samedi 27 août 2022

Martha Wells - Télémétrie fugitive

Télémétrie fugitive, Martha Wells, Tome 6/? de Journal d'un AssaSynth, 2021, 139 pages

On avait laissé AssaSynth à un tournant majeur de sa vie lors du final de Effet de réseau, la première histoire de la SecUnit indépendante au format roman. Avec Télémétrie fugitive, retour au format novella... et retour en arrière dans le temps. En effet, Télémétrie fugitive se situe entre les tomes 4 - Stratégie de sortie - et 5 - Effet de réseau, donc.

Et c'est une novella dans le plus pur style de la série. Ça met en scène une petite enquête à laquelle prend part AssaSynth, simple et efficace. Ce n'est pas là le plus important. Le plus plaisant, c'est de retrouver AssaSynth, sa gouaille, sa psychologie en constante évolution - et relativement apaisée à ce moment de la série, ce qui est d'autant plus agréable à lire - et ses interactions avec les autres personnages, bots compris. Simplement du pur plaisir.

Couverture : Ben Walsh / Traduction : Mathilde Montier
D'autres avis : Lullaby, Zina, Lianne, ...

Premier voyage interstellaire dans le cadre du Summer Star Wars : Obi-Wan Kenobi

dimanche 21 août 2022

Mariana Enriquez - Notre part de nuit

Notre part de nuit, Mariana Enriquez, 2019, 760 pages

Argentine, 1981. Malade, en proie notamment à de terribles migraines, Juan doit pourtant prendre la route avec son jeune fils, Gaspar, pour un long voyage vers le Nord. Mais Juan n'est pas n'importe quel père. C'est un médium qui est capable d'invoquer l'Obscurité, une terrible puissance démoniaque, et qui fait partie malgré lui de l'Ordre, une secte cherchant à contrôler l'Obscurité.

L'histoire de Notre part de nuit est à la fois bien plus importante que ce résumé tout en n'étant guère plus grande. C'est tout le paradoxe de ce roman : son volume est énorme, son intrigue est mince, et pourtant ça se lit tout seul et ça ne donne jamais l'impression de tirer à la ligne. C'est une plongée dans l'esprit et le coeur de quelques personnages, une dissection quasi-littérale qui nous fait vivre leurs joies et, surtout, leurs peines et leurs terreurs. Et le mot est faible.

Notre part de nuit propose des passages terribles, horrifico-gores. Si une présence indicible imprègne l'ambiance à tout moment ou presque, les scènes choquantes restent relativement rares - mais pas moins marquantes. J'ai toujours du mal avec l'horreur, ne comprenant pas le plaisir ou l'intérêt qu'il y a à lire de telles choses. J'y cherche une finalité qu'il n'y a peut-être pas. Il y en a tout de même deux ici à mon sens. L'une est de servir l'intrigue en soi et permet d'aborder l'emprise familialo-sectaire. L'autre se trouve dans la comparaison entre ces extrémités et celles de la dictature argentine (entre autres).

Car si son propos principal est de traiter de personnages, en filigrane Notre part de nuit conte aussi une époque, et même des époques, des années 60 aux années 90, en Argentine principalement avec un détour par le Londres des années 70. Si ça a été pour moi l'occasion de me perdre un peu dans le péronisme, il ne m'aurait pas déplu que cet arrière-plan historique et social soit encore plus présent.

Étant donné tous les freins qui auraient pu entacher ma lecture, Notre part de nuit est une franche réussite. Si la construction du récit, admirable et intelligente, y est pour beaucoup, il y a certainement aussi un peu de magie chamanique dans les mots de Mariana Enriquez, qui parvient à créer une fascination pour ce microcosme n'ayant pourtant rien d'attrayant. Il se passe quelque chose de puissant entre ces lignes, de vivant, de vrai. Et ne vous fiez pas à ses presque 800 pages : c'est encore plus grand à l'intérieur !

Couverture : Alexandre Cabanel / Traduction : Anne Plantagenet
D'autres avis : Tigger Lilly, Gromovar, itenarasa, Lune, ...

lundi 15 août 2022

Feux Divers #13 - Les autrices incontounables en SFFF

Logo réalisé par Anne-Laure de Chut Maman lit !

Il y a deux ans, Vert faisait tabler toute la blogosphère, la twittosphère et d'autres mots en -sphère, sur les livres incontournables récents en imaginaire, pour changer des listes datées qu'on retrouve encore régulièrement dans les médias grand public. Me concernant ça se passait ici, et ça a toujours belle allure.

Cette année, Vert remet ça, avec cette fois pour objectif de mettre en avant des autrices. Pour les détails, c'est par ici : Autrices incontournables en SFFF. Ça se résume ainsi :
« Le principe est simple : présenter soit dix ouvrages écrits par des autrices et appartenant aux littératures de l’imaginaire (SF, fantasy, fantastique) soit dix autrices de littératures de l’imaginaire qui sont pour vous incontournables, quelle qu’en soit la raison. »
Ça sera forcément incomplet, frustrant et soumis à modification dès ma prochaine lecture, mais ça ne peut jamais faire de mal de mettre en avant d'excellentes autrices. Mini-contrainte personnelle : je ne cite que des autrices dont j'ai lu au moins deux textes - désolé Octavia, désolé Becky, désolé tant d'autres. Oh, et puis comme je n'ai pas envie de choisir entre mes très bonnes lectures ou celles qui sont désormais un peu floues dans mon esprit, je n'en ai finalement gardé que 8, la crème de la crème, l'incontournable de l'incontournable. Avec à chaque fois un titre à particulièrement mettre en avant.

Par ordre alphabétique :


 Nina Allan
La Course

Une autrice à part, dont chaque livre est unique tout en n'ayant de cesse de questionner la notion de réalité.

Si je conseillerais à n'importe qui de commencer par l'excellent La Fracture, la baffe initiale que j'ai prise en lisant La Course ne sera pour moi jamais supplantée.


Hiromu Arakawa
FullMetal Alchemist

Parce que les BDs et les mangas d'imaginaire font partie des littératures de l'imaginaire. Mais nul besoin de prétexte : Hiromu Arakawa est une raison en soi pour être citée ici, tant la présence de son nom sur une oeuvre justifie de plonger dedans les yeux fermés.

Silver Spoon est très bon, Arslan Senki est, pour le peu que j'en ai lu, aussi de qualité, mais son chef-d'oeuvre reste FullMetal Alchemist. S'il ne devait rester qu'un seul shonen, ces mangas axés action véhiculant de bonnes valeurs, ça serait surement celui-ci.


Kij Johnson
Un Pont sur la brume

Parce que Un Pont sur la brume, la plus belle novella de l'excellente collection UHL (qui multiplie pourtant les excellentes publications).

Mais ce n'est pas son seul texte marquant. Si ses nouvelles sont souvent étonnantes, Retour à n'dau a prouvé que Kij Johnson fait preuve d'une maitrise rare dans la simplicité et la subtilité.



Ursula Le Guin
Tehanu

L'une des idées de Vert avec ce tag est de faire en sorte qu'Ursula Le Guin ne soit pas l'autrice qui occulte toutes les autres. Et donc... je vais quand même la citer. Parce qu'Ursula Le Guin, quand même.

J'aime beaucoup sa SF avec l'Ekumen, mais plus le temps passe et plus mon oeuvre préférée se trouve du côté de sa fantasy avec Terremer, un cycle qui multiple les grands textes. Particulièrement avec son chef-d'oeuvre, un ouvrage sublime : Tehanu.


Laurine Roux
Une immense sensation de calme

Ma plus récente découverte, mais pas des moindres. Je ne suis pas capable de décortiquer et d'analyser en profondeur la manière d'écrire des auteurices. Mais je peux dire que l'écriture de Laurine Roux est exceptionnelle et justifie à elle-seule la lecture de ses textes. Et je dis ça alors même que je préfère quand il se passe quelque chose dans les récits que je lis.

Le Sanctuaire est un très bon texte, porté par l'écriture de Laurine Roux donc, mais Une immense sensation de calme, au titre parfait, est encore un cran au-dessus.



Priya Sharma
Des Bêtes fabuleuses

Deux textes, une novella et une nouvelle, et deux très grandes réussites. Il n'y a guère d'ouvrages que j'attends plus que le futur recueil de l'autrice publié par Le Bélial'.

Difficile de faire un choix entre ses deux récits. Ormeshadow est un texte poignant, quand Des Bêtes fabuleuses frappe encore plus fort. Je mets tout de même la couverture du premier cité, pare que c'est la plus belle de tous les UHL.



Rivers Solomon
L'Incivilité des fantômes

Rivers Solomon n'est pas à proprement parler une autrice puisqu'iel est non-binaire, mais ça me semble pleinement dans l'esprit du tag. Et s'il y a pas mal de douceur chez les autrices citées plus haut, Rivers Solomon permet un joli contrepoint car ses ouvrages frappent fort.

Les Abysses est un très bon roman, atypique comme Rivers Solomon sait les faire, mais L'Incivilité des Fantômes est vraiment une très grande claque.


Jo Walton

Mes vrais enfants

Fantasy domestique, polar uchronique, fantastique, fantasy victorienne à dragons,... Jo Walton écrit des ouvrages de tous types. Et elle le fait toujours bien.

Une véritable valeur sûre qui peut tout de même se résumer facilement en un ouvrage, un chef-d'oeuvre : Mes vrais enfants.

lundi 8 août 2022

Guillaume Chamanadjian - Trois lucioles

Trois Lucioles, Guillaume Chamanadjian, Tome 3/6 de la Tour de Garde, Tome 2/3 de Capitale du Sud, 2022, 394 pages

Après Le Sang de la Cité, Trois lucioles poursuit les aventures de Nox, l'épicier-un-peu-plus-qu'épicier, dans la ville de Gemina. Situé dans la continuité presque immédiate du premier volume, le récit démarre sur un rythme déjà bien engagé, sans que ça ne soit non plus sur les chapeaux de roues. À posteriori, on peut même dire que c'est relativement calme. Relativement, tant tout ne va aller que crescendo jusqu'à la dernière page.

Trois lucioles ne souffre pas du syndrome du deuxième tome, parfois synonyme de tome de transition dans une trilogie. Il sert bien sûr à avancer les pions et à préparer le feu d'artifice final. Mais il est surtout pleinement satisfaisant en soi, apportant autant de développements dans les relations et personnalités des personnages que de petites révélations sur le mystère qui rôde derrière cette ville de Gemina. Sans compter quelques actions d'éclat. Le tout faisant sens, ne donnant jamais l'impression de décisions imbéciles ou d'aveuglement pour faciliter le récit.

S'il faut vraiment trouver un léger bémol, je ne suis pas fan des petites prémonitions sur la suite du récit, même si c'est heureusement moins présent que dans Citadins de demain - premier tome de la trilogie parallèle de Claire Duvivier. Un bémol que compense allègrement la présence d'un résumé du tome 1 en début d'ouvrage. Et surtout par le fait que Trois lucioles est un très bon roman, très plaisant. Une nouvelle réussite pour Guillaume Chamanadjian, qui ne donne qu'une hâte : lire le troisième et dernier tome !

Couverture : Elena Vieillard
D'autres avis : Tigger Lilly, Le Nocher des livres, Célinedanaë, ...

mardi 2 août 2022

Paul Di Filippo - Un an dans la Ville-Rue

Un an dans la Ville-Rue, Paul Di Filippo, 2002, 120 pages

Imaginez une rue. Une très longue rue. Une très très longue rue. Bordée de chaque côté d'immeubles abritant commerces, sociétés et logements. Au-delà : d'un côté le Fleuve et ses bateaux, de l'autre les Voies et ses trains. Dessous : le Métro. Encore au-delà : les psychopompes, attendant d'emporter les trépassés. C'est dans l'arrondissement de Vilgravier, précisément dans le 10.394.850ème Bloc, que vit Diego Patchen, un auteur de Cosmos-Fiction - l'équivalent de notre Science-Fiction - qui sera notre guide pour découvrir cette Ville-Rue.

Il n'y a nul besoin de l'immensité de l'espace interstellaire pour provoquer le sense of wonder. Paul Di Filippo le prouve avec cette Ville-Rue inconcevable, presque impossible et pourtant compréhensible, qui provoque un vrai sentiment d'émerveillement et d'ébahissement. Est-ce que tout sera justifié et expliqué ? Non. Mais ce n'est nullement le but. Le but c'est d'imaginer quelque chose d'autre, quelque chose de nouveau, de dépasser les cadres et les limites pour être créatif et proposer quelque chose d'unique.

C'est en ce sens pleinement réussi. Et là où la réussite est encore plus grande, c'est que l'écriture de Paul Di Filippo est à l'image de son univers et sert, tout autant que le récit en lui-même, à créer cette immersion et ce changement de paradigme. Le plus fort dans tout ça, dans tout cet étonnement ? La compréhension de ce qui se présente sous nos yeux est comme intuitive et totalement happante. À vrai dire, je ne sais même pas réellement pourquoi ça fonctionne. Mais ça a ce petit truc qui fait que ça fonctionne, et plus que bien.

Un an dans la Ville-Rue est une novella étonnante, dans tous les sens du terme. C'est une expérience, mais une expérience abordable qui n'oublie pas d'être plaisante à lire. C'est une idée forte qui contrebalance parfaitement son intrigue assez minime. C'est aussi une mise en abyme évidente - le protagoniste principal est un auteur de SF cherchant à élargir ses horizons avec des mondes totalement différents - qui n'empêche pas un sense of wonder impressionnant. C'est un hymne à l'incompréhensible et à l'inimaginable, au plaisir et à la nécessité d'y réfléchir à défaut de pouvoir pleinement les envisager. C'est une très belle novella.

Couverture : Aurélien Police / Traduction : Pierre-Paul Durastanti
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, ...