jeudi 27 janvier 2022

Léafar Izen - La Marche du levant

La Marche du levant, Léafar Izen, 2020, 644 pages

Sur cette Terre, le jour dure 150 ans. De même pour la nuit. Ce qui oblige la population, notamment celle regroupée au sein de la Marche du Levant, à se déplacer continuellement pour éviter tant les déserts de sable que de glace. Mais cette fuite continuelle pourrait avoir une fin. C'est ce que disent en tout cas les Versets qui évoquent une enfant qui deviendra reine et guidera la Marche à travers l'Arche du Destin, loin de ce cycle infernal.

La Marche du levant est un livre de fantasy. Un mélange de fantasy à capuche, de fantasy à intrigues politiques et de fantasy à prophétie. Chacun de ces genres peut quasiment être associée à chacune des trois parties de ce roman. Mais si les deux premiers sont ceux qui apportent un peu d'attachement et plus généralement d'envie de connaître la suite, c'est bien le troisième, la fantasy à prophétie, qui prend finalement la plus grosse part du livre. Malheureusement.

Car qui dit prophétie dit chemin balisé. On sait où on va. Et on y va effectivement, sans surprise. Certes c'est plutôt bien fait, si ce n'est peut-être une gestion du temps un peu déséquilibrée, le pédale d'accélérateur ne cessant d'être de plus en plus enfoncée. Ça se lit à la fois sans mal, mais aussi sans émotion, si ce n'est la déception que tout cela ne mène à rien. Jusqu'à un certain twist, globalement prévisible et n'apportant pas à mon sens le changement de paradigme espéré.

Il n'en reste pas moins un univers intéressant, pas toujours évident à envisager mais apportant une vraie nouveauté. C'est clairement le point fort du roman. Dommage que l'histoire qui s'y déroule reste elle éminemment classique et prévisible. Que j'aime ce livre ne devait pas faire partie de la prophétie.

Couverture : Hervé Leblan
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Lorhkan, Le chien critique, Célinedanaë, Anouchka, Xapur, L'Ours inculte, Apophis, Le Maki, Marc, Boudicca, Le nocher des livres, Yuyine, ...

vendredi 21 janvier 2022

Vinciane Despret - Autobiographie d'un poulpe et autres récits d’anticipation

Autobiographie d'un poulpe et autres récits d’anticipation, Vinciane Despret, 2021, 126 pages

Autobiographie d'un poulpe et autres récits d’anticipation est un recueil de trois 'nouvelles' composées d'extraits de lettres, de mails et de conférences, éventuellement annotés. Chaque texte traite de sujets liés à la thérolinguistique et à la théroarchitecture. La première évoque les vibrations des araignées, la deuxième les constructions des wombats à partir de leurs excréments quand la dernière enquête sur les aphorismes d'un poulpe. Tout ça vous parait extrêmement déroutant, voire très bizarre ? C'est normal.

En 1974, Ursula Le Guin écrit la nouvelle The Author of the Acacia Seeds and Other Extracts from the Journal of the Association of Therolinguistics - disponible en français sous le titre L'Auteur des graines d'acacia" dans le recueil Les Quatre Vents du désir. Elle y introduit la thérolinguistique, la science qui étudie les langages non-humains. Dans l'univers développé par Vinciane Despret, un futur indéterminé mais à priori assez lointain, la thérolinguistique est sorti du cadre science-fictionnel et est devenu une science normale. Car oui, les langages non-humains sont innombrables - et difficilement imaginables sans une guide comme Vinciane Despret.
«(...) sans oublier ce genre, toutefois considéré comme mineur, qu'est le roman policier historique du coquelicot aux prises avec les produits phytosanitaires. »
C'est bien là tout l'intérêt de ce recueil : sortir des sentiers battus et envisager les choses sous un angle nouveau, avec un regard neuf, loin de nos certitudes. Sur ce point, ça fonctionne très bien., et chaque texte détaille une proposition qui apparait d'abord impossible mais que l'on se met pourtant à envisager peu à peu. C'est bouillonnant et assez fascinant dans sa faculté à brouiller les contours entre la réalité et la fiction, dans une sorte de hard-sciences-naturelles-fiction.

Mais il y a malheureusement un (très gros) bémol : c'est aussi franchement barbant à lire. Malgré un petit mystère dans chaque texte, il n'y a pas vraiment d'intrigues, le format étant plus à la conférence. Des conférences ardues, où l'on ne saisit pas tout et qui ne sont guère palpitantes. Si ça n'avait pas été des nouvelles, je ne crois pas que j'en aurais vu la fin. Intéressant dans le fond mais désagréable sur la forme : il faudrait certainement inventer une nouvelle spécialité scientifique pour déterminer si cela en fait un livre recommandable ou non.

Couverture : ?
D'autres avis : TmbM, ...

vendredi 14 janvier 2022

Émile Zola - La Débâcle

La Débâcle, Émile Zola, Tome 19/20 des Rougon-Macquart, 1892, 582 pages

1870. L'heure est à la guerre entre la France et la Prusse. Patriotes, Jean Macquart et Maurice Levasseur se sont tous deux engagés pour aller combattre l'ennemi. Au sein du 106ème de ligne, ils deviendront amis, frères, et subiront ensemble toutes les déroutes de l'armée française.

Car La Débâcle porte très justement son nom. C'est une débâcle, et même plusieurs, tant l'armée française se fait malmener par l'armée prussienne. Avec en point d'orgue la bataille de Sedan qui verra la fin de l'Empire. Toute cette période, et cette guerre de manière plus générale, est très bien documentée par Émile Zola, de manière très précise. Trop même : à peu près tous les mouvements de troupes sont énoncés. C'est un véritable cours d'Histoire, à la fois instructif dans son ensemble tout en étant sensiblement ennuyant dans le détail.

La Débâcle est clairement un roman fait pour détailler cette défaite et le manque de préparation et de commandement de la France. Les personnages se déplacent sur le champ de bataille au gré des besoins de l'auteur. Heureusement, ces mêmes personnages sont aussi, pour la majorité, vraiment intéressants voire attachants - vive Henriette - et leurs histoires sont plaisantes à lire - si on omet l'horreur de certaines scènes. C'est d'ailleurs très facile à lire avec toujours cette capacité d'Émile Zola à décrire des scènes de manière cinématographique. Un bon cru en somme, avec même en un sens une petite note d'espoir pour finir (et du drame aussi, hein, quand même).
« (...) il fut très surpris de revoir, à sa droite, au fond du vallon écarté, protégé par des pentes rudes, le paysan qu'il avait vu le matin et qui continuait à labourer sans hâte, poussant sa charrue attelée d'un grand cheval blanc. Pourquoi perdre un jour ? Ce n'était pas parce qu'on se battait, que le blé cesserait de croître et le monde de vivre. »
Couverture : Alphonse de Neuville, "Combat sur la voie ferrée" (détail)
Lecture commune avec la Zolerie, Tigger Lilly et Alys.

samedi 8 janvier 2022

Bulles de feu #39 - In Waves

In Waves, AJ Dungo, 2019, 364 planches

À l'origine, In Waves est un projet d'études d'AJ Dungo concernant l'histoire du surf, mettant particulièrement en avant Duke Kahanamoku et Tom Blake, deux figures majeures de la discipline. Les circonstances vont finalement modifier le projet. Après le décès de sa petite amie, AJ Dungo fait évoluer l'ouvrage vers une autobiographie, retraçant son histoire avec Kristen.

In Waves est un hommage absolument somptueux à Kristen, l'un des plus beaux qu'il puisse être. Dans un récit éminemment touchant, AJ Dungo livre deux vies sur le papier, sans jamais tomber dans le voyeurisme ou le pathos. Au contraire, l'auteur offre un récit très sobre. Sobre dans sa narration où les années se mélangent pour proposer un développement parfaitement logique et où l'Histoire du surf, sport vital pour le couple, vient offrir quelques respirations bienvenues, intéressantes et sensées. Sobre aussi dans son dessin, avec un style aéré, quasi-minimaliste mais complet pour autant, le tout en bichromie, vert pour l'histoire personnelle, marron pour l'histoire du surf. Une double sobriété qui rend la BD d'autant plus puissante.

In Waves est simplement un chef-d’œuvre. Une histoire de passions et d'amours, une tranche de vies et de mort d'une rare beauté. Bouleversant.

Quelques planches ici.

dimanche 2 janvier 2022

P. Djèli Clark - Ring Shout

Ring Shout, P. Djèli Clark, 2020, 170 pages

États-Unis, 1922. Le Ku Klux Klan fait régner la terreur sur les populations noires. Sauf que ce Klan n'est pas tout à fait celui que nous connaissons. Certains de ses membres sont monstrueux d'une manière bien plus littérale, des démons aux visages d'hommes. Alors que leur conquête ne cesse de s'étendre, une résistance tente de renverser le mal, autour d'un trio de combattantes mené par Maryse, une jeune femme possédant une épée magique.

Ainsi est l'univers de Ring Shout. Une fantasy classique avec magie et démons dans un cadre historique tout à fait réel. Un mélange qui étonne en premier lieu, et questionne. Pourquoi cette association ? Et pourquoi pas, d'abord ? C'est finalement intéressant pour traiter d'un sujet grave sous un angle nouveau, et permettre de diversifier le public touché. C'est peut-être aussi un peu cathartique : ne faudrait-il pas une raison démoniaque pour réussir à expliquer de telles horreurs ? Vain espoir, malheureusement.

Ring Shout est une novella qui m'aura gagné à sa cause au fil des pages. Le temps de s'habituer à son cadre donc, mais aussi au style de l'auteur. Un style parlé afro-américain qui va encore plus loin lors de passages en gullah, loin d'être toujours évidents à décoder mais augmentant l'immersion. Je ne juge habituellement pas des traductions, ne pouvant comparer au matériel d'origine, mais force est de constater que la traduction de Mathilde Montier est certainement un travail de grande ampleur et formidablement réussi, parvenant à rendre ces parlés dans toutes leurs complexités.

L'acclimatement à ce phrasé et à cet univers réalistico-fantasyque va de pair avec une montée en puissance du texte. L'immersion et l'attachement se font de plus en plus prégnants en même temps qu'un véritable objectif se profile pour les héroïnes. Et ce jusqu'à une fin de qualité qui conclut le récit sur une très bonne note, pour une novella pleinement satisfaisante.
« Après tout, ils ont pendu le pauvre Mr. Frank ici-même, en Géorgie, en dépit de toute loi ou raison.
- La loi et la raison, ça tient pas quand les Blancs y veulent faire comme c'est que ça leur chante
»
Couverture : Dorian Danielsen / Traduction : Mathilde Montier
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Célinedanaë, Le nocher des livres, Sabine, ...