vendredi 27 octobre 2023

Ted Chiang - Expiration

Expiration, Ted Chiang, 2007-2019, 463 pages

Expiration est un recueil de 9 nouvelles où Ted Chiang prouve, cette fois pleinement, qu'il est l'un des meilleurs nouvellistes au monde. Au coeur de chaque texte se trouve une idée forte, une théorie scientifique (voyage dans le temps, mondes parallèles, création de l'univers, ...) ou un concept plus philosophique (libre arbitre, imperfection de la mémoire, vacuité de la vie, ...), l'un n'excluant pas l'autre.

Si, présenté ainsi, cela peut faire peur ou impressionner, Ted Chiang parvient à rendre tout ça parfaitement digeste. Il y a à la fois un vrai effet "wahou" et un aspect très palpable, concret, de ce qui est évoqué. Si les concepts sont sûrement plus marquants que les personnages, ces derniers ne sont pas pour autant des plantes vertes et sont franchement agréables à suivre. À cela s'ajoutent des formes de narration variées qui donnent un caractère unique à chaque texte.

Deux (courtes) nouvelles sont un peu en-dessous du reste (La Nurse automatique brevetée de Dacey et Le Grand silence), ce qui n'est guère surprenant quand on apprend dans les intéressantes notes de l'auteur en fin d'ouvrage qu'elles ont été conçues dans le cadre d'autres projets pluridisciplinaires. Et il n'y a de toute façon aucune honte à être un peu inférieur au regard de la qualité générale du recueil, très bon au minimum pour tous les autres textes.

Voire plus pour la nouvelle qui ouvre le livre, Le Marchand et la porte de l'alchimiste, un récit façon contes des milles et nuits qui parle de voyage dans le temps, un mélange rare qui fonctionne parfaitement à tous les niveaux, tant pour l'intrigue que pour les réflexions apportées. Une nouvelle si excellente qu'elle vaudrait à elle-seule la lecture du recueil même si le reste était mauvais. Et comme il ne l'est pas, loin de là, il n'y a vraiment aucune raison de ne pas lire Expiration.

Couverture : Aurélien Police / Traduction : Théophile Sersiron
D'autres avis : TmbM, Lorhkan, Vert, Gromovar, FeydRautha, Le chien critique, Le Maki, Xapur, Célinedanaë, ...

samedi 21 octobre 2023

Audrey Pleynet - Rossignol

Rossignol, Audrey Pleynet, 2023, 131 pages

En plein milieu de l'espace, la Station est un lieu unique où se côtoient de nombreuses espèces extraterrestres. Un brassage rendu possible grâce aux Paramètres qui permettent à chacun d'adapter les conditions de vie à son patrimoine génétique. Mais ce qui ressemble à un havre de paix et de tolérance cache un conflit de plus en plus prégnant entre Spéciens, partisans de la séparation des espèces, et Fusionnistes, favorables au métissage.

C'est par les yeux d'une femme, par son présent et son passé, que l'on découvre assez nébuleusement cette station. Rien n'est clair pendant les premières dizaines de pages, rien n'est explicite. Et pourtant, à l'image de son énigmatique intrigue, c'est mystérieusement accrocheur et tout juste assez compréhensible pour que se dévoile peu à peu ce surprenant et intelligent cadre et les problématiques qui en découlent.

Mais Rossignol n'est pas qu'un univers remarquable. C'est aussi une réflexion de fond aux parallèles bien terrestres, notamment sur la question de la mixité. C'est aussi une intrigue de plus en plus concrète, qui prend quasiment des airs de thriller et se conclut sur un final puissant. C'est aussi un récit qui a des passages dignes de la poésie de son titre. C'est de manière générale une jolie novella et une franche réussite.

Couverture : Aurélien Police
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Yuyine, Lorhkan, Le Maki, Alias, Célinedanaë, Apophis, ...

samedi 14 octobre 2023

Jack Finney - Le Voyage de Simon Morley

Le Voyage de Simon Morley, Jack Finney, 1970, 473 pages

Simon Morley est un jeune dessinateur new-yorkais dont l'existence n'a rien de particulière. Jusqu'au jour où un homme lui propose d'intégrer un projet ultra secret dont le but est le voyage dans le temps. Avec une méthode inédite qui ne nécessite pas de machine, seulement le conditionnement de l'esprit.

Si une vieille histoire de famille servira d'excuse à créer une petite intrigue au sein de ce voyage temporel, Le Voyage de Simon Morley est surtout un guide touristico-historique du New-York de 1882, clichés à l'appui. Jack Finney y promène le lecteurice en long, en large et en travers, avec un luxe de détails sur les bâtiments et technologies de l'époque. C'est sans conteste un impressionnant travail de recherche et de restitution.

D'un point de vue romanesque, c'est bien moins resplendissant, puisqu'il est régulièrement possible de sauter des pages entières sans rien perdre de l'intrigue, si ce n'est un déplacement de quelques rues. C'est aussi vide d'histoire que c'est plein d'Histoire. Si vous adorez Connie Willis mais que vous trouvez que ses intrigues sont si neutres qu'on pourrait les réduire sans rien y perdre, alors Le Voyage de Simon Morley est fait pour vous.

Couverture : Benjamin Carré / Traduction : Hélène Collon
D'autres avis : Lune, Xapur, Acr0, ...

dimanche 8 octobre 2023

Colson Whitehead - Harlem Shuffle

Harlem Shuffle, Colson Whitehead, 2021, 420 pages
« Carney n'était pas un voyou, tout juste un peu filou... »
Cette citation placée en exergue de la première partie résume bien le personnage de Ray Carney. Propriétaire d'un magasin de meubles à Harlem dans les années 1960, il tente de gravir l'échelle sociale dans une ville où être noir ferme la majorité des portes. Alors pour arrondir les fins de mois, il lui arrive de revendre quelques objets obtenus de manière pas tout à fait légale. Mais les choses prennent une nouvelle ampleur quand son cousin Freddy l'entraîne dans le cambriolage de l'Hôtel Theresa.

Colson Whitehead est à la fois un auteur constant et un auteur qui se réinvente sans cesse. Si la condition noire et la condition de "l'homme moyen" sont très clairement ses thématiques favorites, reprises de livres en livres et une nouvelle fois ici, il change régulièrement de cadre et de style. Avec "Harlem Shuffle", il s'essaye au roman noir, où se côtoient tripots, magouilles et malfrats.

Et c'est, comme d'habitude, une grande réussite. Bien que roman noir, ce n'est d'ailleurs pas réellement sombre, ça a même quelque chose de frais et lumineux, notamment car Ray Carney est un personnage éminemment sympathique. Ce n'est pas propret pour autant, mais c'est très plaisant à lire. C'est peut-être le roman idéal pour découvrir Colson Whitehead. Il n'a pas ce côté effrayant que peuvent avoir ses deux chefs-d’œuvre Underground Railroad et Nickel Boys, deux lectures qui peuvent être éprouvantes, tout en ayant une intrigue plus nette et accrocheuse que d'autres de ses très bons romans comme Ballades pour John Henry ou Apex.

Harlem Shuffle est un très bon roman, avec une intrigue solide et mouvementée - découpée en trois parties séparées de quelques mois/années, comme un fix-up de nouvelles - et une plongée dans le quartier de Harlem qui est quasiment un personnage à part entière. Ça se lit tout seul et on en reprendrait. Ça tombe bien, même si Harlem Shuffle se suffit à lui-même, Ray Carney reviendra dans Crook Manifesto, situé cette fois dans les années 1970. J'ai hâte !
« Un truc que j'ai appris dans ce métier, c'est que la vie ne vaut pas grand-chose, et qu'elle vaut de moins en moins à mesure que les enjeux augmentent. »
Couverture : Olivier Munday / Traduction : Charles Recoursé
D'autres avis : Le Maki, ...

dimanche 1 octobre 2023

Bulles de feu #54 - Septembre 2023

Un petit récapitulatif de mes lectures BDs/mangas/comics du mois, pour en garder une trace.
Le classement est absolument imparfait, insatisfaisant et un peu aléatoire mais peut donner un ordre d'idée. Les avis sont (ultra)brefs, n'hésitez pas à demander un complément d'informations en commentaire si nécessaire.

Bien / Ok / Correct


Yojimbot T.3/? - Sylvain Repos

C'est toujours aussi joli et coloré, le cadre est sympa, mais l'histoire est malheureusement toujours aussi infime.


Toutes les princesses meurent après minuit - Quentin Zuttion

Une belle BD sur la découverte de soi et de sa sexualité, qui n'était pas particulièrement pour moi mais que j'ai tout de même trouvé touchante.
Très bien


L'Attaque des titans T.23-27/34 - Hajime Isayama

Énorme changement pour ce deuxième grand arc du manga, ça passe réellement un cap, c'est inattendu et impressionnant, titanesque. Ça peut paraitre presque disproportionné par moment mais c'est terriblement exaltant.


Le Maître des livres T.11-12/15 - Umiharu Shinohara

Toujours aussi bien, intelligemment humain, un bel hommage aux bibliothèques et aux bibliothécaires.


L'Université des chèvres - Christian Lax

Pas forcément exaltant, un peu survolé (mais avec logique) dans sa première partie et perturbant par son changement d'époque, mais ça s'avère finalement une très bonne BD qui clame l'importance d'un accès à une éducation libre pour tou.te.s. Une éducation qu'on cherche à orienter et contrôler en tous lieux et toutes époques, ce que montre très intelligemment Christian Lax dans cette BD qui ne peut qu'énerver mais qui est importante.


Le grand vide - Léa Murawiec

Il faut passer outre l'aspect "outrancier" et l'ultra-dynamisme épuisant du style graphique - qui fait parfaitement sens avec l'univers du récit mais qui peut rester un frein au démarrage - pour découvrir une critique très maline du culte de la personnalité, du besoin d'être connu, de la nécessité d'exister pour les autres.


Underwater T.1-2/2 - Yuki Urushibara

Un petit bijou qui mérite son comparatif d'oeuvre entre "Le Voyage de Chihiro" et "Quartier lointain". Une histoire simple de deuil et de souvenirs, aux touches de fantastique pour se composer sur deux époques en miroir, très belle et très touchante.