Les Lions d'Al-Rassan, Guy Gavriel Kay, 1995, 583 pages
« Ce fut juste après midi, peu de temps avant le troisième appel à la prière, qu'Ammar ibn Khairan franchit la poterne des Cloches et pénétra dans le palais de l'Al-Fontina, à Silvènes, pour s'en aller assassiner le dernier khalife d'Al-Rassan. »Jehane bet Ishak est une brillante médecin kindath, un peuple adorateur des lunes et historiquement persécuté. Elle vit plutôt paisiblement en terre asharite, un peuple adorant les étoiles. Mais témoin involontaire d'un massacre, elle va devoir fuir. Une fuite qui l'amènera à vivre de l'intérieur le basculement de l'Histoire, et notamment la guerre latente entre asharites et jaddites, un peuple adorant le soleil.
Les Lions d'Al-Rassan fait plus que s'inspirer du XIème siècle espagnol, entre la fin du Califat de Cordoue et le début de la Reconquista. Pourtant nul besoin de connaître la période historique pour apprécier le roman. Le cadre remanié se suffit à lui-même et se découvre comme un univers en soi, bien qu'il ne soit pas forcément évident au démarrage de saisir toutes les relations entre les différents peuples.
Les Lions d'Al-Rassan est un très grand livre. Évacuons tout de même deux petits points négatifs. Le premier est l'abondance de scènes de relations sexuelles. Abondance certes relative (6 ou 7 environ ?), mais qui n'apporte à mon sens pas grand chose, et ce alors même que les relations amoureuses sont elles extrêmement bien gérées et se déroulent en toute intelligence. Le deuxième est un épilogue qui, sans être mauvais, n'est pas forcément nécessaire. Mais c'est là surement mon amour des fins ouvertes qui parle.
Ces deux petits bémols sont néanmoins une goutte dans l'océan au regard du nombre de qualités que comporte le roman. À commencer par les personnages qui portent le récit. Car l'intrigue est finalement assez simple, ne jouant pas sur l'accumulation de rebondissements et de surprises - il y en a, bien sûr, mais de manière mesurée -, préférant dérouler son fil de manière logique mais néanmoins prenante. Pourquoi ? Parce que les personnages.
Guy Gavriel Kay a un vrai talent pour créer des personnages forts. Il parvient en quelques mots à les décrire profondément, pas physiquement mais psychologiquement, à les doter d'une personnalité et de pensées propres. À les doter d'une âme. Cela participe du fait qu'il n'y a ici ni gentils ni méchants. Si les personnages que l'on suit sont certes globalement tous beaux, forts et intelligents, ils ne sont pourtant pas de naïfs bisounours n'ayant que des qualités. Chacun - à l'exception peut-être de Jéhane - a ses failles et peut perpétuer des actes répréhensibles. Mais toujours avec une certaine logique et surtout avec beaucoup de pragmatisme. Les actions des personnages font sens. Cela peut sembler normal, mais cela n'arrive finalement pas si souvent. Et c'est très plaisant.
La nuance et le pragmatisme caractérisent tout autant les personnages que le récit et ses enjeux. Les différents combats ne sont jamais présentés comme de glorieux affrontements. Ils sont puissants mais jamais épiques, jamais agréables. Guy Gavriel Kay ne célèbre pas la guerre, tout juste des individualités qui font leurs vies en son sein, en essayant de toujours y garder intactes leurs valeurs.
Les Lions d'Al-Rassan est un excellent livre. Guy Gavriel Kay y fait preuve d'une maitrise totale de son récit, présenté dans de longues scènes - entrecoupées d'ellipses qui ne font ressentir aucun manque - qui s'enchainent parfaitement et sont toutes utiles. Tout y est logique et implacable, ce qui n'empêche nullement un investissement total pour ces personnages extraordinaires. Magistral.
Couverture : Leraf / Traduction : Élisabeth Vonarburg
D'autres avis : Vert, L'ours inculte, Célinedanaë, Apophis, lutin82, Brize, Alias, Elhyandra, Lianne, Acr0, ...
Tu envoies du bois.
RépondreSupprimerC'est pas ta chronique la plus longue ?
Je note que c'est traduit par Elisabeth Vonarburg.
@Tigger Lilly : Tu m'as mis la pression aussi, fallait que je te le vende. Mais oui, c'est (inhabituellement) long. Et encore, j'ai l'impression de l'avoir à peine effleuré. 😅
SupprimerCa a très bien fonctionné. Rendez-vous dans 10 ans quand j'aurais trouvé le temps de le lire 😅😅😅
Supprimer@Tigger Lilly : *prépare une alarme pour dans 10 ans*
SupprimerHolàlàlàlàlàlàlà. Pas tous les dieux de l'Olympe. Je veux le lire.
RépondreSupprimerJ'oubliais: c'est l'incipit, ta citation? Si c'est le cas, c'est brillant! 🤩
Supprimer@Alys : Tout à fait, c'est l'incipit. Ça claque comme entame !
SupprimerHolàlàlàlàlà!
SupprimerUn jour, je lirais Guy Gavriel Kay. Un jour !
RépondreSupprimer@shaya : J'ai dit pareil pendant des années. Je ne regrette pas de m'y être enfin mis. ^^
SupprimerOuaouh, tu l'as aimé !
RépondreSupprimerJ'avais repéré ce roman, et puis, je l'avais oublié, comme d'autres. Mais tu le vends tellement bien ;)
@FeyGirl : Ah oui, ça se voit qu'il m'a marqué ? Il n'est même pas forcément le plus flamboyant, mais il y a tellement de choses faites de manière très intelligente (et par conséquence plaisante pour le lecteurice) que "woh".
SupprimerTellement envie de tout laisser de coté et de me jeter dessus là ^^
RépondreSupprimerOn peut dire que tu le vends très bien. Surtout le point sur les personnages qui reste central pour moi dans une lecture.
@Yuyine : Ne crois pas que je cherche à en rajouter, mais si tu aimes les bons personnages bien construits, tu dois lire ce livre. 😇
SupprimerC'est un beau roman. Merci de me rappeler que ça fait maintenant plus de dix ans que j'ai prévu de lire un autre texte de l'auteur. 🤣
RépondreSupprimer@Vert : Ah bah voilà, je me sens moins seul à procrastiner sur mes lectures de Guy Gavriel Kay, c'est un effet secondaire de l'auteur ? ^^
SupprimerJe l'ai déjà repéré mais il faut vraiment que je le lise... un jour...
RépondreSupprimer@Xapur : Parole de quelqu'un ayant aussi longtemps repoussé : ça vaut vraiment le coup de se lancer.
SupprimerIl m'a été plus que vendu par une amie qui raffole de l'auteur. Il a donc rejoint ma PAL lors d'un Utopial où l'auteur était présent. Maintenant il attend juste que je me décide à le saisir et l'entamer ^^
RépondreSupprimer@itenarasa : Tu n'as donc vraiment aucune excuse ! Allez hop, on s'y met !
SupprimerEntièrement d’accord avec toi : un roman magistral !
RépondreSupprimer@Brize : Et je me rends compte que j'en ai encore de vraies images en tête, magistral et marquant donc !
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