samedi 28 janvier 2023

Lavanya Lakshminarayan - Analog/Virtuel

Analog/Virtuel, Lavanya Lakshminarayan, 2020, 380 pages
« - Ce n'est qu'une question de temps jusqu'à ce que cela nous affecte à Apex City.
- Quelle serait la timeline pour cela ?
- Quarante ans, dans le meilleur des cas, avant que l'eau de l'atmosphère...
- On s'en occupera dans trente-neuf ans.
»
Alors que les pays sont de l'histoire ancienne, des Cités-États règnent. Bangalore est ainsi devenue Apex City, une ville qui se veut méritocratique, où les outils numériques sont omniprésents et dont la devise peut se résumer en un mot : la productivité. Cela vaut en tout cas pour une moitié de la ville, celle des Virtuels, les castes majoritaires. Tous ne redoutent qu'une chose : devenir un Analog, les Dix-pour-Cents inférieurs, et rejoindre l'autre côté d'Apex City, au-delà du bouclier énergétique, où la technologie n'existe pas.

Il n'aura fallu que quelques pages pour qu'Analog/Virtuel m'harponne. Le temps d'un premier chapitre ou d'une première nouvelle, au choix. Le temps pour une voleuse Analog de faire un aller-retour dans la zone Virtuel et d'en ramener la graine d'un arbre, la graine d'une révolution, qui sera le fil rouge du livre. Quelques pages qui m'ont fait le même effet que L'Été de la fusée, le sublime texte qui ouvre les Chroniques martiennes de Ray Bradbury. C'est tout aussi beau et cela commence un tout aussi excellent fix-up.

Analog/Virtuel est, pour moi en tout cas, un fix-up, c'est-à-dire un enchaînement de nouvelles indépendantes dont la juxtaposition permet de créer quelque chose de plus grand. En l'occurrence ici, ce quelque chose c'est tout autant la compréhension du fonctionnement de ce système dystopique que l'émergence d'une rébellion visant à le mettre à bas. Pour ce faire, chaque nouvelle est une tranche de vie d'un personnage - parfois Analog, parfois Virtuel - cherchant à maintenir ou améliorer sa condition, cherchant à survivre au mieux, à faire avec ses peurs. Et d'un texte à l'autre, des éléments se répondent, se répercutent, se font écho. Tout est lié. Tout est indépendant.

Analog/Virtuel est une réussite sur tous les aspects. Sa forme est admirable, renfermant autant les qualités d'un roman que celles d'un recueil de nouvelles. Son fond est riche, multiple, portant un regard lucide sur notre présent et notre futur, avec la technologie en tête de proue, mais pas que. Son fil rouge apporte une note d'espoir toujours bienvenue en temps de dystopie. Et chacune de ses histoires, chaque texte, chaque page fait la part belle à l'humain. Roman, recueil, fix-up, appelez-le comme vous voulez. Mais une chose est certaine : Analog/Virtuel est un excellent livre.

Couverture : ? / Traduction : Lise Capitan
D'autres avis : Alys, FeydRautha, Le Maki, Célinedanaë, ...

dimanche 22 janvier 2023

Keigo Higashino - Les Doigts rouges

Les Doigts rouges, Keigo Higashino, 2006, 237 pages

Maehara Akio est appelé par sa femme, paniquée, qui lui demande de rentrer immédiatement. Chez eux, il découvre le corps d'une petite fille, étranglée par leur fils de 14 ans. Pour le protéger, ils décident de déplacer le corps dans des toilettes publiques et d'effacer toutes les traces. Mais est-il possible d'échapper à la justice quand Kaga Kyōichirō fait partie de l'enquête ?

Les Doigts rouges met donc en scène Kaga Kyōichirō, l'enquêteur holmésien découvert dans l'excellent Le Nouveau. Mais si Kaga y apparaissait sympathique et agréable, ce n'est pas forcément le cas ici, lui qui dédaigne son père qui est aux portes de la mort. De manière générale, Les Doigts rouges est un roman moins engageant que Le Nouveau, avec notamment cette première moitié quasi-entièrement consacrée au point de vue des coupables.

Une fois n'est pas coutume, j'ai gagné à ne pas lire les romans dans leur ordre de publication. Connaissant le personnage de Kaga, je savais qu'il allait forcément se passer quelque chose de remarquable et qu'il fallait passer outre cette étonnante situation de base. J'ai bien fait. Tout semblait pourtant cousu de fil blanc : on connait les coupables, la méthode et l'enquêteur qui va résoudre l'affaire. Comment rendre la lecture intéressante et impactante ? C'est peut-être le plus grand défi pour un auteur de polar. Ça tombe bien, Keigo Higashino en est un excellent.

Malgré toute l'apparente prévisibilité de l'enquête, il y a donc bien un final tout en surprises. Rien de réellement flashy, mais d'une simplicité diablement efficace et admirable. Et en plus de ça, il y a en toile de fond un questionnement sur la place et la gestion des personnages âgées, une problématique particulièrement prégnante dans la société japonaise. Encore une belle réussite de la part de Keigo Higashino.

Couverture : Billy and Hells / Traduction : Sophie Refle

lundi 16 janvier 2023

Christian Léourier - Danseuse de corde

Danseuse de corde, Christian Léourier, 2020, Tome 2/2 de La Lyre et le Glaive, 518 pages
« Il ne voulait pas mourir dans l'indifférence générale, sous la pluie, avec en guise d'oraison les ahans de ceux qui resteraient debout. Il ne voulait pas sentir sa chair se déchirer de nouveau, voir son sang s'écouler, laisser ses membres se refroidir. Il ne voulait pas, surtout pas, mourir. Cela faisait-il de lui un lâche ? »
Danseuse de corde est la suite directe de Diseur de mots. Emballé par ce premier tome qui ne cessait de gagner en qualités, j'étais très motivé par la lecture de ce second volume. Malheureusement, mon enthousiasme s'est quelque peu étiolé au fil des centaines de pages.

Non pas que Danseuse de corde soit un mauvais roman. J'ai globalement pris du plaisir à le lire. Mais là où Diseur de mots trouvait sa patte - Kelt, pour ne pas le nommer - pour apporter le sentiment de lire quelque chose de différent, Danseuse de corde a des airs bien plus classiques. Malgré la multiplication des points de vue, qui étoffent la grandeur de l'univers et permettent une gestion maline des sauts dans le temps, on perd quelque peu cet attachement à l'individu pour vivre bien plus une intrigue d'ampleur et un affrontement général.

J'écrivais dans mon premier billet : « il y a à la fois un cheminement d'individus, des péripéties à taille humaine, tout autant que des batailles d'ampleur et des jeux de pouvoir plus politiques. Sans que l'un ne prenne le pas sur l'autre ». À mon sens, la balance n'est cette fois pas équilibrée - et, ironiquement, le roman n'est pas réellement punchy pour autant. Ce qui n'est pas fondamentalement une mauvaise chose. Ce n'est simplement pas ce que j'espérais et ce qui m'aurait fait le plus vibrer. C'était bien, mais il m'a manqué l'étincelle qui aurait pu en faire une lecture vraiment unique.

Couverture : Éric Scala
D'autres avis : Célinedanaë, Marc, lutin82, ...