A Fake Story, Laurent Galandon et Jean-Denis Pendanx, 2020, 87 planches
Le 30 octobre 1938, Orson Welles et le Mercury Theatre diffusent sur la radio CBS leur
célèbre adaptation du roman
La Guerre des mondes de H.G. Wells, faisant croire à une invasion martienne et créant un prétendu vent de panique dans tous les États-Unis. L'ampleur du désastre s'avère surestimée, mais pas la réputation qu'y gagne Orson Welles. Cela dit, à Princeton, à proximité du lieu de la prétendue invasion, un drame a bien eu lieu la nuit du canular : un homme, effrayé, se serait suicidé après avoir tué sa femme et tenté de tuer son fils. Inquiète des conséquences légales, CBS envoie Douglas Burroughs, un ancien journaliste de la station, mener l'enquête.
Comme l'indique la couverture,
A Fake Story est l'adaptation du roman que Douglas Burroughs a tiré des évènements. C'est un polar assez classique mais bien mené, où les petites révélations se dévoilent de manière fluide jusqu'à la résolution finale qui donnent à voir d'un jour nouveau les premières planches.
Mais l'affaire en elle-même n'est pas réellement le point le plus important de cette BD. Derrière l'enquête se dessine un climat social et historique, où la place des femmes et des noirs n'est évidemment pas enviable. Plus encore se pose la question de la vérité et des preuves qu'on peut en avoir. Le canular de Welles en est le plus flagrant exemple, mais le questionnement se développe surtout au travers des enquêtes journalistiques de Douglas et Aretha. Plus de 80 ans après, les problématiques demeurent identiques.
Une fois la dernière planche terminée, j'ai eu le sentiment que
A Fake Story était un bon ouvrage, efficace, mais qu'il restait un peu lambda. Son objectif de prouver la nécessité de toujours recouper les sources et les informations - même s'il est pleinement conscient que cela ne suffit malheureusement pas toujours - est louable et nécessaire mais manque un peu d'ampleur. Sauf qu'il y a un twist. En quelque sorte, puisqu'on peut lire la BD sans jamais s'en rendre compte. Et c'est pourtant là que le travail des auteurs est le plus génial. Je ne peux rien en dire, évidemment, mais il donne une nouvelle dimension au récit et pose surtout une question : avez-vous bien compris la leçon ?
Quelques planches ici.
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Kosmos, Pat Perna et Fabien Bedouel, 2021, 210 planches
Le 20 juillet 1969, Neil Armstrong met le pied sur la lune et y plante le drapeau américain. Nul humain n'en a fait autant avant lui. Supposément. Car alors, comment expliquer ce drapeau soviétique qui y flotte déjà, à proximité d'un module lunaire ?
Kosmos est donc une uchronie où l'URSS aurait aluni en premier. Mais si ce point de départ est indéniablement uchronique, le terme est à utiliser avec des pincettes.
Kosmos ne va pas vraiment traiter des conséquences de ce changement dans l'Histoire mais plutôt détailler la mission ayant permis aux soviétiques d'être les premiers sur la lune, en survolant au passage une partie de l'histoire de la conquête spatiale russe. Et puis, de toute façon, il n'y a pas réellement une autre Histoire à imaginer, puisque
Kosmos narre en fait la véritable Histoire, derrière les secrets des grandes puissances, cachée depuis des décennies.
Plus qu'une uchronie,
Kosmos est une BD sur le complotisme, sur les
fake news et sur la manipulation des images. Le ton est donné dès l'épigraphe qui cite l'artiste espagnol, adepte du jeu avec la réalité,
Joan Fontcuberta :
« La pédagogie du soupçon est toujours nécessaire. Aujourd’hui, les images ne sont plus un moyen de représentation mais sont notre mémoire, notre imaginaire, notre inconscient. Celui qui veut contrôler les esprits doit contrôler les images. »
Kosmos tend à montrer les mécanismes à l'oeuvre dans le complotisme et la manipulation, où le faux s'entrelace au vrai jusqu'à les mettre tous les deux dans une même position de doute. Au-delà de le montrer, Pat Perna en produit un exemple concret avec cette contre-histoire de la conquête lunaire qui ment à la marge pour instiller le doute et créer une certaine crédibilité. Malgré tout, je dois avouer avoir été quelque peu dubitatif une fois ma lecture achevée. L'objectif de la BD et l'effet qu'elle produit ne sont pas clairement évidents, tant elle utilise des mécanismes plus qu'elle ne les déconstruit ou, surtout, n'en propose des solutions. Mais si je suis toujours un peu dubitatif, force est de constater que c'est une BD qui m'a fait faire des recherches et m'a fait m'interroger plus que l'immense majorité de mes autres lectures, ce qui ne peut pas être une mauvaise chose.
S'il y a un questionnement sur le but et la réussite intellectuelle de l'ouvrage, il ne doit pas faire oublier que
Kosmos est aussi, surtout, une oeuvre très réussie au niveau du récit et des graphismes. Découpée en très grandes cases, elle offre un rythme rapide qui fait vivre de manière haletante les secondes cruciales de la mission spatiale qui se déroulent dans des timings presque identiques à celles de la lecture. Le dessin est lui quasi-exclusivement en noir et blanc avec une majorité de grands aplats noirs. Cela crée à la fois une certaine patine mais donne surtout une véritable immensité à ce vide interstellaire, avec en prime quelques planches vraiment frappantes. Certainement une raison déjà bien suffisante pour tenter la lecture.
Quelques planches ici.
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