Suite et fin de la trilogie historiquement primée, après La Cinquième Saison et La Porte de Cristal. Autant le dire tout de suite : la conclusion est à la hauteur du chemin parcouru.

Pourtant, comme dans le deuxième tome, les explications techniques prennent parfois un peu trop, à mon goût, le pas sur l'intrigue et nécessitent de s'accrocher quelque peu. Heureusement, la récompense de ces efforts est bien là. Car la conclusion, qui parachève une montée en puissance constante tout au long de ce troisième volume, est magistrale. L'oeuvre de N.K. Jemisin est dans son ensemble admirablement construite. C'est un travail titanesque qui retombe parfaitement sur ses pieds, mais c'est surtout un récit qui arrive à développer tout aussi bien son univers que ses personnages, pour un final satisfaisant dans ces deux domaines.

On dit souvent que le chemin est plus important que la destination. Mais si les deux sont réunis, c'est encore mieux. Avec Les Cieux pétrifiés, la boucle est bouclée. Et Les Livres de la Terre Fracturée deviennent assurément une lecture très recommandable.

D'autre avis : Xapur, Gromovar, Marc, Shaya, ...

mardi 17 décembre 2019

Ursula Le Guin - Contes de Terremer

Contes de Terremer, Ursula Le Guin, "Tome" 5/6 du Cycle de Terremer, 1997-2001, 269 pages
« La loutre ne connaît pas la mort : seulement la vie jusqu'au bout. »
Les Contes de Terremer est un recueil de 5 nouvelles dans l'univers de Terremer. L'occasion d'explorer plus avant ce monde avec de petites histoires centrées sur les personnages, leurs constructions, leurs évolutions et leurs relations. On ne change pas une formule qui gagne : l'humain est toujours au centre avec Ursula Le Guin. Mais bien souvent, la petite histoire rejoint la grande.

Ainsi Le Trouvier contera les débuts de l'École de Roke quand Les Os de la terre et Dans le Grand Marais permettront, de manière détournée, de croiser la route passée de personnages déjà connus - ce sont d'ailleurs mes deux nouvelles préférées, touchantes de simplicité. Si Rosenoire et Diamant est plus anodine du point de vue de l'Histoire, elle n'en est pas moins riche d'idées. Notamment en questionnant le poids du passé sur le rôle de la magie et la place des femmes, une thématique qui sera aussi au coeur de Libellule, nouvelle qui, des mots de l'autrice elle-même, jette une passerelle entre Tehanu et Le Vent d'ailleurs.

Les Contes de Terremer est un excellent recueil, homogène en qualité, dans la droite lignée du reste de Terremer et qui vient confirmer, si cela était encore nécessaire, la grandeur de ce cycle de "fantasy humaine".

D'autres avis : Vert, ...

vendredi 13 décembre 2019

Neil Gaiman - La Mythologie Viking

La Mythologie Viking, Neil Gaiman, 2017, 293 pages

Jamais titre n'aura été plus explicite. La Mythologie viking conte, en courtes nouvelles, les mythes nordiques, ceux d'Odin, Thor et Loki et de tout un florilège de personnages plus ou moins connus, de la création du monde jusqu'au Ragnarok. À partir notamment de l'Edda poétique et de l'Edda en prose, Neil Gaiman offre une sélection des mythes fondateurs de la mythologie norroise, dans une version stylistiquement "modernisée" - mais toujours "neutre" - plus simple à lire pour le lecteur d'aujourd'hui.

Le résultat est excellent. Limpide à lire, passionnant à découvrir, ne demandant aucune connaissance préalable, c'est le livre parfait pour s'initier à la mythologie nordique avec ses personnages imparfaits et hors du commun, ses aventures improbables et extraordinaires, et ses répercussions sur Midgard, notre Terre. Plaisant et instructif, une réussite de bout en bout.

D'autres avis : Vert, Gromovar, Célindanaé, Alys, ...

lundi 9 décembre 2019

Nina Allan - Complications

Complications, Nina Allan, 2008-2011, 202 pages

En horlogerie, les complications sont toutes les fonctions des montres et horloges autres que l'affichage de l'heure. Plus habituellement, une complication désigne le caractère de ce qui est compliqué, difficile à comprendre. Dans Complications de Nina Allan, il y a un peu de ces deux définitions. Mais surtout de la deuxième.

Complications est un recueil - les nouvelles étant initialement parues individuellement - mais aussi un fix-up - les nouvelles étant toutes plus ou moins liées. Malheureusement ce sont surtout les défauts de ces deux formes qui prennent le pas. Ainsi les nouvelles n'ont pas réellement de fin et de consistance en elles-même, et dans le même temps le fix-up n'apporte lui pas suffisamment de lien et de réponses d'ensemble.

Il y a pourtant de bonnes idées, un jeu et une réflexion sur le temps, mais il ne m'en reste surtout qu'un grand manque de satisfaction. À trop être dans le flou, on trébuche ; et pourquoi se relever si le chemin ne mène à rien ? Comme toutes les oeuvres atypiques, Complications souffre du syndrome "ça passe ou ça casse". C'était passé pour moi avec La Course, plus consistant et laissant le temps de s'attacher et de découvrir l'univers et ses personnages. Ça a cassé avec Complications.

D'autres avis : Shaya, ...

jeudi 5 décembre 2019

N.K. Jemisin - La Porte de Cristal

La Porte de Cristal, N.K. Jemisin, Tome 2/3 des Livres de la Terre Fracturée, 2016, 434 pages

Deuxième tome de la trilogie des Livres de la Terre Fracturée, La Porte de Cristal reprend directement là où se terminait l'excellent La Cinquième Saison. Malheureusement, le résultat est cette fois moins convaincant. Il souffre quelque peu du "syndrome du tome du milieu" : il sert de développement et prépare la conclusion du troisième volume, mais est du coup un peu moins actif et satisfaisant.

Sauf peut-être si vous aimez la hard-SF. Car La Porte de Cristal en est un peu le pendant hard-science-fantasy, prenant soin de détailler, bribe après bribe, le fonctionnement de son univers et de ce qui s'y rattache. C'est sympa, nécessaire dans une certaine mesure, mais ça prend une trop grosse part de ce tome. Parce que pendant ce temps-là, l'intrigue n'avance guère.

La Porte de Cristal reste une lecture agréable. Mais alors que le premier tome était surprenant et apportait de la fraicheur, ce deuxième volume donne l'impression de rentrer dans le rang et n'est quasiment qu'une suite classique et un peu molle. Ce qui, et c'est déjà ça, n'enlève en rien à l'envie de connaitre le fin mot de l'histoire et de lire Les Cieux Pétrifiés.

dimanche 1 décembre 2019

Jo Walton - Pierre-de-vie

Pierre-de-vie, Jo Walton, 2009, 349 pages

À Applekirk, bourgade de 800 âmes, Taveth, Chayra, Ferrand - seigneur d'Applekirk - et Ranal vivent d'un amour heureux entourés de leurs enfants Perry, Hodge, Kevan, Melly et Tydsey. Leur paisible vie sera quelque peu bouleversée par l'arrivée quasi-simultanée de Jankin, un savant avide de connaissances venant de l'Ouest, et le retour de l'Est d'Hanethe... l'arrière-grand-mère de Ferrand. Car une particularité régit le monde où se situe Applekirk : le temps s'écoule plus rapidement à l'Ouest et plus lentement à l'Est.

Pierre-de-vie est un roman calme qui n'est pas sans rappeler la douceur des oeuvres d'Ursula Le Guin. Qualifiée de "domestic fantasy" par l'autrice elle-même, l'histoire se concentre sur quelques personnages, un seul lieu et fait la part belle à des activités communes et ordinaires. Pour autant il ne se passe pas rien, loin de là. Rien de flamboyant peut-être, mais suffisamment de choses pour que jamais ne pointe l'ennui.

Pierre-de-vie est un roman qui ne plaira pas à tout le monde. Trop lent, trop mineur, trop sentimental, l'éventail des raisons de ne pas l'apprécier est large. Et pourtant, c'est aussi un roman qui peut - surtout - être hypnotisant et adorable. Une dose de fraicheur, de simplicité et de gentillesse, sans jamais être gnangnan ou inintéressant. Simplement excellent.

mercredi 27 novembre 2019

Philip Pullman - La Tour des Anges

La Tour des Anges, Philip Pullman, Tome 2/3 d'À la croisée des mondes,1997, 446 pages

Suite de Les Royaumes du Nord, La Tour des Anges poursuit les aventures de Lyra et Pantalaimon. Mais alors que le premier tome suivait quasi exclusivement leur point de vue, ce deuxième volume voit se multiplier les fils narratifs. Le tout reste très simple à suivre et limpide à lire, mais apporte un peu plus d'ampleur à un univers qui ne cesse de s'agrandir et de se complexifier - toute mesure gardée bien entendu.

La Tour des Anges est une lecture plaisante, si l'on excepte plusieurs passages loin d'être amusants. Moins surprenante dans son univers que le premier volume, l'intrigue fonctionne par sa logique - même si certains enfants n'ont pas grand chose d'enfantin ; mais le monde des enfants n'est lui-même pas enfantin, n'est-ce pas ? -, son rythme régulier de révélations et sa capacité à garder un mystère constant sur ce qui arrivera dans le chapitre suivant.

Outre une certaine froideur ressentie pour les personnages, le seul bémol provient une nouvelle fois de l'aspect théologique. Si sa présence est mieux dosée et laisse entrevoir une vraie idée de la part de l'auteur, il reste pour l'instant des doutes sur sa nécessité et son apport à l'oeuvre. La réponse se trouvera dans le troisième tome, qui sera lu avec plaisir.

D'autre avis : AcrO, Vert, ...

samedi 23 novembre 2019

Louisa Hall - Rêves de machines

Rêves de machines, Louisa Hall, 2015, 378 pages

En route pour le désert où elle doit être laissée à l'abandon, un babybot, robot à l'intelligence artificielle la plus aboutie, se remémore cinq voix, cinq histoires du passé, de Mary Bradford en 1663 à Stephen R. Chinn en 2040, en passant par Alan Turing.
« À la fin, j'ai seulement leurs voix. Je ne comprends pas ce qu'elles signifient »
Tout est là. Rêves de machines est une cacophonie de voix dont on ne comprend guère le but. Individuellement chaque histoire est inactive et répétitive, n'avançant presque jamais. Collectivement... Y'a-t-il vraiment une somme à tirer de ces individualités ?

Pourtant il y aurait pu avoir de bonnes choses dans ce roman, notamment avec ce modèle de construction qui est plutôt malin et intéressant. Mais la réflexion sur la place de l'intelligence artificielle est quasiment inexistante. À la place Louisa Hall préfère se concentrer sur des couples, des binômes, et la difficulté de s'apprivoiser et se comprendre. Pourquoi pas. Sauf que ça n'est guère réussi, ne captant pas l'attention et ne se montrant jamais touchant. Un roman qu'on évitera à coup sûr si on veut un roman de SF, et qu'on pourra surement éviter tout autant si on cherche un bon livre de littérature blanche.

D'autres avis : Yogo, ...

mardi 19 novembre 2019

John Scalzi - Deus in machina

Deus in machina, John Scalzi, 2009, 140 pages

Le dieu est dans la machine. Littéralement. Il sert de moteur au vaisseau spatial commandé par Ean Tephe. Pas de bonne grâce certes, mais il est contraint d'obéir. Pour combien de temps encore ?

Des dieux et des vaisseaux spatiaux, oui, c'est l'étonnant programme de Deus in machina. Mais ce sont surtout sur ces premiers que va reposer le texte et ses réflexions sur la place et l'impact du divin. Ce n'est pas mauvais, les idées ne sont pas inintéressantes, mais ça ne réveille pas non plus Griaule la nuit.

Heureusement Deus in machina c'est aussi, et avant tout, un récit vif, tout en dialogues et actions, qui se lit sans mal et donne envie d'avoir le fin mot de l'histoire. Et la conclusion est à la hauteur du reste : acceptable. C'est le résumé de cette novella : ce n'est pas le texte le plus marquant de John Scalzi, mais c'est une lecture acceptable.

D'autres avis : Célindanaé, ...

vendredi 15 novembre 2019

Richard Adams - Watership down

Watership down, Richard Adams, 1972, 541 pages

Hazel et Fyveer, deux lapins, vivent paisiblement dans leur garenne lorsque Fyveer a une prémonition : un grand danger arrive, il faut fuir. Mais comment convaincre les autres de partir ? Et pour aller où ?

Watership Down est une histoire de lapins. De vrais lapins, dont les préoccupations essentielles sont de manger, dormir et faire raka. Il y a une certaine simplicité, une certaine normalité au sein de ces pages... et pourtant c'est terriblement prenant. Sans avoir le temps de s'en rendre compte, on se retrouve happé par le destin hors du commun de cette troupe qui n'a rien à envier aux plus grandes compagnies de fantasy.

Évidemment l'histoire a aussi ses côtés extraordinaires - au sens premier du terme. C'est à la fois très visuel, très réaliste, et pourtant bien souvent assez improbable. Ça pourrait faire lever les sourcils... mais ça n'y fait même pas penser parce que c'est tout bonnement génial et habilement écrit par Richard Adams.

Watership Down est à la hauteur de son statut de classique anglo-saxon. C'est une grande épopée digne de Shraavilshâ, une œuvre intelligente, gentille, bienveillante. Et ça fait du bien.

D'autres avis : Valériane, TmbM, Lorhkan, L'Ours inculte, ...

lundi 11 novembre 2019

Walter Tevis - L'Oiseau d'Amérique

L'Oiseau d'Amérique, Walter Tevis, 1980, 387 pages
« Spofforth avait été conçu pour vivre éternellement et ne rien oublier. Et les hommes à l'origine de ce projet ne s'étaient même pas interrogés sur le drame qu'une telle existence pouvait représenter. »
Robot de classe 9, les plus sophistiqués jamais créés par l'homme, Robert Spofforth est le dernier de son espèce sur une Terre déclinante. Et il veut mourir, bien que cela lui soit impossible. Doyen de l'université de New York, il reçoit un appel d'un homme, Paul Bentley, prétendant savoir lire. Une anomalie.

L'Oiseau d'Amérique pourrait être présenté comme une dystopie. Une dystopie aux accents quasi-post-apo tant ces États-Unis sont en déclin. Une dystopie douce car son système dirigeant apparait en roue libre, présent plus par habitude que par conviction.

Mais présenter L'Oiseau d'Amérique ainsi serait une erreur. Car l'essentiel de son propos n'est absolument pas là. Car cela pourrait faire hésiter certaines personnes à le lire, moi le premier, et elles passeraient à côté d'un excellent roman.

Avec L'Oiseau d'Amérique, Walter Tevis aborde de très nombreux sujets - un foisonnement parfaitement maîtrisé qui ne donne jamais une impression de "liste de courses" - liés notamment à l'évolution possible de la société. Mais le point central du roman, ce sont les livres. Les livres et leurs mots, ceux qui ouvrent à l'imagination, ceux qui ouvrent à la liberté, ceux qui ouvrent à la vie. C'est une implacable déclaration d'amour à la lecture qui ne peut laisser indifférent.

Pour faire passer ce message, Walter Tevis passe notamment par l'évolution de son protagoniste principal, Paul Bentley. Une évolution qui ne manquera pas de rappeler, toutes proportions gardées, l'évolution et l'éveil de Charlie dans Des fleurs pour Algernon.

De l'autre côté se trouve Spofforth, le robot aux pensées suicidaires, qui ne manquera pas lui de faire penser à Marvin, l'androïde dépressif du Guide du voyageur galactique, sans le côté tragicomique. Un personnage touchant et marquant. Si Bentley est central dans le déroulé de l'intrigue et des idées, Spofforth reste la pièce maîtresse du livre, lui qui brille d'un éclat puissant à chacune de ses apparitions, lui le robot plus humain que les humains.

L'Oiseau d'Amérique est un grand, un très grand livre. Un livre à la hauteur, si ce n'est plus, de tous ses glorieux aînés qu'on nomme "classiques". Un livre complet, un livre qui allie parfaitement idées et histoire, un livre qui sait évoluer sans jamais oublier de retomber sur ses pattes. Un livre touchant, émouvant, sans être triste. Un livre qui donne envie de lire.
« L'océan est sans doute immensément vaste ; pour moi, il signifie liberté et espoir. Il ouvre un compartiment mystérieux dans mon esprit, comme le font parfois certains passages des livres que je lis et je me sens alors plus vivant que je ne l'aurais cru possible, et surtout plus humain. »

D'autres avis : TmbM, Le chien critique, ...

vendredi 8 novembre 2019

Gardner Dozois - Le Fini des mers

Le Fini des mers, Gardner Dozois, 1973, 100 pages

Les extraterrestres ont débarqué. Ou tout du moins quatre vaisseaux ont atterri. Et les humains d'attendre de voir ce qu'il va en sortir. Dans le même temps, Tommy, jeune garçon, doit faire face à la violence qui l'entoure au quotidien.

Attention : Le Fini des mers est un livre déprimant. C'est malheureusement le meilleur résumé qu'on puisse en faire, et tout ce que j'en garderai. Le lecteur pourra certes essayer de philosopher sur les liens entre les deux trames narratives. Mais toute conclusion ne pourra qu'être triste. Et déprimante.

D'autres avis : L'Ours inculte, Yogo, Xapur, Lorhkan, Elessar, FeydRautha, ...

mardi 5 novembre 2019

Fabien Cerutti - Le Testament d'involution

Le Testament d'involution, Fabien Cerutti, 2018, 437 pages

Suite directe de Le Marteau des sorcières, il est préférable de lire Le Testament d'involution juste après - de toute façon vous en aurez l'envie. Mais si ce n'est pas le cas, rassurez-vous : ce tome commence par un bon résumé - ce qui est notable vu qu'en 2019 le fait est, incompréhensiblement, encore rare.

Pas de mauvaise surprise, ce quatrième tome est à la hauteur de ses prédécesseurs et finit d'affirmer Le Bâtard de Kosigan comme l'une des meilleures séries de ces dernières années. Prenant, surprenant, malin, intelligent, accessible, ... ses qualités sont nombreuses et se retrouvent une nouvelle fois ici, tout comme la belle plume de Fabien Cerutti et sa faculté à donner une voix différente et caractéristique à tous ses narrateurs - mention spéciale à Gunthar von Weisshaupt.

Une bonne conclusion à cette série... enfin presque. Car tout n'est pas vraiment terminé, preuve en est ce « fin du premier cycle » qui conclut l'ouvrage. Si l'auteur en offre une - prévisible mais - habile explication, force est de constater qu'il est un peu décevant de voir certaines questions rester en suspens. Quoiqu'il en soit, si la suite est au niveau de ce premier cycle, on en reprendra avec grand plaisir.

samedi 2 novembre 2019

Tanith Lee - Ne mords pas le soleil

Ne mords pas le soleil, Tanith Lee, 1976, 187 pages

Il est des romans dont on passe totalement à côté. Au point de ne même pas savoir comment élaborer le début d'un résumé. Ne mords pas le soleil est, pour moi, de ceux-là.

Pourtant quelques bonnes idées et réflexions, toujours actuelles, peuvent être devinées dans le lointain. Surtout dans la deuxième moitié, voire dans le dernier tiers. Sauf que pour en arriver là, il faut emprunter une forêt vierge hostile en tongs et avec seulement un canif en main. Ou à peu près. Et lire des pages et des pages de gens se suicidant pour changer de corps et vivant oisivement en toute normalité. Sans fil rouge pour eux... comme pour nous.

Finalement, le meilleur résumé se trouve à l'intérieur même du livre :
« Ç'aurait pu être très intéressant s'il s'était arrangé pour que ça ne soit pas aussi ennuyeux »

mercredi 30 octobre 2019

Fabien Cerutti - Le Marteau des sorcières

Le Marteau des sorcières, Fabien Cerutti, Tome 3/4 du Bâtard de Kosigan, 2017, 319 pages

Pierre Cordwain de Kosigan se rend à Cologne sur les traces de ses origines, à la rencontre d'un groupe de sorcelières, le Cénacle lunaire. Mais l'Inquisition est aussi sur place, en la personne du cardinal Las Casas, surnommé "Le Marteau des sorcières".

Le Bâtard de Kosigan a d'entrée la qualité des grandes séries. Celles que l'on peut quitter quelques années pour retomber dans leurs filets en quelques pages, en ne se sentant pas perdu mais en terrain familier. C'est le cas ici, et c'est fort plaisant.

Ce troisième volume garde le principe des deux premiers, avec toujours un équilibre parfait entre les deux trames temporelles. Et en toute logique, l'intrigue prend encore plus d'ampleur, dans des proportions édifiantes. C'est malin, c'est dynamique, c'est consistant. Et ça a le bon goût d'être parfaitement accessible sans connaissance historique ou mystique.

Attention tout de même, Le Marteau des sorcières est un faux troisième tome puisqu'il se termine sur un "Fin de la première partie". Prévoyez donc d'avoir Le Testament d'involution sous la main pour conclure au plus vite l'aventure, vous en aurez envie.

vendredi 25 octobre 2019

Lucius Shepard - Les Attracteurs de Rose Street

Les Attracteurs de Rose Street, Lucius Shepard, 2011, 129 pages

Dans le quartier malfamé de Saint Nichol, à Londres, Jeffrey Richmond cherche à améliorer la qualité de l'air. Ses expérimentations l'amènent à créer une machine qui attire les fantômes, et notamment sa sœur mystérieusement décédée quelques années auparavant. Il engage Samuel Prothero, médecin aliéniste, pour élucider ces étrangetés.

Les Attracteurs de Rose Street est une novella où il ne se passe rien, ou presque. Quasi-huis clos à cinq personnages, le récit parait se dérouler un peu trop vite, trop simplement, tout en étant sensiblement confus et flou dans ses parties plus fantastiques.

Et pourtant, cela se lit tout seul. En majeure partie - si ce n'est en totalité - grâce à la plume de Lucius Shepard. Sans grandiloquence, sans passages fascinants, sans envie de citations toutes les 3 pages - si ce n'est la conclusion, très belle -, le texte sonne juste à tout instant, est parfaitement efficace et pose une forte ambiance, très visuelle, en peu de mots.

Par Griaule, il ne manquait qu'un peu de flamboyance dans l'intrigue pour vraiment en faire une bonne novella. Et dans le même temps, n'est-ce pas l'hommage le plus juste à la désuétude d'un certain fantastique ?

mardi 22 octobre 2019

Bulles de feu #18 - Zidrou & Beuchot, duo gagnant

J'avais parlé ici-même de Tourne-Disque, une très belle bande-dessinée aux couleurs chaudes, tout en simplicité et en douceur. Elle fait partie d'une série de trois BD, la "Trilogie africaine" de Zidrou et Raphaël Beuchot, qui se compose de trois one-shots indépendants. Voici les deux autres. Divulgâcheur : c'est tout aussi bien.

Le Montreur d'histoires, Zidrou & Raphaël Beuchot, 2011, 96 planches
« Je m'appelle Amina mais tout le monde, maintenant, m'appelle "Mamina". Quand on est vieux, on vous donne un autre nom que le vôtre. Comme si vous deviez d'abord vous détacher du nom avant de vous détacher de ce qu'il représente. »
Le Montreur d'histoires conte l'histoire de "Il était une fois", un marionnettiste itinérant. Il n'est pas nécessaire d'en dire beaucoup plus, si ce n'est qu'on apprendra que cette itinérance n'est pas forcément volontaire et qu'il sera de nouveau confronté aux raisons de cette mobilité.

Commençant très gentiment, Le Montreur d'histoire s'avère être une histoire bien plus dure que ce que les premières pages - et les couleurs toujours chaudes et magnifiques - peuvent laisser présager. C'est dur, c'est triste, mais c'est aussi magnifique. C'est une ode aux histoires, à leurs pouvoirs, à leur nécessité. Et quel plus bel hommage aux histoires que d'en raconter plusieurs dans un même album, de si belle manière, avec une écriture superbe et ciselée, agrémentée d'agréables dessins. Une magnifique BD, tout simplement.
« Mais la vie n'est pas une histoire. Ou alors, celui qui la raconte le fait vraiment très mal. »
Un tout petit bout d'elles, Zidrou & Raphaël Beuchot, 2016, 112 planches

Se déroulant dans un passé assez intemporel, Le Montreur d'histoires et Tourne-Disque ont un certain côté "fables", amplifié par des couleurs chaudes et vives. Ce n'est pas le cas de Un tout petit bout d'elles où les couleurs perdent en flamboyance et le récit s'ancre bien plus dans le présent.

Et pour cause. Car sur un léger fond d'investissement chinois en Afrique, le sujet principal est l'excision, une pratique que plusieurs centaines de filles subissent encore chaque jour.

L'intrigue de ce troisième tome du duo Zidrou/Beuchot est mince, on pourra le regretter. Mais l'essentiel est ailleurs. L'essentiel c'est la nécessaire mise en lumière de ce sujet trop méconnu, étayée d'un dossier de quelques pages pour conclure l'ouvrage. Et c'est déjà beaucoup.

samedi 19 octobre 2019

Damon Knight - Le Royaume de Dieu

Le Royaume de Dieu, Damon Knight, 1954, 149 pages

Alors que d'étranges phénomènes apparaissent aux États-Unis, Robert James Dahl, journaliste, enquête sur une zone secret défense à Chillicothe. Arrêté par le gouvernement, il se voit offrir l'opportunité de visiter l'installation et de découvrir ce qui doit être tenu caché.

Commençant comme une réflexion sur le rôle et la liberté des médias, Le Royaume de dieu prend rapidement une autre tournure et opte pour un sujet plus classique de premier contact. Heureusement, le développement proposé n'est lui pas classique.

Le Royaume de Dieu est une œuvre politique, Damon Knight y présentant une alternative sociétale. Mais que cela ne fasse peur à personne : nous sommes ici au stade de la proposition douce, du jeu avec les possibles, pas aux grandes tirades et aux exhortations immodérées. Et surtout, l'auteur n'oublie pas de proposer un texte intéressant dans son intrigue, avec la bonne dose de mystère et de suspense pour faire tourner les pages avec envie.

Si les livres à messages sonnent parfois un peu creux, Le Royaume de Dieu ne reste lui pas au stade de l'idée mais sait l'utiliser pour proposer une agréable novella.

lundi 14 octobre 2019

Megan Lindholm, Steven Brust & Gregory Frost - Liavek

Liavek, Megan Lindholm, Steven Brust et Gregory Frost, 1985-1988, 282 pages

Cité portuaire multiculturelle où les habitants reçoivent chaque année une dose de « chance », Liavek est un univers partagé par de nombreux auteurs qui comprend au total 56 nouvelles (et 7 poèmes). Ce recueil, créé spécialement pour la France, en reprend 6 qui suivent, notamment, les personnages de Kaloo et Dashif dans une montée en puissance qui pourrait faire croire que ces nouvelles ont toujours été conçues pour être un fix-up.

Les deux premières nouvelles servent surtout d'introduction aux deux protagonistes principaux, les intrigues étant encore plus simples que les suivantes - qui ne sont pourtant déjà pas bien compliquées. Quant à l'univers, il est juste brossé. S'il paraît être riche et avec un bon potentiel, il ne sera jamais pleinement découvert ici, pas de manière satisfaisante en tout cas, la faute peut-être au format d'univers partagé.

Les deux nouvelles écrites en solo par Steven Brust manquent de consistance, jouant bien trop sur de nombreuses et courtes ellipses pour donner du rythme. Heureusement la présence de Megan Lindholm dans les quatre autres apportent plus de satisfaction. La palme revenant à Un acte d'amour, la dernière nouvelle, qui est le vrai plat de résistance de ce recueil et y apporte une véritable conclusion.

Lecture agréable s'il en est, Liavek ne peut clairement pas se targuer d'être l'oeuvre majeure de Megan Lindholm. Un recueil sympathique néanmoins, tout en simplicité, un peu trop, dans un univers qu'on aimerait plus développé. Reste pour cela 50 nouvelles à lire en VO...

D'autres avis : Vert, Shaya, Cédric, ...

mercredi 9 octobre 2019

Ken Liu - L'Homme qui mit fin à l'histoire

L'Homme qui mit fin à l'histoire, Ken Liu, 2011, 103 pages

N'en déplaise aux critiques généralistes, c'est une habitude de la science-fiction de n'être qu'un "prétexte" pour évoquer le présent et proposer diverses réflexions parfaitement d'actualité - le tout le plus souvent enrobé d'une couche de plaisir, via de l'aventure ou de l'émerveillement. Mais c'est peut-être encore plus le cas dans L'Homme qui mit fin à l'histoire.

Certes il y a ces particules de Bohm-Kirino qui permettent de revivre des moments du passé, et ce une seule fois. C'est à peu près tout pour l'aspect science-fictif. Le reste n'en est pas pour autant moins intéressant. Ken Liu y fait une nécessaire mise en lumière de l'Unité 731, cet « Auschwitz oriental ». À cela s'ajoute une intense réflexion sur l'Histoire, la vérité, les responsabilités et de nombreux points qui, notamment, découlent de l'invisibilisation de ce drame et de tant d'autres.

L'Homme qui mit fin à l'histoire n'est pas une lecture marquante des genres de l'imaginaire. Mais c'est une lecture marquante tout court, qui fourmille de réflexions présentées de la manière la plus neutre possible - et la forme du récit, un faux documentaire, est ici fort adaptée. Une novella qui donne à réfléchir, une lecture nécessaire.

vendredi 4 octobre 2019

Justine Niogret - Mordre le bouclier

Mordre le bouclier, Justine Niogret, Suite de Chien du Heaume, 2011, 197 pages
« - Quel esprit faut-il avoir pour aller planter son arme dans le ventre d'autres vivants, de toute façon ? Pour s'en aller tuer un homme qu'on cherche depuis des dizaines d'années dans un col entre deux montagnes ? Dis-moi le sens de nos vies, Chien, si tu le peux ; je t'écoute. » 
Six mois après la fin de Chien du heaume, Chien et Bréhyr prennent la route, sur la trace des Croisés, pour achever la vengeance de cette dernière.

Six ans après la lecture de Chien du heaume, il ne m'en restait pas grand chose, si ce n'est rien ; à une exception près sur la fin, et encore, cela ne gêne en rien la lecture de ce livre-ci.

Une chose est néanmoins certaine : l'excellente plume de Justine Niogret est toujours au rendez-vous. Si le roman peut sembler un peu bavard par moment, jouant bien plus la carte de l'introspection, du souvenir et de la discussion que de l'action, il n'en demeure pas moins un vrai plaisir de lecture tant le texte est ciselé et propose de beaux moments de bravoure verbale.

Si Mordre le bouclier doit être lu pour son écriture, il doit aussi l'être pour ses personnages et leurs évolutions, leurs progressions. Car même s'il suit deux héroïnes d'âge mûr, c'est bien d'un récit initiatique dont il s'agit. Un récit de vengeance et de mort certes, mais surtout un récit de vie, quelque part entre la crasse et l'onirisme.
« Vois-tu, tout ce que je pense des livres tient dans la marge d'un texte, où la plume d'un copiste, noire et droite à côté des vives enluminures, a noté de travers : « Dieu, j'ai si froid. » Voici la voix qui monte des livres. Voici ce que j'entends en parcourant un ouvrage ; la voix des morts, la voix des gens passés. Ainsi, je n'oublie pas que je ne suis pas le seul à avoir vécu, le seul à arpenter la terre, que d'autres l'ont fait avant moi, et mieux, et plus longuement. Eux aussi avaient froid. »
D'autre avis : L'Ours inculte, Dionysos, Xapur, Lorhkan, Shaya, Lhisbei, ...

dimanche 29 septembre 2019

Laurent Kloetzer - Issa Elohim

Issa Elohim, Laurent Kloetzer, 2018, 125 pages
« L'attente, les doutes, les incertitudes, tout ceci use les esprits et les volontés. Ceux des réfugiés, en premier lieu, ceux des personnes qui les aident. On est sans cesse inquiet, sans cesse à l'affut. C'est destructeur. »
En reportage dans un camp de réfugiés en Afrique du Nord, Valentine Ziegler va faire la connaissance d'Issa, supposément un Elohim, un être mystérieux, entre apparition extraterrestre et réincarnation divine pour les uns, supercherie manipulatrice pour les autres.

Issa Elohim est l'occasion pour Laurent Kloetzer de mettre une nouvelle fois en scène un Elohim, ces présences déjà aperçues dans Anamnèse de Lady Star et Vostok. La rencontre est cette fois-ci plus frontale et somme toute plus claire, ce qui ne veut pas dire que le mystère disparaît, bien au contraire.

Outre les Elohims, et par leur biais la foi, l'autre thème central d'Issa Elohim ce sont les réfugiés et les migrants. Les deux sujets se mélangent très bien, l'un servant l'autre - et vice-versa - et aucun ne prend le dessus. Surtout, Laurent Kloetzer conserve un ton neutre qui ne cherche pas à donner de leçons et le récit n'en retire que plus de saveur, plus de profondeur. Une intelligente novella, humaine, qui parvient à traiter deux sujets difficiles et à en tirer de la beauté, une réussite.

mardi 24 septembre 2019

Grégoire Courtois - Suréquipée

Suréquipée, Grégoire Courtois, 2015, 162 pages
« Il ne s'agit pas de Pygmalion, du Golem ou de la créature de Frankenstein. Ça n'est pas de la romance ou de la magie. C'est de la génétique. Cette voiture n'a aucun secret pour nous ; elle est un fait scientifique. »
En ce début de XXIIème siècle, la BlackJag est la première voiture organique à voir le jour. À travers les enregistrements du tout premier modèle, Suréquipée nous présente ce nouveau type de véhicule pendant qu'un mystère tente d'être résolu.

Et la plus grande partie du mystère - si vous n'avez pas lu la quatrième de couverture - c'est déjà de savoir quel est le but de tout ça, pourquoi deux personnages étudient les logs de cette BlackJag. Ce qui ne fait donc qu'ajouter du mystère au mystère. Et c'est très bien ainsi.

En toute logique, Suréquipée joue à fond la thématique de la relation homme/voiture et en explore plusieurs facettes. C'est intelligent, et ce même si on n'est pas trop branché voiture. D'autant plus que le roman est court, une longueur parfaitement adaptée et satisfaisante.

Suréquipée est un diesel. Si les ficelles sont un peu visibles au démarrage, le récit trouve très rapidement son rythme et devient prenant, et même surprenant, à plus d'un titre. Un roman tout simplement réussi.

Nota : cette version FolioSF propose l'une des plus belles couvertures jamais publiées, par Frédéric Le Martelot.

D'autre avis : Lorhkan, Lune, Lianne, itenarasa, ...

jeudi 19 septembre 2019

Paul J. McAuley - Le Choix

Le Choix, Paul J. McAuley, 2011, 83 pages

Le jour où un dragon marin s'échoue sur une plage, Damian et Lucas n'hésitent que peu avant de monter à bord de la frêle embarcation de ce dernier : l'occasion est trop rare de pouvoir approcher d'un engin extraterrestre.

Oui, il y a des choix, plutôt au pluriel d'ailleurs, dans Le Choix, des décisions qui vont impacter la vie de nos deux protagonistes. Oui aussi, je n'aurais jamais écrit cette phrase ni penser à cette histoire sous cet angle s'il n'y avait pas eu ce titre. Et pour cause : il y a suffisamment de bonnes choses dans cette novella pour ne pas la résumer à un simple choix.

Le Choix est un récit éminemment fluide et humain qui se lit d'une traite. En seulement 80 pages, Paul J. McAuley parvient à donner réellement corps à un monde, le nôtre dans un possible futur, et à raconter une histoire complète, le tout dans un rythme parfait permettant de s'imprégner de l'univers et de profiter d'une solide intrigue, sans que l'un n'empiète sur l'autre.

Le Choix n'est pas un récit qui tire de grands "wahou" du lecteur, ni qui laisse un sentiment de "chef d'oeuvre". Il est de la catégorie juste à côté - la catégorie des mal-aimés, ceux qui ne finissent jamais dans les tops de fin d'année - celle des récits qui font les choses bien, très bien, sans fausse note, qu'on lit avec plaisir et satisfaction. Et c'est déjà beaucoup. Une vraie novella de choix.

D'autre avis : Lorhkan, Lune, Yogo, L'Ours inculte, Lhisbei, Vert, ...

samedi 14 septembre 2019

Bulles de feu #17 - Jean-Marc Rochette et la montagne

Ailefroide, Altitude 3954, Olivier Bocquet et Jean-Marc Rochette, 2018, 290 planches

L'Ailefroide, c'est un ensemble de sommets du massif des Écrins, dans les Alpes. Désormais, c'est aussi une excellente bande dessinée contant la passion de la montagne et de l'alpinisme. Une passion émerveillante certes, mais montrée ici dans toute sa complexité, faite autant de bonheurs que de malheurs. Car la montagne prend tout autant qu'elle donne.

Ailefroide c'est aussi - d'abord - le récit autobiographique de Jean-Marc Rochette, artiste multi-facettes notamment connu pour ses travaux d'illustrateur sur Le Transperceneige. C'est l'itinéraire d'un gamin qui cherche sa voie entre les voies. C'est prenant, c'est fascinant. Le genre d'oeuvre où l'on devient le personnage, où l'on ressent ses joies et ses peines.

Il n'y a plus à prouver que l'alpinisme et l'escalade font de parfaits sujets d'histoires passionnantes, que cela soit en BD ou dans d'autres médias - le documentaire Free Solo méritant plus que largement son Oscar. Ne reste plus qu'à savoir partager cette passion pour les sommets, pour cette subtile alliance de simplicité et de complexité. Ailefroide y parvient admirablement.

Le Loup, Jean-Marc Rochette, 2019, 102 planches
« Le berger et le loup, c'est pas fait pour être ensemble. »
Gaspard est berger. À la suite d'une attaque sur ses moutons, il abat une louve. Mais son petit, loup blanc en devenir, survit. S'engage alors une relation particulière entre les deux individus, une lutte passionnelle.

Le sujet était casse-gueule, mais Jean-Marc Rochette n'a même pas commencé à trébucher. Le Loup est une habile bande-dessinée où l'auteur désamorce très tôt une potentielle prise de parti entre pro et anti loups. S'en suit une histoire prenante, haletante, qui grandit au fil des pages et finit par en dire beaucoup plus que ce que le pitch de départ pouvait laisser penser. Un message explicité par la très intelligente et intéressante postface de Baptiste Morizot. Le tout une nouvelle fois sous le crayonné caractéristique de Jean-Marc Rochette et sous le patronage de la montagne, toujours belle et dure à la fois.

lundi 9 septembre 2019

Laurent Genefort - L'Affaire du rochile

L'Affaire du rochile, Laurent Genefort, Univers d'Omale, 2008, 97 pages

Omale, région de Pargam, à la frontière entre les aires humaines et chiles, lors d'une époque de paix relative. Ramin Palana, humain et ancien militaire, revient dans son village natal de Trois-Roches pour enquêter sur une série de meurtres sanglants qui seraient dus à une bête chile et qui pourraient bien enflammer de nouveau la région.

Là où les romans se déroulant sur Omale ont tendance à prendre leur temps concernant les intrigues, L'Affaire du Rochile propose pour sa part une enquête dynamique et spontanée qui va à l'essentiel, tout en continuant d'explorer les relations humano-chiles. Bien que l'enquête soit un peu linéaire - mais c'est quasi-obligatoire vu le format, et son titre, le seul vrai bémol de cette nouvelle, ne l'aide pas - le texte reste de qualité et le plaisir est tout de même largement au rendez-vous.

Troisième escale pour le Summer Star Wars - Solo

mercredi 4 septembre 2019

Stuart Turton - Les Sept Morts d'Evelyn Hardcastle

Les Sept Morts d'Evelyn Hardcastle, Stuart Turton, 2018, 537 pages


Evelyn Hardcastle sera assassinée ce soir à 23h. Par qui et comment ? C'est ce que doit découvrir notre protagoniste principal. Il a pour cela 8 jours... 8 fois cette même journée cruciale, en prenant à chaque fois place dans un hôte différent.

Difficile de ne pas jouer au jeu des comparaisons et du mash-up en parlant de ce roman tant ses éléments principaux sont caractéristiques : une boucle temporelle complètement timey-wymey, une intrigue en un seul lieu, des personnages ayant tous des secrets, un polar aux rebondissements en série, ... Pour autant, Les Sept Morts d'Evelyn Hardcastle n'est pas une pâle copie d'un Agatha Christie ou d'Un Jour sans fin. Au contraire, Stuart Turton a su prendre le meilleur de chaque élément, les mixer et aller encore plus loin en ajoutant sa propre touche. Le résultat est magistral.

Digne des plus grands whodunits, Les Sept Morts d'Evelyn Hardcastle tient en haleine de la première à la dernière page. La lassitude ne pointe jamais, bien au contraire : le plaisir et l'intérêt parviennent même à augmenter encore dans la seconde moitié du récit.

Un excellent roman, utilisant astucieusement la SF pour proposer une très belle variation - et même plus - d'un thème pourtant déjà traité plus que de raison. Le tout maîtrisé à la perfection par l'auteur. Magistral, c'est le mot.

D'autre avis : Gromovar, Yuyine, TmbM, Yogo, Lune, Tigger Lilly, FeydRautha, ...

mercredi 28 août 2019

Lisa Goldstein - L'Ordre du Labyrinthe

L'Ordre du Labyrinthe, Lisa Goldstein, 1996, 246 pages

Molly Travers fait la rencontre d'un détective privé qui enquête sur sa famille, précisément sur son grand-père et ses soeurs, membres d'une même troupe de magiciens 60 ans auparavant. Titillée par la curiosité et par la découverte, chez sa tante, d'un mystérieux manuscrit mentionnant "L'Ordre du Labyrinthe", Molly commence à mener l'enquête de son côté.

Des identités troubles, des magiciens, du mystère et de l'incompréhension, les premières pages de L'Ordre du Labyrinthe font immanquablement penser au Prestige de Christopher Priest. Pour autant la suite sera bien différente, Lisa Goldstein se servant de cette base pour créer un roman qui pourrait quasiment être classé dans les polars.

L'Ordre du Labyrinthe est une lecture assez folle. Elle comporte à la fois une enquête solide et tortueuse, qui tient la route, et des séquences bien moins ordinaires, presque psychédéliques, qui donne une ambiance très particulière au récit. Et... ça fonctionne, parce que ça sait s'arrêter avant de trop en faire et que le dosage entre normal et anormal est réussi. Une petite expérience facile d'accès.

D'autres avis : Yogo, Anudar, Célindanaé, Boudicca, Cédric, ...

mardi 20 août 2019

Philip Pullman - Les Royaumes du Nord

Les Royaumes du Nord, Philip Pullman, Tome 1/3 d'À la croisée des mondes, 1995, 533 pages

Jeune orpheline, Lyra vit au Jordan College, à Oxford, avec son daemon Pantalaimon. Elle mène une vie simple d'enfant jusqu'à ce qu'elle assiste à une tentative d'empoisonnement de son oncle et apprenne d'étonnantes informations sur une étrange Poussière et une ville dans le ciel.

La découverte et l'émerveillement, c'est le mot d'ordre d'une bonne partie de ce roman. Entre daemons, aléthiomètre et autres panserbjorns, Les Royaumes du Nord regorge de belles trouvailles et d'un univers, sensiblement proche du notre, qui donne envie d'être exploré plus amplement.

Si À la croisée des mondes est une œuvre jeunesse, cela se ressent essentiellement dans une certaine simplicité de ton et d'intrigue ainsi que par la présence d'une jeune héroïne. Pour autant simple ne veut nullement dire simpliste, Philip Pullman faisant confiance à l'intelligence de ses lecteurs. Quant à Lyra, sa jeunesse ne l'empêche pas d'être une héroïne plus maline que bien d'autres héros adultes de romans, tout en conservant une certaine candeur toute sympathique.

Les Royaumes du Nord est une belle réussite. Certes l'intrigue ne déborde pas de rebondissements et de surprises et l'aspect théologique de la dernière partie n'est pas nécessairement sa plus grande satisfaction. Mais ces bémols sont faibles en regard de la qualité des trouvailles de l'auteur et du nombre d'idées habilement distillés au fil de cet efficace récit. À mettre entre les mains des petits comme des grands.

Lecture commune avec le Cercle d'Atuan : Vert, ...
D'autres avis : AcrO, ...