mercredi 31 décembre 2025

R.F Kuang - Babel

Babel, R.F. Kuang, 2022, 764 pages

Canton, 1828. Un jeune chinois est sauvé et recueilli par un professeur d'Oxford. Rebaptisé Robin Swift, il le prend sous son aile et lui fait intégrer Babel, le prestigieux institut de traduction. Qui n'est pas qu'un simple lieu d'études des langues mais aussi la source du pouvoir de l'Angleterre grâce à l'argentogravure, une magie combinant argent et histoire des mots.

Si ce pitch est factuel et met en avant deux aspects primordiaux du roman (le milieu scolaire et l'importance des mots), il omet son troisième pilier : le racisme et plus généralement le traitement réservé à celleux qui sont considérés comme inférieurs. Robin et ses camarades de cohorte, racisés et/ou de genre féminin, ne sont pas admis à Babel en tant qu'égaux mais seulement car ils sont nécessaires, comme des outils. R.F. Kuang s'attache à montrer la difficulté de cette prise de conscience, le systémisme de ce racisme et les moyens de lutter contre, avec la fameuse opposition entre réforme et révolution. L'autrice va bien au-delà d'un simple "le racisme c'est mal". Elle questionne ses raisons et les arguments opposés, fait évoluer son jeune héros en même temps que ses réflexions et parvient à être tout à la fois indéniable et nuancée.

Babel est un ouvrage engagé et politique. Mais il n'oublie pas d'être avant tout un bon roman. Son propos s’intègre parfaitement à son cadre et à son histoire, ne prenant pas le pas dessus et laissant largement la place pour vibrer aux côtés de Robin Swift. Et il y a de quoi vibrer, de quoi s'enthousiasmer et s'émouvoir. De la même manière que le fond du propos n'a rien d'inédit mais est habilement présenté et mené, l'histoire d'un jeune héros entrant dans une grande école et devant faire ses preuves n'a là aussi rien d'inédit. Pourtant ça fonctionne parfaitement et ça ne sonne jamais comme du déjà-lu, car là aussi c'est habilement présenté et mené.

C'est le cas aussi de l'autre grand thème du roman : la traduction et le sens des mots. Je ne suis généralement pas un grand amateur des explications de worldbuilding, qu'elles soient de fantasy ou de science-fiction, et des détails sur le fonctionnement des éléments imaginaires. J'ai pourtant été fasciné par cette magie qui nécessite d'associer deux mots de langues différentes ayant un socle commun. L'idée est ingénieuse et elle permet en plus à l'autrice de nous offrir plein d'informations sur le fonctionnement et le métissage de nos langues. Là encore, ce n'est rien qui n'est trouvable ailleurs, mais c'est habilement présenté et mené.

La plus grande force de Babel au final, c'est son harmonie. R.F. Kuang combine ses trois grands axes dans un tout où aucun n'est plus important que les autres, où ils fusionnent pour créer quelque chose de meilleur. Pour parvenir à quelque chose qui s'approche du chef-d'oeuvre. Babel est un ouvrage conséquent, plus de 700 pages, et pourtant aucune d'elle n'est inutile. C'est un plaisir du début à la fin, qui se termine avec un sentiment de complétude. C'est une oeuvre puissante qui touche autant le coeur que le cerveau. C'est un roman très riche et pourtant toujours abordable. C'est une lecture incontournable.

Couverture : Nico Delort / Traduction : Michel Pagel
D'autres avis : Vert, L'ours inculte, Le nocher des livres, Cédric, Elessar, Kahlan, Zoéprendlaplume, ...

1 commentaire:

  1. Je pense que tu as l'avis le plus enthousiaste que j'ai lu depuis longtemps sur ce roman ^^
    Ceci dit en dépit des quelques défauts que je lui ai trouvé, je garde le souvenir d'une lecture très prenante et d'un propos qu'on garde en tête un moment après la lecture.

    RépondreSupprimer