vendredi 17 mars 2023

Fabrice Colin - Golden Age

Golden Age, Fabrice Colin, 2022, 382 pages

Juillet 1914. Reporter londonien, Trevor Sinclair se rend à Dandelion Manor, dans le Dorset, pour rencontrer Kembell Gradey, un très célèbre écrivain. Ce dernier n'est pas seul, puisque trois autres grands auteurs de littérature féérique visitent la demeure. Mais Trevor semble surtout intéressé par le fils de Kembell, Albert, alors qu'un pook observe tout cela.
« Dans l'industrie du cinématographe, les producteurs ne jurent que par l'intrigue, les personnages, les arcs narratifs, et cetera. Ce qui importe, c'est l'édifice, le réceptacle, la solidité du canevas. Le prurit de l'inspiration ? Un truc de poètes. La première rose de mars, la main calleuse du capitaine, une volée de passereaux sur une place vénitienne, ça ne fait pas une histoire. Un frôlement involontaire, l'émeraude d'un regard ? Là, peut-être que si. »
Cette citation est un excellent résumé de ce qu'est Golden Age, une auto-critique ou une preuve de lucidité de ce qui compose cet ouvrage. Car son intrigue est au final très mince, une sorte de tragédie aux multiples coucheries. Elle est surtout vaporeuse, s'échappant entre les doigts du lecteur qui voit plusieurs fils commencer à être tricotés pour ne jamais former un ouvrage complet et laissant derrière eux une pelote bien emmêlée.

Golden Age est un roman sur l'inspiration, sur les fées, sur le changement des temps. C'est un livre sur une époque révolue ou en train de l'être. C'est un récit qui évoque la poésie d'un passé qu'on n'entend plus et auquel je n'entends pas grand chose. Il a beau après lecture laisser en tête l'impression qu'il y a des seuils à franchir, les portes sont trop peu entrouvertes pour moi. Ce n'est pas un mauvais livre, mais le voyage a manqué d'escales enthousiasmantes pour me faire oublier qu'il ne menait à rien.

Couverture : Pauline Ortlieb
D'autres avis : Célinedanaë, ...

samedi 11 mars 2023

Michael McDowell - La Maison

Michael McDowell, La Maison, Tome 3/6 de Blackwater, 1983, 238 pages

Après La Crue et La Digue, La Maison est le troisième tome de la série Blackwater. Un tome qui porte très bien son nom, une certaine maison étant clairement centrale dans ce volume, et ce à plus d'un titre.

Après un deuxième tome ronronnant, j'espérais un peu de rebond. C'est chose faite grâce à un petit saut temporel qui fait suffisamment évoluer les personnages et la situation pour donner une impression de changement. Cette bienvenue évolution se prolonge par une histoire qui comprend plusieurs petits arcs narratifs qui avancent réellement l'intrigue générale. Rien d'incroyable - quoique, au sens littéral... - évidemment, Blackwater reste une saga calme, mais juste ce qu'il faut pour que la lecture soit vraiment agréable.

Couverture : Pedro Oyarbide / Traduction : Hélène Charrier et Yoko Lacour
D'autres avis : Lorhkan, FeyGirl, Gromovar, Célinedanaë, Brize, ...

dimanche 5 mars 2023

Bulles de feu #47 - Février 2023

Un petit récapitulatif de mes lectures BDs/mangas/comics du mois, pour en garder une trace.
Le classement est absolument imparfait, insatisfaisant et un peu aléatoire mais peut donner un ordre d'idée. Les avis sont (ultra)brefs, n'hésitez pas à demander un complément d'informations en commentaire si nécessaire.

Mouais



Black-Box T.4-5/6 - Tsutomu Takahashi

La grande désillusion : les deux premiers tomes étaient très bons, le troisième comportait une planche abjecte, ces tomes 4 et 5 poursuivent la déchéance de la série.
Bien / Ok / Correct



Le Maître des livres T.3-4/15 - Umiharu Shinohara

Deux tomes qui confirment que c'est une agréable série avec des personnages attachants et une intelligente utilisation de la littérature jeunesse (et le tome 4 cite même Terremer !).



Blue Period T.11/? - Tsubasa Yamaguchi

La qualité des tomes de Blue Period est inconstante mais ce tome 11 est certainement le meilleur de la série tant il arrive enfin à parler aussi bien au cerveau qu'au coeur. Un très bon volume consacré à un cours d'art pour enfants qui permet d'aborder intelligemment la place de l'art chez les enfants, les attentes d'autrui et ce qui change en grandissant.



Kaiju n°8 T.5/? - Naoya Matsumoto

Toujours hyper efficace, il n'y a plus la surprise de la découverte mais ça continue de tabasser !



Blanc autour - Wilfrid Lupano et Stéphane Fert

Intéressant pour découvrir l'histoire d'une des premières écoles afro-américaines. C'est malheureusement assez peu marquant, un peu lambda, mais ça reste évidemment une histoire importante à perpétuer.



Toutes les morts de Laila Starr - Ram V et Filipe Andrade

Une bonne lecture mais pas le coup de coeur espéré. Étonnament le style graphique m'a plus convaincu que ce que le feuilletage me laissait présumer, mais j'ai manqué d'attachement pour les personnages et le fond est assez commun.
Très bien



L'Attaque des titans T.3-4/34 - Hajime Isayama

Toujours aussi haletant. Il y a un vrai sentiment d'urgence à la lecture, ce qui va parfaitement avec la situation.



Emma T.5-6/10 - Kaoru Mori

Toujours aussi bien, avec même un rebondissement inattendu au regard de la relative tranquilité de la série. Vive Colin !



Blissful Land T.3-4/5 - Ichimon Izumi

C'est totalement Bride Stories en un chouïa moins bien à tous les niveaux. Mais un peu moins bien que l'excellence, ça reste très bon.



Saga T.9-10/? - Brian K. Vaughan et Fiona Staples

Avec raison et déraison, j'ai relu le tome 9 (et sa fin terrible). Puis j'ai dévoré le tome 10 (et sa fin terrible). Trois ans de pause n'ont rien changé : Saga est d'une excellence rare, certainement la meilleure série graphique SF à l'heure actuelle (avec Space Brothers). Si je n'étais pas si prudent en éloges pour les séries non-terminées, elle aurait déjà 4 flammes et le rang de "chef d'oeuvre".

lundi 27 février 2023

Ken Liu - Toutes les saveurs

Toutes les saveurs, Ken Liu, 2012, 125 pages

Idaho City, XIXème siècle, en pleine conquête de l'Ouest. Une petite communauté chinoise de chercheurs d'or s'installe à proximité de la maison des Seaver. Lily, leur fille, sympathise avec eux, particulièrement avec leur leader, Lao Guan, un géant au visage rouge. Il lui apprendra à jouer au wei qi, lui contera les aventures de Guan Yu, le dieu de la guerre, et lui fera découvrir toutes les saveurs de la cuisine chinoise.

Il y a bien une petite intrigue dans Toutes les saveurs, une histoire de hors-la-loi et de justice, mais c'est accessoire. La véritable intrigue, c'est la découverte de cette émigration chinoise du XIXème siècle aux États-Unis, des migrants rêvant de fortune pour leurs familles mais se retrouvant arnaqués par leurs passeurs et devant se débrouiller seuls pour survivre face à la méfiance des locaux. Autre époque, même problématique.

La part d'imaginaire de Toutes les saveurs est - au choix selon la sensibilité de chaque lecteurice - infime ou inexistante. Ce qui ne l'empêche pas d'être une novella passionnante. Autant pour la sympathie de la rencontre entre ce charismatique colosse chinois et cette accueillante petite fille américaine que pour l'aspect culturel chinois ou ce que cela dit de l'émigration en tous temps et toutes époques, au-delà de l'aperçu et hommage à celle-ci en particulier. Un texte qui n'a peut-être rien d'époustouflant mais qui n'a pas besoin d'effets de manche pour être pleinement enthousiasmant.

Couverture : Aurélien Police / Traduction : Pierre-Paul Durastanti
D'autres avis : Vert, Yuyine, Gromovar, Célinedanaë, Le Maki, Le nocher des livres, Lorhkan, Boudicca, ...

mardi 21 février 2023

Michael McDowell - La Digue

Michael McDowell, La Digue, Tome 2/6 de Blackwater, 1983, 250 pages

La Digue est le deuxième tome de la saga Blackwater et la suite directe de La Crue, poursuivant les aventures de la ville de Perdido et particulièrement de la famille Caskey. Comme son titre l'indique, une certaine digue sera au centre des enjeux de ce volume.

La Digue n'est pas que dans la continuité des évènements, il est aussi dans la continuité du ressenti. Ainsi il est toujours fascinant et un peu étonnant de vouloir prendre parti pour Elinor face à Mary-Love, l'un des personnages les plus haïssables que j'ai pu rencontrer. Il est aussi étonnant que ce soient quasiment les passages un peu plus fantastico-horrifiques qui me plaisent le plus. Cela s'explique pourtant assez facilement : La Digue est une bonne lecture, mais elle n'est quand même guère palpitante. C'est un peu la limite du genre me concernant, je ne sais pas combien de volumes ma satisfaction peut tenir sur ce rythme ronronnant. En attendant, je croise les doigts pour que le tome 3 apporte un peu de rebond.

Couverture : Pedro Oyarbide / Traduction : Hélène Charrier et Yoko Lacour
D'autres avis : Lorhkan, FeyGirl, Gromovar, L'ours inculte, Célinedanaë, MarieJuliet, Brize, ...

mercredi 15 février 2023

Michael McDowell - La Crue

Michael McDowell, La Crue, Tome 1/6 de Blackwater, 1983, 250 pages

1919, Alabama. À la croisée des rivières Perdido et Blackwater se trouve la ville de Perdido. Une bourgade tranquille vivant du commerce du bois et dirigée par trois riches familles. Enfin, une bourgade qui était tranquille jusqu'à ce qu'une crue engloutisse une grande partie de la cité. Mais ce ne sont pas les dégâts matériels qui vont engendrer le changement. C'est la découverte d'une femme, Elinor Dammert, ayant mystérieusement survécu dans une chambre de l'hôtel de la ville et qui va s'intégrer dans la vie de Perdido, particulièrement dans celle de la famille Caskey.

Blackwater est une histoire de famille avec des touches de fantastique-horrifique (light). Rien qui ne soit mon genre de prédilection. J'ai quand même été happé, avide de connaître l'évolution de cette étrange situation. On ne peut pourtant pas dire que l'intrigue soit particulièrement vive et intense. C'est grâce aux personnages que cela fonctionne. D'une manière qui m'a un peu rappelé la série Succession (en très light), avec des individus pas forcément très sympathiques mais bien caractérisés, marquants et fascinants à suivre. D'ailleurs, le point le plus fascinant de La Crue, c'est certainement la manière dont Elinor Dammert, "l'entité maléfique" du livre, s'avère être le plus souvent la gentille de l'histoire à côté des mesquineries familiales qui l'entourent.

Blackwater fut l'évènement de 2022. Une saga en six petits volumes, publiés chacun à quinze jours d'intervalle dans l'esprit de la diffusion originelle dans les six premiers mois de 1983. Force est de constater que, quarante ans plus tard, cela fonctionne toujours aussi bien et laisse un seul souhait : ne pas endiguer son envie et se jeter sur la suite.

Couverture : Pedro Oyarbide / Traduction : Hélène Charrier et Yoko Lacour
D'autres avis : Tigger Lilly, Lorhkan, FeyGirl, Gromovar, L'ours inculte, Célinedanaë, OmbreBones, Le nocher des livres, MarieJuliet, Brize, Sometimes a book, ...

jeudi 9 février 2023

Audrey Pleynet - Encore cinq ans / Ray Nayler - Père

Encore cinq ans, Audrey Pleynet, 2022, 29 pages (epub)

2078. La Terre est toujours plus invivable pour les êtres humains, dans des proportions funestes. Mais Arthur Thompson, inventeur de génie, a une solution : une sorte de cryogénisation de l'entièreté de la population, le temps que la planète retrouve ses couleurs. Ce qui devrait prendre une quinzaine d'années. À moins qu'il ne faille cinq ans de plus.

Peut-on réussir un texte court contant une très longue période de temps sans faire de concession sur l'attachement et la sympathie accordés aux personnages, et ce alors même que ceux-ci ne sont que de passage ? Audrey Pleynet réussit ce tour de force. Encore cinq ans est une intelligente nouvelle qui va bien au-delà de son point de départ mémorable pour proposer plusieurs rebondissements surprenants et questionner ce qui fait et construit l'humain. Une belle nouvelle.

Nouvelle lauréate du Prix des lecteurs 2022 de Bifrost et offerte en téléchargement gratuit par Le Bélial' jusqu'au 28 février, merci à eux.

Couverture : Nicolas Fructus
D'autres avis : Tigger Lilly, Gromovar, Le Maki, OmbreBones, ...


Père, Ray Nayler, 2020, 30 pages (epub)
« J’ai eu un père pendant six mois. J’avais sept ans lorsque je l’ai rencontré. »
États-Unis, années 50. Son père mort au combat, le jeune narrateur vit seul avec sa mère. Jusqu'au jour où sonne à la porte un robot, gagné à une loterie du Bureau des vétérans. Pas n'importe quel robot : son Père.

Père est quasiment une histoire de voisinage et d'imbécilité humaine tout à fait commune. Si ce n'est qu'il y a un robot. Un détail aussi essentiel à l'histoire qu'assez insignifiant. Car il n'y a rapidement plus de robot. Il y a Père, un être sympathique et touchant, dont la destinée m'a fendu le coeur comme celle de n'importe quel humain aurait pu le faire, et ce malgré la douce candeur du narrateur. Une très belle nouvelle.

Nouvelle lauréate du Prix des lecteurs 2022 de Bifrost et offerte en téléchargement gratuit par Le Bélial' jusqu'au 28 février, merci à eux.

Couverture : Matthieu Ripoche / Traduction : Henry-Luc Planchat
D'autres avis : Tigger Lilly, FeydRautha, Le chien critique, Le Maki, OmbreBones, Le nocher des livres, ...

vendredi 3 février 2023

Bulles de feu #46 - Janvier 2023

Un petit récapitulatif de mes lectures BDs/mangas/comics du mois, pour en garder une trace.
Le classement est absolument imparfait et insatisfaisant mais peut donner un ordre d'idée. Les avis sont (ultra)brefs, n'hésitez pas à demander un complément d'informations en commentaire si nécessaire.

Mouais



The Elf & The Hunter T.5/5 - Umetaro Aoi

Un cinquième et dernier tome à l'image de la série, pas mauvais mais basique et mielleux. Pas déçu que la série se termine.
Bien / Ok / Correct



Insomniaques T.6/? - Makoto Ojiro

Toujours agréable à lire mais pas le tome le plus marquant, un peu plan-plan.



Un dernier soir à Pékin - Golo Zhao

Des petites tranches de vie avec la nourriture en fil rouge et les discussions d'un couple trop peu mis en avant pour que le final soit émouvant. Bien mais donne la sensation que ça aurait pu être encore mieux. Des dessins et des couleurs à l'image des récits, doux et agréables.



Le Château des étoiles T.5-6/? - Alex Alice

Un bon diptyque, meilleur que le précédent, moins dans le sense of wonder et plus dans l'intrigue, bien plus satisfaisant à lire.



Le Maîtres des livres T.1-2/15 - Umiharu Shinohara

Un bon démarrage une fois acclimaté au "héros" peu sympathique au premier abord ; un hymne d'amour aux livres et aux bibliothèques.



Les 5 Terres T.5/? - Lewelyn et Jérôme Lereculey

Pas le tome le plus enthousiasmant, mais une série toujours solide.

Frieren T.4-5/? - Kanehito Yamada et Tsukasa Abe

Vraiment une série étonnante qui parvient à rendre parfaitement le regard de Frieren, une Elfe, qui n'a pas du tout le même rapport au temps que nous. C'est admirable, ça donne quelque chose d'assez unique, mais ça a pour contrecoup d'être toujours un peu détaché et de ne pas être marquant sur la durée, seulement sur le moment. Ce qui est donc parfait d'un point de vue intellectuel, vis-à-vis de Frieren, moins d'un point de vue émotionnel.


Le Jardin, Paris - Gaëlle Geniller

M'a acquis à sa cause au fil des pages, un peu comme Peau d'homme (mais en moins marquant). Positif, bienveillant, agréable à lire, mais un peu trop gentillet. À l'image des dessins qui m'ont fait penser à une animation 3D classique, bien mais un peu lisse.
Très bien



Asadora ! T.6/? - Naoki Urasawa

C'est vraiment très bien. C'est Urasawa quoi.



L'Attaque des Titans T.1-2/34 - Hajime Isayama

Relecture des premiers tomes pour enfin découvrir la fin de l'histoire. Le dessin n'est pas toujours très propre, mais c'est très solide dans l'intrigue, avec une agréable sensation d'imprévisibilité.


Saint-Elme T.1-3/? - Serge Lehman & Frederik Peeters

Un premier tome de mise en place, pas époustouflant et un peu dur à entamer. Ça démarre réellement dans le deuxième tome, avec bien plus d'ampleur et de mystère. Me donne une sensation proche d'un Urasawa, en version polar noir.


Emma T.1-4/10 - Kaoru Mori

L'Angleterre victorienne est moins exotique et excitante que l'Asie centrale du XIXème siècle. C'est le seul défaut d'Emma par rapport à l'excellent Bride Stories. Mais Kaoru Mori a un sens du détail et des personnages si incroyable qu'elle me fait apprécier une pure romance. Le tome 1 m'a pourtant paru un peu banal, à partir du tome 2 j'étais happé.


Kaiju n°8 T.1-4/? - Naoya Matsumoto

Un manga qui mérite le bruit qu'il a fait à sa sortie. C'est du pur shonen, mais c'est solide et efficace. Et le plus appréciable pour le moment, c'est que ça ne délaye pas inutilement les révélations et ça ne cherche pas à garder des secrets de manière improbable, ça suit un rythme logique et ça conserve du sens.


Lost Children T.1-9/? - Tomomi Sumiyama

La très bonne surprise du mois. Un cadre étonnant qui a d'abord des airs de fantasy mais qui a finalement un côté très moderne. Une dualité qui va très bien avec la dualité des deux héros. Très fluide, très prenant, très bien.

samedi 28 janvier 2023

Lavanya Lakshminarayan - Analog/Virtuel

Analog/Virtuel, Lavanya Lakshminarayan, 2020, 380 pages
« - Ce n'est qu'une question de temps jusqu'à ce que cela nous affecte à Apex City.
- Quelle serait la timeline pour cela ?
- Quarante ans, dans le meilleur des cas, avant que l'eau de l'atmosphère...
- On s'en occupera dans trente-neuf ans.
»
Alors que les pays sont de l'histoire ancienne, des Cités-États règnent. Bangalore est ainsi devenue Apex City, une ville qui se veut méritocratique, où les outils numériques sont omniprésents et dont la devise peut se résumer en un mot : la productivité. Cela vaut en tout cas pour une moitié de la ville, celle des Virtuels, les castes majoritaires. Tous ne redoutent qu'une chose : devenir un Analog, les Dix-pour-Cents inférieurs, et rejoindre l'autre côté d'Apex City, au-delà du bouclier énergétique, où la technologie n'existe pas.

Il n'aura fallu que quelques pages pour qu'Analog/Virtuel m'harponne. Le temps d'un premier chapitre ou d'une première nouvelle, au choix. Le temps pour une voleuse Analog de faire un aller-retour dans la zone Virtuel et d'en ramener la graine d'un arbre, la graine d'une révolution, qui sera le fil rouge du livre. Quelques pages qui m'ont fait le même effet que L'Été de la fusée, le sublime texte qui ouvre les Chroniques martiennes de Ray Bradbury. C'est tout aussi beau et cela commence un tout aussi excellent fix-up.

Analog/Virtuel est, pour moi en tout cas, un fix-up, c'est-à-dire un enchaînement de nouvelles indépendantes dont la juxtaposition permet de créer quelque chose de plus grand. En l'occurrence ici, ce quelque chose c'est tout autant la compréhension du fonctionnement de ce système dystopique que l'émergence d'une rébellion visant à le mettre à bas. Pour ce faire, chaque nouvelle est une tranche de vie d'un personnage - parfois Analog, parfois Virtuel - cherchant à maintenir ou améliorer sa condition, cherchant à survivre au mieux, à faire avec ses peurs. Et d'un texte à l'autre, des éléments se répondent, se répercutent, se font écho. Tout est lié. Tout est indépendant.

Analog/Virtuel est une réussite sur tous les aspects. Sa forme est admirable, renfermant autant les qualités d'un roman que celles d'un recueil de nouvelles. Son fond est riche, multiple, portant un regard lucide sur notre présent et notre futur, avec la technologie en tête de proue, mais pas que. Son fil rouge apporte une note d'espoir toujours bienvenue en temps de dystopie. Et chacune de ses histoires, chaque texte, chaque page fait la part belle à l'humain. Roman, recueil, fix-up, appelez-le comme vous voulez. Mais une chose est certaine : Analog/Virtuel est un excellent livre.

Couverture : ? / Traduction : Lise Capitan
D'autres avis : Alys, FeydRautha, Le Maki, Célinedanaë, ...

dimanche 22 janvier 2023

Keigo Higashino - Les Doigts rouges

Les Doigts rouges, Keigo Higashino, 2006, 237 pages

Maehara Akio est appelé par sa femme, paniquée, qui lui demande de rentrer immédiatement. Chez eux, il découvre le corps d'une petite fille, étranglée par leur fils de 14 ans. Pour le protéger, ils décident de déplacer le corps dans des toilettes publiques et d'effacer toutes les traces. Mais est-il possible d'échapper à la justice quand Kaga Kyōichirō fait partie de l'enquête ?

Les Doigts rouges met donc en scène Kaga Kyōichirō, l'enquêteur holmésien découvert dans l'excellent Le Nouveau. Mais si Kaga y apparaissait sympathique et agréable, ce n'est pas forcément le cas ici, lui qui dédaigne son père qui est aux portes de la mort. De manière générale, Les Doigts rouges est un roman moins engageant que Le Nouveau, avec notamment cette première moitié quasi-entièrement consacrée au point de vue des coupables.

Une fois n'est pas coutume, j'ai gagné à ne pas lire les romans dans leur ordre de publication. Connaissant le personnage de Kaga, je savais qu'il allait forcément se passer quelque chose de remarquable et qu'il fallait passer outre cette étonnante situation de base. J'ai bien fait. Tout semblait pourtant cousu de fil blanc : on connait les coupables, la méthode et l'enquêteur qui va résoudre l'affaire. Comment rendre la lecture intéressante et impactante ? C'est peut-être le plus grand défi pour un auteur de polar. Ça tombe bien, Keigo Higashino en est un excellent.

Malgré toute l'apparente prévisibilité de l'enquête, il y a donc bien un final tout en surprises. Rien de réellement flashy, mais d'une simplicité diablement efficace et admirable. Et en plus de ça, il y a en toile de fond un questionnement sur la place et la gestion des personnages âgées, une problématique particulièrement prégnante dans la société japonaise. Encore une belle réussite de la part de Keigo Higashino.

Couverture : Billy and Hells / Traduction : Sophie Refle

lundi 16 janvier 2023

Christian Léourier - Danseuse de corde

Danseuse de corde, Christian Léourier, 2020, Tome 2/2 de La Lyre et le Glaive, 518 pages
« Il ne voulait pas mourir dans l'indifférence générale, sous la pluie, avec en guise d'oraison les ahans de ceux qui resteraient debout. Il ne voulait pas sentir sa chair se déchirer de nouveau, voir son sang s'écouler, laisser ses membres se refroidir. Il ne voulait pas, surtout pas, mourir. Cela faisait-il de lui un lâche ? »
Danseuse de corde est la suite directe de Diseur de mots. Emballé par ce premier tome qui ne cessait de gagner en qualités, j'étais très motivé par la lecture de ce second volume. Malheureusement, mon enthousiasme s'est quelque peu étiolé au fil des centaines de pages.

Non pas que Danseuse de corde soit un mauvais roman. J'ai globalement pris du plaisir à le lire. Mais là où Diseur de mots trouvait sa patte - Kelt, pour ne pas le nommer - pour apporter le sentiment de lire quelque chose de différent, Danseuse de corde a des airs bien plus classiques. Malgré la multiplication des points de vue, qui étoffent la grandeur de l'univers et permettent une gestion maline des sauts dans le temps, on perd quelque peu cet attachement à l'individu pour vivre bien plus une intrigue d'ampleur et un affrontement général.

J'écrivais dans mon premier billet : « il y a à la fois un cheminement d'individus, des péripéties à taille humaine, tout autant que des batailles d'ampleur et des jeux de pouvoir plus politiques. Sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre ». À mon sens, la balance n'est cette fois pas équilibrée - et, ironiquement, le roman n'est pas réellement punchy pour autant. Ce qui n'est pas fondamentalement une mauvaise chose. Ce n'est simplement pas ce que j'espérais et ce qui m'aurait fait le plus vibrer. C'était bien, mais il m'a manqué l'étincelle qui aurait pu en faire une lecture vraiment unique.

Couverture : Éric Scala
D'autres avis : Célinedanaë, Marc, lutin82, ...