Les Abysses, Rivers Solomon, 2019, 190 pages
« Yetu leur soufflait les mots, mais il les connaissaient tous déjà. Ils vivaient dans leurs cartilages, dans leurs organes, ils leur appartenaient comme leur appartenait la forme de leurs membres palmés ou la proéminence de leurs yeux. Elle devait se contenter de le leur rappeler. C'était cela, se souvenir. Les encourager, pour qu'ils persévèrent, pour qu'ils ne passent pas à autre chose. Oublier, ce n'était pas guérir. »Yetu est une wajimru, un peuple vivant dans les profondeurs des océans, descendant des femmes jetées à la mer lors des traversées du commerce triangulaire. Mais Yetu n'est pas n'importe quelle wajimru. Elle est l'Historienne, la porteuse des souvenirs de tout son peuple, permettant ainsi à chaque individu de vivre insouciamment. Mais le passé a un poids, que Yetu a de plus en plus de mal à porter.
S'il évoque diverses problématiques comme la traite des noirs ou l'impact de l'homme sur la nature, Les Abysses est un roman qui brille surtout pour sa réflexion sur l'Histoire, le passé et la mémoire. Sur cette thématique somme tout assez classique, Rivers Solomon parvient à apporter sa touche qui va bien au-delà d'un lambda "le passé est important". S'il aboutit à une certaine réponse, le récit est surtout l'occasion d'ouvrir de nombreuses pistes de réflexion sur divers aspects de la question, du poids du passé à sa nécessité, de la fuite en avant au fait d'y rester bloqué, de la souffrance engendrée à l'apaisement recherché.
Les Abysses est un ouvrage doucement atypique - beaucoup moins cela dit que L'Incivilité des fantômes - mais facile d'accès. Un récit intelligent qui amène à réfléchir mais sans oublier de proposer une vraie histoire et un personnage principal singulier. Un très bon roman.
Couverture : Elena Vieillard / Traduction : Francis Guévremont
D'autres avis : Tigger Lilly, Gromovar, Shaya, Lune, Elhyandra, Célinedanaë, Sabine, Boudicca, Zina, Yuyine, Marc, ...