jeudi 2 janvier 2020

Lucius Shepard - Le Dragon Griaule

Le Dragon Griaule, Lucius Shepard, 1984-2011, 444 pages

Comment parler de Griaule ? Comment rendre hommage à Griaule, ce gigantesque dragon pétrifié continuant d'exercer son influence sur les humains vivants dans son voisinage ? Ou plutôt, comment rendre hommage à Lucius Shepard et à cette oeuvre aussi gigantesque que Griaule ? Car le plus bel hommage à la grandeur de Griaule, c'est ce recueil.

Pourtant, Griaule n'est pas un gentil petit dragon, loin de là. Et gravite autour de lui toute une ribambelle d'individus qui ne sont pas de gentils petits humains. Rien n'est reluisant dans ces textes, tout incarne le mal-être d'individus paumés dans un monde trop âpre et trop grand pour eux, sans jamais être déprimant pour autant. Des humains, voilà tout - à ce propos la postface de Lucius Shepard est lumineuse, l'auteur puisant allègrement dans ses propres expériences. Et les surplombant : Griaule. La petitesse de l'homme face à la démesure de l'univers.

Griaule est politique, Griaule est religion, Griaule est vie, Griaule est mort, Griaule est tout. Les sujets abordés en filigrane sont multiples, innombrables, les notions de liberté et de libre-arbitre en tête. Mais Griaule est avant tout un cadre grandiose pour des récits immanquablement et littéralement extraordinaires. Entendons-nous bien : tous les textes ne sont pas parfaits - car Griaule étant tout, il est aussi l'imperfection - mais leur ensemble est simplement monumental, Lucius Shepard ne prenant jamais deux fois le même chemin, et surtout pas le plus facile.

Six nouvelles - voire novellas - dont "L'Homme qui peignit le dragon Griaule", qui ouvre le recueil, est certainement le chef-d'oeuvre, un condensé d'histoire, de cadre, de narration, d'idées, de réflexions et de bravoure en une trentaine de pages seulement. S'en suivent de consistants récits - et notamment l'excellente "Le Père des pierres", haletant procès - jusqu'à la déstabilisante "Le Crâne" qui clôt l'ouvrage, Lucius Shepard osant une nouvelle fois se réinventer.

Le Dragon Griaule n'est pas toujours l'ouvrage le plus abordable, malgré la somptueuse plume de Lucius Shepard, maitre artisan des mots. Mais il donne malgré tout constamment l'impression de lire quelque chose de grand, de plus grand que ce simple recueil même, qui se dévoilera différemment à chaque lecture. Car Griaule rode à la croisée d'une page, au détour d'une ligne. Qui sait ce que, vous, vous pourriez lire dans la pupille du dragon millénaire ?
« - Ah bon ? De tous les êtres vivant à la surface, tu sembles pourtant la mieux à même d'apprécier l'étendue des vertus de Griaule. Il n'est pas de plus grande sécurité que celle qu'il propose, pas de plus grand savoir que celui qu'il dispense.
- À t'entendre on croirait que c'est un dieu. »
Mauldry lui coula un regard en biais et s'arrêta de marcher. La lumière dorée, qui avait gagné en intensité, creusait d'ombre ses multiples rides, le vieillissant de plusieurs siècles. « Eh bien, qu'est-il donc, à ton avis ? » demanda-t-il, légèrement indigné. « Que pourrait-il être d'autre ? »
Couverture & illustrations : Nicolas Fructus / Traduction : Jean-Daniel Brèque
D'autres avis : Vert, Gromovar, Lhisbei, Cédric, Lorhkan, Xapur, Le chien critique, Alys, Tigger Lilly, TmbM, Baroona (oui, celui-là même), ...

28 commentaires:

  1. Je l'avais lu à sa sortie et j'avais bien aimé. Le format ne me convenait pas totalement, cependant j'en garde un souvenir partriculier avec ce dragon très spécial et une mabiance marquante.

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    1. @lutin82 : Spécial, c'est indéniable. Le plus grand de tous ! Est-ce que je l'ai trouvé marquant ? Oh, qui sait... =P

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  2. C'est Griaule qui t'a poussé à refaire une chronique ? :D

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    1. @Vert : Évidemment ! Il désirait vérifier et renouveler ma foi - c'est chose faite - ainsi que continuer à propager Sa voix - là il reste du travail. ^^

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  3. Non mais Griaule a prêché un converti... ^^
    C'est ta combientième lecture? (Car je suppose que tu l'as déjà lu, évidemment...)
    J'ai bien aimé cette lecture sans pour autant sauter de joie. Je l'apprécierais peut-être plus maintenant, d'ailleurs. À voir si je ne le relis pas un jour.

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    1. @Alys : Mais j'étais d'autant plus exigeant ! Tu supposes bien - un indice se trouvait peut-être en toute fin de billet. Ce n'était que ma seconde lecture, mais c'est déjà beaucoup vu que c'est l'une des très très rares fois où je relis un livre. ^^
      Je comprends que ça ne fasse pas "sauter de joie". C'est une lecture imparfaite sur certains aspects si on est honnête. Mais le concept et certains passages sont tellement incroyables ! Il est fort possible que la seconde lecture soit meilleure, je crois que ça a été mon cas.

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    2. Oh mais je n'avais pas vu que tu t'étais auto-référencé :D C'est beau.

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    3. @Alys : J'aurais plutôt dit honteux, mais ça me rassure que ça ne se voit pas trop. =P

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  4. Je comprenais pas au départ... Je me demandais si tu n'avais pas été converti AVANT même de l'avoir lu. Bon ben relecture, tout s'explique. Tout ça pour t'autociter tss et tu me cites même pas parmi les membres du culte!

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    1. @Tigger Lilly : Je n'aurais rien dû dire et effacer cette trace, la légende n'en aurait été que plus belle !
      Je me demande bien pourquoi Griaule ne m'avait pas soufflé le lien de ta chronique... Aurais-tu des choses à te reprocher ? Ta foi est-elle vraiment indéfectible ? @_@

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    2. Ha ouf, c'est réparé, je ne voudrais pas subir la foudre de Griaule.

      Merci ^^

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    3. @Tigger Lilly : Griaule est tout, même Rattrapage après une erreur, huhu.
      De rien, désolé de l'oubli. ^^

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  5. Excellent bouquin. Je comprends le culte que tu lui voues.

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    1. @TmbM : Mais qui ne lui voue pas un culte après lecture, même inconsciemment ? ^^

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  6. Merci, ça fait plaisir de voir que Lucius n'est pas oublié.
    J'en profite pour signaler, à ceux qui l'ignoreraient encore (on ne peut pas tout suivre!), que Le Bélial' continue de publier Shepard et moi de le traduire. Déjà parus dans la collection "Une Heure-Lumière": "Les Attracteurs de Rose Street" et "Abimagique". Un troisième livre est en préparation
    Jean-Daniel Brèque

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    1. @Jean-Daniel Brèque : Celui qui me fera arrêter de propager La Parole de Griaule n'est pas encore né. Merci à vous de faire vivre ses écrits par chez nous. Je crois que sa mémoire a encore de nombreuses belles heures à vivre, et c'est tant mieux. =)

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  7. Je reconnais bien Griaule sous ta plume.

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    1. @Celindanaé : Les fidèles ont cette chance de pouvoir l'entrapercevoir. ^^

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  8. Du coup, je suis allée lire ton avis plus détaillé sur le contenu, celui de 2013 (que le temps passe vite!)
    Au moins, ça me permet d'avoir maintenant un livre référence pour mieux comprendre Griaule et son univers.
    Y a plus qu'à espérer de le trouver facilement pour le lire.

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    1. @itenarasa : J'avais pourtant pris quelques notes pour parler des nouvelles, mais finalement Griaule m'a suggéré de rester plus général. ^^
      J'espère que tu auras l'occasion de le lire et que tu l'apprécieras. =D

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  9. Certains croient au Père Noël, mais les vrais croient en Griaule !

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  10. Désolée, pour le moment, le charme de Griaule ne fait pas effet sur moi, il attendra son tour comme tout le monde xD

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    1. @shaya : Comme dit l'expression, "les voies de Griaule sont impénétrables". Mais quelle déception tout de même, toi qui avais tant de potentiel. ='(

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    1. @Acr0 : Griaule a tendance à n'en faire qu'à sa tête. Mais merci de ce souhait. =)

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  12. Un chef d'œuvre, c’est clair. Je ne connaissais pas du tout.
    La dernière nouvelle se détache, même si le reste est tres bon.
    Le Dragon de Thomas Day m’a rappelé Le crâne, même si on n’est pas en Amérique du Sud.

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    1. @Melvin : Oui, "Le Crâne" fait une petite rupture avec le reste, on apprécie ou pas. Je ne dirais pas que c'est ma préférée, mais elle est très bonne comme le reste.
      Je n'ai pas encore lu "Dragon", mais je vois ce que tu veux dire. Je n'y avais jamais pensé, mais c'est vrai que Thomas Day a une écriture assez violente et crue qui peut rappeler Lucius Shepard.

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