samedi 16 novembre 2024

Xia Jia - Ton temps hors d'atteinte

Ton temps hors d'atteinte, Xia Jia, 2012, 153 pages

Enfant, la narratrice a fait la connaissance d'un jeune garçon assis à un piano. S'ils n'auront fait que se croiser, elle sera marquée par cette rencontre et la gardera à tout jamais en tête, comme une âme soeur. Les hasards de la vie les feront se recroiser. Mais comment se rapprocher de lui alors qu'elle est considérée comme une fille un peu lente, toujours en léger décalage avec les autres, quand lui vit à cent à l'heure, hyperactif et insaisissable ?

Ton temps hors d'atteinte n'est pas une histoire d'amour à proprement parler. Ou en tout cas, si c'est une histoire d'amour, bien que principalement à sens unique, ce n'est pas une romance. Cela rend d'ailleurs la chose un peu bizarre par moment, avec un côté qui flirte avec le malsain. Heureusement la novella n'y tombe jamais et ce n'est pas du tout l'impression générale qu'elle laisse. Au contraire, à la fin, la sublime fin, il ne reste qu'une chose : la beauté. Ton temps hors d'atteinte est une très belle novella. Aussi belle dans son ensemble que lors de certains passages qui se transforment en petits instants de grâce.

Plus encore qu'une histoire d'amour, Ton temps hors d'atteinte est une quête. Une quête impossible, ce qui ne l'empêche pas d'être vécu à fond, sans se retourner. Une quête improbable - même si elle s'avèrera l'être bien moins que ce qu'elle laisse paraitre -, ce qui ne l'empêche pas d'être entraînante et d'être vécue en harmonie avec son attachante narratrice. Une quête aux légers accents de science-fiction - aussi intéressants pour l'idée en elle-même que pour la métaphore qu'elle file -, ce qui ne l'empêche pas de résonner et d'avoir des échos tout à fait réels. Non, définitivement, rien ne peux empêcher Ton temps hors d'atteinte d'être une excellente novella.

Couverture : Philippe Thiollier / Traduction : Gwennaël Gaffric
D'autres avis : Lorhkan, Lhisbei, Le nocher des livres, ...

dimanche 10 novembre 2024

David Mitchell - Les mille automnes de Jacob de Zoet

Les mille automnes de Jacob De Zoet, David Mitchell, 2010, 702 pages

En 1799, le jeune clerc Jacob de Zoet fait partie d'une mission de la Compagnie néerlandaise des Indes Orientales pour remettre de l'ordre à Dejima, une île artificielle dans la baie de Nagasaki, seul comptoir de commerce étranger au Japon. C'est là, dans un milieu hostile aux étrangers, qu'il s'éprendra d'Orito, une sage-femme, et que sa vie prendra une ampleur inattendue.

Si l'histoire est inventée, bien qu'inspirée d'éléments réels, Les mille automnes de Jacob De Zoet a tout du roman historique tant David Mitchell a fait un travail minutieux pour représenter ce Japon de la fin du XVIIIème siècle. Les habitués de l'auteur, notamment les lecteurices de L'Âme des horloges, pourront y percevoir quelques (très rares) clins d'oeil qui peuvent rattacher le roman au DavidMitchellUniverse et à l'imaginaire mais ce n'est clairement pas là l'essentiel.

L'essentiel, c'est que Les mille automnes de Jacob De Zoet est un ouvrage passionnant. Bien que la présentation et le style soient différents, il m'a fait penser aux romans de Guy Gavriel Kay. On y retrouve ce même souci du détail, cette même plongée totale dans un univers réaliste et ce même talent pour donner une vie et une personnalité à tous les personnages, principaux comme secondaires, qui sont l'indéniable coeur du récit. Et avec à la clé le même plaisir de lecture.

Il n'y a rien d'extravagant, rien de stupéfiant dans ce roman. Il est simplement excellent, d'une maitrise totale qui le rend captivant du début à la fin. C'est un très beau livre qui aura squatté mon esprit pendant plusieurs jours, que je sois en train de le lire ou non. C'est le genre de roman qui est si marquant qu'il reste encore en tête une fois la dernière page tournée et qui demande un peu de temps avant de passer à autre chose. Un très grand livre comme David Mitchell sait si bien en faire.

Couverture : / Traduction : Manuel Berri
D'autres avis : Vert, ...

lundi 4 novembre 2024

Bulles de feu #67 - Octobre 2024

Un petit récapitulatif de mes lectures BDs/mangas/comics du mois, pour en garder une trace.
Le classement est absolument imparfait, insatisfaisant et un peu aléatoire mais peut donner un ordre d'idée. Les avis sont (ultra)brefs, n'hésitez pas à demander un complément d'informations en commentaire si nécessaire.

Très bien


Le Deuil de la famille, Batman DC Renaissance T.3/9 - Scott Snyder, James Tynion IV, Greg Capullo et Jock

Un bon tome, une seule longue histoire totalement thriller, avec un Joker d'un niveau de psychopathie rarement vu. Ça n'évite pas le petit doute sur la suspension d'incrédulité par moment, mais c'est un sujet évoqué et ça fait assez sens vu les personnages.


River End Café T.1/9 - Akio Tanaka

Un manga absolument improbable plein d'éléments qui pris individuellement sont du grand n'importe quoi. Et pourtant, je ne sais pas comment, l'ensemble donne une simili-tranche de vie qui fonctionne très bien et se lit toute seul. À voir sur la longueur, si ça ne sera pas "trop", mais pour le moment c'est tout à fait plaisant.


La Femme à l'étoile - Anthony Pastor

Un bon western qui, contrairement à ce qu'il peut laisser penser, se concentre sur un duo de fugitifs, pour un quasi-huis clos dans la nature sous un blizzard que l'on ressent très bien.


Asadora ! T.8/? - Naoki Urasawa

Un très bon tome, touchant, qui continue d'évoluer et de brasser large.


Planètes T.1-4/4 - Makoto Yukimura

Un très bon manga, qui n'est pas parfait (des changements de tons étonnants et un manque d'approfondissement sur certains points) mais qui propose de bonnes tranches de vie dans les étoiles sur fond de pollution de l'espace.


Le Serpent et la Lance T.1-3/5 - Hub

Petite relecture des deux premiers tomes pour profiter pleinement du troisième. C'est vraiment très beau graphiquement, à la fois dans l'abondance de détails que dans les palettes de couleurs, et l'histoire est solide dans un cadre rare (l'empire aztèque).

mardi 29 octobre 2024

Nana Kwame Adjei-Brenyah - Friday Black

Friday Black, Nana Kwame Adjei-Brenyah, 2018, 258 pages

Friday Black est un recueil de 12 nouvelles teintées de science-fiction. Une utilisation de l'imaginaire qui permet d'exacerber certains aspects de notre monde dans un futur proche. Et pas les aspects les plus enviables, évidemment. Nana Kwame Adjei-Brenyah y expose sans fard, entre autres, le consumérisme, la violence et le racisme.

Comme dans tous les recueils, tous les textes ne s'apprécient pas de manière égale. Mais, à l'exception peut-être de Lark Street qui m'a laissé dubitatif, toutes les nouvelles sont au minimum vraiment bonnes à lire - je dirais bien "plaisantes" mais ce n'est pas un terme particulièrement approprié vu les contextes. Le plus souvent elles sont même très bonnes.

Si toutes offrent un point de vue individuel qui permet de tirer des conclusions d'ordre plus général, je distingue tout de même deux catégories dans ces 12 nouvelles. Il y a d'un côté des nouvelles plus "personnelles", des histoires de vie quotidienne aux fins ouvertes et aux finalités un peu nébuleuses. De l'autre il y a des textes plus frontaux, sans équivoque sur leurs messages. C'est dans ce deuxième groupe que se trouve mes nouvelles préférées, les plus puissantes, celles qui donnent des coups et me resteront en tête : Zimmer Land et son parc d'attractions pour blancs voulant se défendre contre l'envahisseur non-blanc ; Les 5 de Finkelstein et son racisme d'état, tristement réaliste, un chef-d'oeuvre qui vaut à elle-seule la lecture du recueil.

Mes attentes initiales me faisaient espérer plus de textes de ce genre, très marquant. Ce n'est pas nécessairement le cas, il y a de l'alternance et des choses relativement plus légères. Mais cela n'enlève finalement rien à la qualité générale du recueil qui vaut largement le détour. Notamment pour un dernier point que Gromovar a parfaitement explicité et que je me permets de citer pour conclure puisque je ne pourrais rien dire de mieux et qu'il résume très bien l'essence de ce recueil :
« Dans les nouvelles de Adjei-Brenyah, la parole officielle, juridique, historique, peut tuer ou meurtrir encore et encore, mais la parole humaine, celle qu'on donne intuitu personæ, celle qui nécessite qu'on se mette en état d’attention à l'autre qui parle et à qui l'on parle, est source de reconnaissance, de soin, d’apaisement. C'est parce qu'ils ne se parlent pas que les humains souffrent, c'est parce qu'ils ne s'écoutent pas qu'ils se divisent en clans irréconciliables ou parviennent à chosifier l'autre jusqu'à ce qu'il ne soit plus qu'un obstacle ou un moyen. »
Couverture : Favor Nnebedum - EyeEm - Getty Images / Traduction : Stéphane Roques
D'autres avis : Gromovar, FeydRautha, Lhisbei, Yuyine, TmbM, ...

mercredi 23 octobre 2024

Elisa Beiram - Le premier jour de paix

Le premier jour de paix, Elisa Beiram, 2023, 184 pages

Fin du XXIème siècle. Le dérèglement climatique a entraîné un bouleversement du monde, entre exodes, guerres et famines. Dans un territoire isolé de Colombie, Aureliano rêve encore, difficilement, d'une issue à l'autodestruction de son village. Esfir parcourt elle le monde pour résoudre des conflits. Quant à América, c'est au plus haut niveau des instances mondiales survivantes qu'elle essaye de faire entendre raison.

Le premier jour de paix se divise en trois parties. La première, celle d'Aureliano, est un peu déconnectée des deux suivantes mais elle permet de présenter l'état du monde et le désespoir qui s'y déploie. Ce n'est pas joyeux mais c'est nécessaire pour montrer les choses telles qu'elles sont. La suite continuera dans cette direction mais en y apportant de l'espoir, prenant le point de vue d'émissaires de la paix oeuvrant à trouver des solutions. Et la solution finale, c'est la paix.

Le premier jour de paix est un ouvrage qui a à la fois des airs d'apocalypse et de feel-good. Le parallèle avec Becky Chambers est facile sur de nombreux points mais Elisa Beiram trace sa propre route. C'est un roman qui peut sembler parfois naïf et facile mais ça n'est pas vraiment un problème car l'enjeu est ailleurs. Le but n'est pas d'être photoréaliste mais de proposer des idées et une réflexion globale sur la notion de paix. Et ça fonctionne, parce que le propos est intéressant et donne lieu à quelques très bons passages, notamment lors des moments de doute des personnages, mais aussi car l'histoire (et les protagonistes) est plaisante à suivre en elle-même, avec même une petite surprise dans sa troisième partie. La frontière entre espoir et niaiserie est souvent mince, et je ne doute pas que certains tomberont du deuxième côté de la pièce. Pour ma part, Le premier jour de paix est totalement resté du côté de l'espoir, ce qui en a fait une vraiment bonne lecture.

Couverture : Thomas Dambreville
D'autres avis : Alias, Le nocher des livres, Zoéprendlaplume, Lectures du Panda, ...