mercredi 31 janvier 2024

Guy Gavriel Kay - Le Fleuve céleste

Le Fleuve céleste, Guy Gavriel Kay, Tome indépendant 2/2 des Chevaux célestes, 2013, 695 pages

Ren Daiyan est un jeune garçon, fils d'un archiviste travaillant dans une lointaine province de l'Ouest de la Kitai. Si tout laisse à penser qu'il pourrait suivre les traces de son père et travailler à son tour au yamen, lui s'entraîne secrètement à l'arc et à l'épée avec un rêve en tête : restituer la gloire de la Kitai et reconquérir les Quatorze Préfectures des mains des barbares du nord.

Après la Chine du VIIIème siècle de la dynastie Tang dans Les Chevaux Célestes, Guy Gavriel Kay retourne de nouveau dans l'Empire du milieu mais cette fois au XIIème siècle avec la dynastie Song. Roman totalement indépendant, il comporte tout de même quelques sympathiques petits clins d'oeil à son précédent roman, la gloire passée des Tang étant au coeur des motivations et aspirations des protagonistes.

Le Fleuve céleste est une fiction historique où l'aspect fantasy/fantastique est quasi-inexistant. Basé en grande partie sur la vie de Yue Fei et écrit à partir d'une somme de recherches colossale, c'est un ouvrage qui met en avant une période historique à laquelle personne ne se serait intéressé sans lui et la rend absolument passionnante. Guy Gavriel Kay y parvient sans jamais être rébarbatif ou pédant, ne faisant pas étalage de son savoir mais l'intégrant naturellement dans le déroulé de son récit. Un récit qui est porté par ses personnages, aussi charismatiques et réels pour les premiers rôles que pour ceux qui ne font que passer, Guy Gavriel Kay ayant un vrai talent pour brosser des portraits évocateurs et donner du corps à ses protagonistes.

Ce soin apporté à l'Histoire et aux personnages sont loin d'être les seules qualités de ce livre. Il faut aussi évoquer sa construction. Si la calligraphie et la poésie sont les deux arts les plus centraux du roman, le travail de Guy Gavriel Kay se rapproche plus de la peinture. Chaque chapitre est comme un tableau, détaillant avec précision quelques scènes sur une petite période donnée, avant de faire un saut dans le temps et de présenter une nouvelle période, laissant habilement deviner ce qui a pu se passer entre les deux sans jamais créer de manque. Ce qui permet d'aller à la fois en profondeur sur les scènes choisies et de traiter une longue période de temps. Admirablement pensé et réalisé.

Enfin, il faut rapidement évoquer la réflexion qui parcourt en filigrane l'ouvrage : la différence entre un historien et un conteur, qui va de pair avec la création des légendes. C'est là aussi fort intelligent et s'inscrit éminemment bien avec le fait que Le Fleuve céleste est une fiction historique, prenant nécessairement quelques libertés pour mieux servir l'Histoire et réfléchir à ce qui peut s'y cacher. Fond et forme, coeur et cerveau, Le Fleuve céleste est indéniablement un roman passionnant qui excelle dans tous les domaines.

Couverture : Leraf / Traduction : Mikael Cabon
D'autres avis : L'ours inculte, Lorhkan, Apophis, Boudicca, Acr0, lutin82, ...

jeudi 25 janvier 2024

Becky Chambers - Une prière pour les cimes timides

Une prière pour les cimes timides, Becky Chambers, Histoires de moine et de robot T.2/?, 2022, 114 pages

Après l'étonnante rencontre entre Froeur Dex, le moine du thé, et Omphale, le robot qui a décidé de prendre contact avec l'humanité, dans Un psaume pour les recyclés sauvages, Une prière pour les cimes timides poursuit l'aventure du duo. Alors que le premier tome se concentrait sur leur découverte mutuelle, il est désormais temps de renouer avec la civilisation pour continuer à réfléchir à ce qui pousse les individus à vivre et comment être heureux.

J'ai un sentiment un peu ambivalent avec ce livre, à l'image de celui que j'avais lors de ma lecture de Je suis le rêve des autres de Christian Chavassieux. Un ouvrage avec lequel il partage de nombreuses caractéristiques : un côté un peu trop gentillet et mielleux ; des réactions et réflexions proches ; la même dynamique dans le duo de personnages qui constitue l'ensemble de la non-intrigue. Et surtout la même manière de ne pas réussir à me toucher profondément et ardemment.

Pourtant, dans le même temps, Une prière pour les cimes timides est indéniablement un bon livre, avec une conclusion qui hausse le niveau et une intéressante et importante réflexion d'ensemble. Je continue de largement préférer l'autrice dans ses romans, certainement parce qu'il y a plus d'adversité et de changements. Mais même si je n'adore pas, je respecte grandement ce qu'elle propose ici.

Au sein de la bulle de feel-good-SF dont Becky Chambers est l'étendard, cette série de novellas est une bulle dans la bulle, poussant toujours plus loin le dépouillement et la réflexion pure. « Pour vous qui ne savez pas où aller » dit l'épigraphe du texte. C'est le mot d'ordre de ce livre. Ici, comme dans la vie, il n'y a aucune destination claire et Une prière pour les cimes timides est une sorte d'incarnation du "profiter de l'instant présent" à l'échelle d'une lecture.

Couverture : Feifei Ruan / Traduction : Marie Surgers
D'autres avis : Yuyine, FeydRautha, Lullaby, Le nocher des livres, OmbreBones, Marc, ...

vendredi 19 janvier 2024

Benjamin Stevenson - Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu'un

Tous les membres de ma famille ont déjà tué quelqu'un, Benjamin Stevenson, 2022, 435 pages

Le titre est clair : tous les membres de la famille d'Ernest Cunningham, le narrateur/auteur du livre, ont déjà tué quelqu'un. Ce qui ne veut pas nécessairement dire que quelque chose pourrait mal se passer quand ils se retrouvent tous rassemblés à l'occasion d'une réunion de famille dans un hôtel isolé en montagne. Enfin, pas tant qu'une tempête de neige ne s'abat pas sur le lieu et qu'un cadavre n'y est pas découvert...

Tous les membres (...) est un hommage à ce qui est considéré comme l'Âge d'or des romans policiers, les années 1930, avec comme cheffe de file Agatha Christie. Une époque marquée par un style d'écriture basé sur l'honnêteté du narrateur. C'est explicité dès les premières pages, citant le serment du Detection Club et le Décalogue de Knox. Mais pas d'inquiétude : nul besoin d'être un spécialiste ou un lecteur assidu des polars d'antan pour apprécier. Benjamin Stevenson explique tout ce qu'il est nécessaire de savoir et réactualise tout ça avec le bagou de son narrateur. Mais un bagou honnête, toujours. Une preuve : Ernest nous annonce dès le premier chapitre les numéros de pages où sont évoqués des meurtres.

Tous les membres (...) est un excellent roman. Au-delà du jeu avec tous les codes du genre, c'est surtout une intrigue millimétrée qui mène à la fameuse scène de révélation finale - dans la bibliothèque, évidemment, il faut penser à une éventuelle adaptation hollywoodienne. C'est extrêmement malin et c'est porté par une écriture vive qui joue constamment avec le lecteur. Un pur plaisir de lecture, autant pour les vétérans du genre que pour les lecteurices plus ponctuels de romans policiers.

Couverture : Rémi Pépin / Traduction : Cindy Colin-Kapen
D'autres avis : Le Maki, ...

samedi 13 janvier 2024

Toshikazu Kawaguchi - Tant que le café est encore chaud

Tant que le café est encore chaud, Toshikazu Kawaguchi, 2015, 239 pages

Le café Funiculi Funicula est un tout petit café situé dans un sous-sol de Tokyo. Il est l'objet d'une légende urbaine : il permettrait de voyager dans le temps. Ce n'est pas qu'une légende. Mais les règles régissant ce voyage sont strictes et nombreuses : il se déroule en se faisant servir un café à partir d'une chaise spécifique, dont on ne peut pas bouger, et s'arrête quand le café est devenu froid.

Tant que le café est encore chaud est une petite bulle, se déroulant en un lieu unique avec une poignée de personnages. Ce n'est pas un grand roman de science-fiction, clairement pas de la hard-sf, la notion de voyage dans le temps étant régi par des règles fastidieuses existant seulement pour le bon déroulé de l'intrigue. C'est une excuse pour faire avancer et évoluer des tranches de vie, pour que le passé et le futur permettent de mieux vivre le présent. Et ce n'est pas un problème car Toshikazu Kawaguchi ne s'en cache pas et le dit presque explicitement.

Tant que le café est encore chaud est un bon roman. Il ne fait rien d'époustouflant, il n'a rien de particulièrement marquant, mais c'est, au fil des quatre parties qui le composent comme autant de nouvelles, une gentille et agréable lecture.

Couverture : / Traduction : Miyako Slocombe
D'autres avis : ...

dimanche 7 janvier 2024

Antoine Bello - Roman américain

Roman américain, Antoine Bello, 2014, 287 pages

Dan Siver est un écrivain au succès modeste qui rêve d'écrire le grand roman. Il vit au sein de la petite communauté de Destin Terrace, en Floride. Une communauté qui va être ébranlée par les articles de Vlad Eisinger, un ami de Dan et journaliste au Wall Street Tribune, sur le marché de la revente d'assurances-vie, le life settlement.

Roman américain se compose de deux grands axes qui forment une trame unie. D'un côté il y a les articles de Vlad Eisinger, une passionnante enquête journalistique qui explique de manière extrêmement simple et limpide le fonctionnement socio-économique du life settlement, et les combines qui y sont associées. De l'autre il y a la vie de Dan Siver au sein de la communauté de Destin Terrace, dont de nombreux habitants sont témoins et acteurs des articles de Vlad. L'occasion de voir les conséquences des révélations et d'avoir une présentation plus détaillée, plus 'humaine', des personnes évoquées.

Faisant le lien entre ces deux axes, il y a tout au long du roman un échange de mails entre Dan et Vlad, s'écharpant sur ce qui fait une bonne écriture. Dan y soutient une écriture passionnée, faite de détails et de lyrisme pour mieux représenter la réalité, quand Vlad est un adepte des faits et de la concision. Lequel est au plus près de la vérité et le plus proche d'écrire le prochain grand roman américain ? Certainement Antoine Bello, lui qui parvient à mettre en application ce qu'il explicite et à unir les deux styles pour proposer un roman complet, portrait d'une certaine Amérique à petite et grande échelle.

Roman américain est un roman admirablement bien construit, qui résonne de toute part, aussi intéressant dans sa partie économique que littéraire, ne tombant jamais dans la surdose de technicité, restant toujours abordable et plaisant. Il n'y a guère qu'un fil narratif voyant Dan modifier mensongèrement une page Wikipédia qui, bien que poursuivant la réflexion sur la vérité et la réalité, m'a semblé un peu inutile et assez vain. Mais c'est bien le seul défaut d'un roman qui est autrement très intelligent et étonnamment passionnant malgré ses thèmes.

Couverture : d'après photo © Dave Wall / Arcangel Images
D'autres avis : TmbM, Alys, ...

lundi 1 janvier 2024

Bulles de feu #57 - Décembre 2023

Un petit récapitulatif de mes lectures BDs/mangas/comics du mois, pour en garder une trace.
Le classement est absolument imparfait, insatisfaisant et un peu aléatoire mais peut donner un ordre d'idée. Les avis sont (ultra)brefs, n'hésitez pas à demander un complément d'informations en commentaire si nécessaire.

Bien / Ok / Correct


Gentlemind T.1-2/2 - Juan Díaz Canalès, Teresa Valero et Antonio Lapone

Une duologie riche en sujets, liés par la reprise d'un magazine pour hommes par une jeune femme. Pas forcément très enthousiasmant, que ça soit dans le récit ou le dessin, mais prenant et avec un vrai style.


Jazzman - Jop

Une bonne BD avec une vraie ambiance jazzy, un bon univers et plein de bonnes idées. Une BD sympa mais qui est surtout, malheureusement, un énorme potentiel inexploité, la faute notamment à une intrigue linéaire sans aucun rebondissement/surprise.C'est bien mais ça aurait pu être excellent.


Blue Period T.13/? - Tsubasa Yamaguchi

Encore un vrai bon tome, le manga semble avoir trouvé son équilibre entre philosophie de l'art et passages plus actifs.


Furieuse - Geoffroy Monde et Mathieu Burniat

Une BD qui m'a acquis à sa cause au fil des pages, malgré son côté excessif/excentrique. Une sympathique BD bien menée, aux personnages marquants, qui se lit étonnamment bien.
Très bien


Marathon - Nicolas Debon

Une très bonne BD dans le style habituel de Nicolas Debon, un style qui fonctionne toujours aussi bien sur moi. Peut-être l'histoire la plus "vide" des différents ouvrages de l'auteur, mais c'est rattrapé par une très bonne postface et surtout par le souffle et la puissance qui parcourent les planches.


Space Brothers T.42/? - Chûya Koyama

Un tome tranquille pour se diriger vers ce qui semble être la fin du grand arc en cours... jusqu'aux dernières pages qui refont monter la tension.


Undertaker T.7/? - Xavier Dorison et Ralph Meyer

Un très bon tome, du pur western, avec l'avortement et l'aveuglement/la manipulation de masse en toile de fond.


Les 5 Terres T.11/? - Lewelyn et Jérôme Lereculey

Toujours aussi excellent, les différents fils se rapprochent avant la conclusion du deuxième cycle.


Stern T.5/? - Frédéric Maffre et Julien Maffre

Un nouvel épisode de Stern contre la stupidité humaine. Sûrement le tome le moins drôle de la série, c'est sombre et tragique. Mais un tome qui laisse les larmes aux yeux est forcément un tome de grande qualité.